Vevey, une petite ville au bord du lac Léman, la veille de Noël 1977. A sa sortie de prison, Eddy est accueilli par son ami Osman. Celui-ci lui a préparé une caravane derrière sa cabane de fortune dans laquelle il vit avec sa fille de sept ans, Samira. Sa femme, Noor, subit des examens à l’hôpital. Eddy fait contre mauvaise fortune bon cœur devant cet accueil chaleureux d'autant plus que son ami a récupéré ses livres.
Osman est employé à la ville et Eddy et Samira s'apprivoisent progressivement. L'une réveillant l'autre tôt le matin et ne se montrant pas dupe de son séjour en prison alors qu'Eddy l'initie à la littérature avec ses livres et la promène le long du lac.
Le manque d’argent se fait cruellement sentir. Osman bénéficie d'une mutuelle mais ne possède pas le livret de famille qui permettrait le remboursement des frais médicaux considérables d'une opération à la hanche de sa femme, 50 000 francs suisses. Sa fille aimerait faire plus tard de coûteuses études de vétérinaire. Le soir de Noël, Eddy a ramené une télévision ce qui irrite Osman, persuadé qu'il l'a volée et qui intéresse davantage Samira que le diabolo qu'il lui a offert. La télévision annonce la mort du richissime comédien Charlie Chaplin.
Les jours qui suivent, la télévision diffuse des courts-métrages de Charlot et des reportages sur sa vie. Eddy a une idée : subtiliser le cercueil de l’acteur et demander une rançon à la famille ! Osman refuse tout d'abord puis accepte quand Samira se plaint de l'absence de sa mère.
Le vol du cercueil et son nouvel enfouissement s'avère plus pénible physiquement que prévu mais procure une joie intense aux deux hommes. Hélas récupérer la rançon devient délicat tant les revendications fantaisistes se multiplient auprès de la famille Chaplin. Deux photos prouvent toutefois au majordome des Chaplin, le négociateur, qu'il a affaire aux bons voleurs. Un piège est tendu par la police auquel Eddy et Osman n'échappent que parce que la voiture de ce dernier a des problèmes de démarrage.
Dégoûté un temps de l'extorsion de fond, Eddy trouve une place de clown dans un cirque et l'amour de sa propriétaire, la jolie Rosa. Mais Osman vient le relancer après n'avoir pu obtenir un prêt de la banque. Ayant naïvement donné l'heure du coup de fils, Osman est piégé par la police dans une cabine téléphonique. Contre la promesse par le majordome de ne pas porter plainte et de payer les frais médicaux, Osman donne le nom d'Eddy qui est alors arrêté à sa sortie du cirque. Les deux hommes seront finalement acquittés. Eddy et sa femme promettent devant la tombe de rembourser les frais d'opération payés par les Chaplin. Eddy devient clown professionnel dans le cirque de Rosa.
Le film joue sur plusieurs registres : réaliste, burlesque et mélodramatique et, de ce fait, prend le risque de déconcerter les publics qui aiment se laisser emporter sur une seule ligne. L'une d'elle est magnifiée par la mise en scène et de façon inattendue, c'est celle du mélodrame léger.
Trois registres pour un film
Les personnages sont tous éminemment sympathiques. Crooker, le majordome de Chaplin, est une figure un peu inquiétante. Son accointance avec la Normandie où il débarqua en juin 44 (grande passion de Xavier Beauvois) en fait toutefois un héros décidé, sorte d'aventurier responsable, sorte de Tintin décidé à la hauteur de Eddy, pied-nickelé en mobylette, fonçant en montage alterné vers le lieu de l'échange. Si Crooker frappe Osman c'est pour mieux pouvoir lui glisser à l'oreille d'en finir et qu'ainsi il ne portera pas plainte et remboursera même les frais d'hospitalisation de sa femme. Tout pareillement sa stature permet d'en appeler à la solennité du personnage de Chaplin lors de la scène de l'exhumation du cercueil. La police suisse est sympathique, compréhensive, modérée, refusant toute violence. Noor est futée et prompte à saisir les dissimulations de son mari. Quant à Samira, elle s'initie à des valeurs plus complexes que "Un principe c'est quelque chose qu'on ne peut pas refuser" en trouvant un second père moins sérieux et plus drôle que le sien.
Une autre des dimensions réalistes du film réside dans cette description des plus pauvres ayant le soucis de la respectabilité en accord avec le personnage de Charlot toujours tiré à quatre épingles et adepte des toilettes de chat au petit matin. Ici le décor de la cabane est chaleureux, éloigné de tout misérabilisme avec un goût pour les livres, pour l'éducation au français.
Tant est si bien que la dimension burlesque, que l'on pourrait attendre d'un film sur l'enlèvement du cercueil de Charlot, fait l'objet d'un nombre réduit de scènes. Des bons mots dans le dialogue tels ce "10 millions de dollars de francs suisses", la danse dans la caravane, l'extrait de Charlot fait une cure, l'explication du plan du vol en muet avec des gestes sur la musique de Michel Legrand en sont les rares exemples.
L'importance de la musique, celles de Legrand ou de Chaplin, emporte nettement le film vers le mélodrame, celui des Lumières de la ville, dont on voit aussi un extrait, et fait l'objet de toute l'attention de la mise en scène de Xavier Beauvois
Mise en scène du mélodrame
Le contrechamp sur les yeux d'Eddy en camion avec Osman au tout début du film donne curieusement lieu à un plan sur le lac Léman avec un envol de cygnes. Il s'agit là d'une facétie habituelle de Beauvois, une réponse à la musique du lac des cygnes que Luc écoutait avant de mourir dans Des hommes et des dieux. Mais il s'agit surtout d'un pur signe de cinéma, d'un plan déterritorialisé pour inscrire el générique du film alors que l'histoire reprendra par la suite avec l'arrivée du camion devant la cabane. Ce plan lyrique, prolongé par quelques uns de même nature sur le lac est le premier d'une série qui comprend le cadavre déterré puis enterré de nouveau puis le plan long sur les deux hommes heureux après l'effort une fois leur acte "criminel" accompli.
Ces plans qui brisent la narration pour s'imprégner longuement de sentiment, on en trouve trace aussi dans le regard d Eddy sur Samira dansant ou dans l'apparition de Rosa en princesse arabe derrière son dromadaire. Il y a aussi ce plan contemplatif de l'embarcadère cadrant l'arrivée du bateau sur le lac avec, en arrière plan, la montagne enneigée que l'on distingue derrière les grands arbres nus de l'hiver. Lyrique aussi le fondu-enchaine amorcée sur la photographie de Charlot derrière une pelle, décidé à construite son premier studio suite à ses gains faramineux d'acteur. Elle s'efface progressivement pour se transformer en cette pelle en gros plan reposant sur un grillage qui donne à Eddy l'idée du vol de sépulture. Puis la joie de l'idée va de pair avec le feu dans le grand bidon métallique.
Si preuve il devait y avoir de l'intérêt prédominant du film pour le sentiment mélodramatique, on la trouverait dans le bouclage caractéristique du scénario. Eddy sort de prison, de face, avec le conseil du gardien d'arrêter de faire le clown. Il sort du film, de dos, franchissant le rideau de scène pour aller à la rencontre du public faire le clown ayant, au passage, rencontré l'amour.
Jean-Luc Lacuve le 15/01/2015