Une loge de cabaret, six artistes américains de strip-tease, cinq femmes et un homme, alternent leur numéro de New burlesque, un spectacle conçu par des femmes à destination des femmes. Si l'effeuillage d'un homme, Roky Roulette, fait partie du spectacle, il s'agit avant tout d'aimer son corps pour le rendre susceptible d'être séduisant au travers de diverses métaphores érotico-politico-sociales ironiques. Mimi le Meaux, opulente et aérienne, emplumée et endiablée est la star du spectacle ; Dirty Martini est une blonde lascive et trash ; Evie Louvelle aime chanter les années 50 et Julie Atlas Muz, la jolie brune est toujours sur le point d'oser retirer son soutien gorge.
La troupe triomphe dans une petite salle du Havre et rejoint l'hôtel Mercure sous la conduite de son manager et producteur, Joaquim Zand. Celui-ci tente vainement de faire baisser la musique de l'hôtel pendant que Dirty Martini essaie sans succès de draguer un aviateur. Le souvenir de leur récent triomphe permet toutefois à chacun de garder sa bonne humeur même si les Américaines regrettent de ne pas avoir le temps de visiter la France.
Le lendemain, dans le train qui les conduit à Saint-Nazaire, Joaquim distribue l'argent gagné durant leurs trois jours passés au Havre. Il reçoit aussi un coup de téléphone qui le met en rage : on lui a supprimé la salle sur laquelle il comptait pour la ville suivant Saint-Nazaire.
Dans la discothèque de Saint-Nazaire où la troupe se produit, Joaquim abandonne le spectacle à peine commencé à Ulysse, son jeune régisseur, pour se rendre à Paris afin de trouver des appuis pour libérer une salle de spectacle.
Joaquim était en effet autrefois un producteur de télévision parisien à succès, mais, fantasque et inconséquent, il s'est fâché avec tous et craint les avocats de tous les producteurs réputés. François, son ancien collaborateur, auteur d'une émission à succès, que Joaquim ne se fait pas faute de dénigrer finit toutefois par accepter de l'aider. Avant de lui casser la gueule quand, une fois encore, Joaquim s'emporte contre un producteur réputé....
Tournée comporte deux parties distinctes. La première est constituée des affres d'un producteur de spectacle pour que se produisent sur différentes scènes de province sa troupe de cabaret New burlesque. La seconde est un voyage à deux entre le producteur et la plus sensible des strip-teaseuses entre la Rochelle et l'île d'Aix. La première partie étant elle-même subdivisée entre la saisie documentaire d'une troupe de cabaret et la narration de la déchéance du producteur, ce sont, au final, trois thèmes que brasse Tournée. Chacun d'eux est honnêtement traité mais l'échec à les faire interagir entre eux fait de Tournée un film intéressant mais trop rarement sensible.
New et old burlesque
La saisie documentaire des scènes de spectacles interprétées par les acteurs dans leur propre rôle est assez réussi. Joaquim Zand ne peut pas même se prévaloir du rôle de metteur en scène comme Cosmo Vitelli dans Meurtre d'un bookmaker chinois auquel Tournée fait parfois penser car les actrices décident de leur mise en scène. Zand se contente d'approuver ou de refuser tel ou tel numéro. Ainsi, à la différence du film réalisé par Cassavetes en 1976, où chaque apparition de Ben Gazarra autour de ses danseuses visait à les séduire ou les encourager, ici c'est la rancur qui est la base de toutes les conversations. Ainsi celle, hallucinante, dans le couloir de l'hôtel où Zand répond à l'accusation d'être un mauvais père par un dénigrement injurieux des numéros de Maud le Meaux.
Peu professionnel avec ses nouvelles actrices, on apprend aussi progressivement que Zand est un producteur fantasque et inconséquent qui a grillé toutes ses cartouches et que, fuyant les avocats de tous, il doit se contenter de faire la tournée des ports afin de pouvoir fuir en cas de procès possible. Zand est également mauvais mari et mauvais père. Au total, si l'on ne fait pas de bons films avec des bons sentiments, il n'est pas certain non plus que l'on fasse de bons films qu'avec de mauvais sentiments. Zand est un clown triste sans aucun humour disponible.
Reste la mise en scène des limites physiques : le refus viscéral de la musique en boite (dans les hôtels) ou complaisante (le guitariste du café) au profit de ce qui survient et surprend ; l'impossibilité aussi de supporter plus longtemps la charge des enfants et leur remise dans le train au petit matin.
Voyage à deux
Parce que Maud souffre aussi, de l'éloignement de son pays surtout et de la souffrance de l'autre, elle s'éprend de Zand. Là aussi, c'est le travail des corps qui les rapprochent : leur mal à l'estomac commun et enfin le geste pour enlever les faux cils. Rien n'est à gagner dans le temps. Les larmes du désespoir ne peuvent que couler sur les joues de Zand. Reste à durer dans l'espace, dans cet espace métaphorique de l'hôtel abandonné, coquille vide à l'image de ce qu'est devenue la troupe, bientôt disloquée sans avoir vu Paris.
Là aussi le corps reste la dernière résistance. Maud dit à zand, dans le lit : "Tu ne nous as pas proposé une promenade qui fait le tour de la vie, alors commençons par le plus facile." La pharse est de Colette car le scénario de Tournée s’inspire originellement de la nouvelle L’Envers du music-hall publeie en 1913. Cette nouvelle relate l’expérience personnelle de l’écrivaine comme comédienne, se produisant régulièrement entre 1906 et 1912 en France et à l’étranger avec une troupe d’acteurs aux côtés du célèbre mime Georges Wague. Elle jouait le drame La Chair (1907) qui fit scandale car Colette paraissait largement dénudée sur la scène du Moulin Rouge. Mathieu Amlaric déclarait dans Libération du 30 juin 2010 : "Le premier chapitre est extraordinaire. Cela s’appelle "La ville où on ne joue pas". Un train en panne, et toute la troupe investit un hôtel, des rues, mal à sa place. J’ai longtemps voulu n’adapter que ce premier chapitre, mais tout le reste suivait, splendide. Après, il s’est passé trois ans à chercher un équivalent du music-hall. Refaire les numéros d’époque, qui était l’idée de base, c’était rance et on bloquait. La découverte de la troupe de New Burlesque, à partir de la lecture d’un article d’Elisabeth Leibovici dans Libé [en 2004, ndlr], a tout emporté."
Jean-Luc Lacuve le 03/07/2010.