Moonee a 6 ans et un sacré caractère, surtout lâchée en toute liberté dans la cité Florida, sur l’avenue des Sept-Nains, dans la banlieue de Disney world, à Orlando (Floride) où fleurissent les magasins en gros de parfums, quincaillerie, cadeaux souvenirs ou restaurant ultra bon marché en forme de demi-orange. Dans The Future, le motel recouvert d’une peinture jaune, Moonee fait ainsi les 400 coups avec ses deux copains : Scooty et Dicky.
Tous trois crachent ainsi sur la voiture de Stacy qui élève, à la place de sa fille, partie, les enfants de celle-ci : Jancey et sa petite sœur obèse. Stacy poursuit les enfants et reçoit le soutien du père de Dicky qui admoneste son fils. Stacy finit par retrouver Moonee au motel voisin, le Magic Castle, peint d'une rutilante couleur mauve avec ses deux tourelles et sa piscine.
Moonee fait profil bas dans la chambre de sa jeune maman, Halley, en situation précaire comme tous les habitants de ce motel. Stacy reçoit le soutien de Bobby, le gardien au cœur d'or du Magic Castle, pour que Moonee et Scooty nettoient le pare-brise de sa voiture de leurs crachats. La leçon de morale ne prend qu'à moitié puisque Moonee en profite pour demander à Jancey de l'aider et s'en fait immédiatement une amie.
C'est ainsi que Moonee, Scooty et Jancey récupèrent gâteaux et brioches auprès des camions de la Croix-Rouge qui distribuent de la nourriture, harcèlent les touristes pour mendier quelque sous pour une glace et investissent un local interdit ... et déclenchent une panne de courant. Bobby n'a aucun mal à découvrir les coupables sur sa caméra de vidéosurveillance. Mais ange-gardien désintéressé au cœur pur, il se contente de faire un peu de morale à Halley... et lui procure une nouvelle chambre pour y passer la semaine suivante en dépit du règlement. Narek, le propriétaire, voudrait que nul ne s'installe ici et que le motel retrouve sa vocation d'accueillir les touristes au petit budget.
Halley est déçue que sa copine Ashley, la mère de Scooty, ne puisse lui trouver une place dans le fast food où elle travaille même si Ashley, bonne copine, fournit toujours généreusement Moonee et Halley en pancakes au sirop d'érable gratuits. Mais, du coup, Halley est contrainte de vendre à la sauvette des parfums achetés en gros aux touristes des motels plus huppés situés tout au bout de l'avenue des Sept nains.
Moonee, Scooty et Jancey font alors une plus grosse bêtise. Ils tentent de faire fonctionner la cheminée d'une maison abandonnée... et la font flamber. Scooty ne peut cacher longtemps cet acte à sa mère. Du coup, Ashley interdit à Scooty de voir Moonee et prévient celle-ci que, désormais, il n'y aura plus de pancakes gratuits. Moonee comprend mais ne révèle pas les causes de la brouille à sa mère.
Bientôt Halley se fait repérer par les vigiles des hôtels et se voit interdire la vente à la sauvette de parfums. Elle réussit à revendre des bracelets d'entrée au parc Disney et fait à cette occasion une grosse fête fofolle avec Moonee. Quand celui à qui elle a volé les bracelets, John, vient se plaindre, Halley reçoit encore l'aide de Bobby. Il a compris que le vol avait eu lieu a l'occasion d'une passe et menace John d'en avertir sa femme s'il vient avec la police.
Halley voudrait se réconcilier avec Ashley mais celle-ci lui révèle, devant Moonee, qu'elle sait qu'Halley se prostitue. Halley la rue de coups.
Quelques jours après, les services sociaux de la protection de l'enfance débarquent et menacent de prendre en charge Moonee. Halley offre une dernière fête à sa fille dans un restaurant puis laisse faire les services sociaux. Moonee, une fois qu'elle comprend qu'elle va être séparée de sa mère, s'enfuit en pleurs. Elle vient trouver Jancey et toutes deux courent à perdre haleine vers le parc Disney et son château de la Belle au bois dormant. Une dernière course d'enfants avant une séparation douloureuse et nécessaire.
Le film est emporté par l'extraordinaire humanité des personnages ce qui n'empêche pas Sean Baker de faire une remarquable utilisation de l'ellipse et du hors champ.
The Florida project
Sean Baker, dans les interstices de l'horrible cité Florida (Project se traduit ici par cité et non par projet), trouve des lieux de poésie classiques (les couchers de soleils, le feu d'artifice vu de loin) ou insoupçonnés (les hautes herbes des maisons abandonnées et le champ avec des vaches paisibles pas très loin).
Les personnages principaux sont particulièrement bien dessinés et originaux : la vitalité et l'intelligence de Moonee ; l'innocence la liberté et la joie de vivre de Halley, post-adolescente indomptable et mère aimante mais dangereuse pour sa fille ; la parfaite droiture de Bobby, gérant ange-gardien de ce petit monde de clients très pauvres qui fréquentent l'hôtel. Mais les seconds rôles sont aussi tous trés attachants ainsi Ashley, la mère de Scooty ; Stacy, la grand-mère de Jancey ou Gloria, la vieille femme impudique. Les hommes s'en tirent moins bien tant, peut-être, la figure de Bobby sert de contrepoids : Narek le propriétaire, John le client volé, ou le pédéraste qui rode autour du motel.
Ellipses et hors champ
Le récit d'une chronique d'une petite communauté est rendu plus émouvant par l'utilisation de l'ellipse et du hors-champ. Il y a d'abord l'ellipse amusante de la panne électrique une fois les enfants entrés dans le local interdit. Seule la vidéo de surveillance, regardée par Bobby, donnera le fin mot (pressenti) de cette panne. Plus subtile, l'ellipse du vol des bracelets Disney dans le sac de John. On ne comprend ainsi pas ce qu'Halley tente de revendre auprès d'une femme qui la soupçonne d'être une voleuse. Lorsqu'elle parvient à vendre les bracelets d'entrée auprès d'un touriste, on pense que celui-ci va se faire arnaquer. Mais non, on comprend enfin, seulement lorsque John vient faire scandale, que c'est lui qui s'est initialement fait voler les quatre bracelets. Bobby n'aura pas de mal à lui faire entrevoir que tout révéler à sa femme serait la conséquence d'une plainte à la police.
Le hors-champ est utilisé avec grâce lors des scènes de prostitution. Sans continuité diégétique intervient en effet une longue scène de bain innocente de Moonee, étrangement sage, coiffant son petit poney de plastique. Par deux fois se répète la scène de bain avant qu'un client n'ouvre la porte de la salle de bain par mégarde. On comprend par le simple geste de Moonee de tirer encore un peu inutilement le rideau qu'elle a compris ce qui se passait à côté, et depuis le début, d'où sa tranquillité dans le bain ; une façon de masquer son angoisse. Terriblement lucide, cruel et désespéré.
Jean-Luc Lacuve , le 6 janvier 2018.