Images d'un Paris de cartes postales : la tour Eiffel, la butte Montmartre, le Louvre, l'Opéra, les quais de la Seine Notre-Dame, sous le soleil, sous la pluie, au crépuscule et la nuit avec, off, un standard de Sidney Bechet.
Un jeune couple d'Américains, Gil et Inez, fait escale à Paris avant de se marier. Gil est un scénariste hollywoodien qui a le sentiment d'avoir galvaudé son talent d'écrivain. Inez, une blonde énergique de bonne famille ne songe qu'à son confort petit-bourgeois. Ils sont accompagnés des parents d'Inez, des républicains tendance Tea Party qui entretiennent une forte suspicion à l'égard de leur futur gendre -cet amoureux de Paris ne peut être qu'un communiste-, lequel le leur rend bien en traitant, lors d'un déjeuner au Bristol, son futur beau-père de "pervers lunatique".
Pour ne rien arranger, Inez tombe à Paris sur un ancien compagnon d'études accompagné de sa femme. Paul est un universitaire insupportablement prétentieux qui vient donner à Paris une conférence à la Sorbonne.
Les deux couples sillonnent ensemble les monuments et événements parisiens. Paul se révéle un expert en à peu près tout, Versailles, Rodin jusqu'au vin de Bordeaux, et plus encore un raseur hors pair qui suscite l'admiration d'Inez en même temps que l'exécration de Gil.
Celui-ci, à bout, décline une invitation tardive à danser dans une boite de nuit et marche seul dans les rues de Paris, assailli par sa volonté de retrouver l'âge d'or des années 20. Sur les douze coups de minuit, apparait une Peugeot 1920 dont les occupants l'invitent, inexplicablement, à venir avec eux.
Gil se retrouve dans une fête des années 20 où il croise, interloqué, Cole Porter, Scott et Zelda Fitzgerald. Ceux-ci l'amènent dans un bar où ils retrouvent Ernest Hemingway. Gil demande à celui-ci de lire son livre. L'écrivain-boxeur, s'y refuse mais promet, s'il le lui ramène à l'instant de le confier à Gertrud Stein. Gil se précipite chez lui mais, anxieux, revient sur ses pas pour ne plus découvrir qu'une laverie à la place du café.
La nuit suivante, il promet à Inez une surprise en l'amenant au lieu d'où surgit la Peugeot 1920. Mais Inez se lasse avant les douze coups de minuit. Chez Gertrud Stein, Gil rencontre Picasso et surtout la ravissante Adriana, ex-amante de Modigliani et Braque, qui aurait inspiré avec laquelle il déambule dans la nuit.
Les beaux-parents ayant décidé de partir pour le Mont saint Michel, Gil reste à Paris. Après leur retour précipité, le père, se doutant de quelque chose engage un détective. Gil échange en toute fraternité des vues avec Buñuel, Man Ray et Dali qui l'entretient du Christ et des rhinocéros.
Mais Adriana l'entraîne dans une autre faille temporelle, à la poursuite d'un autre âge d'or, celui de la Belle Epoque en 1890. Chez Maxim's, ils rencontrent Toulouse-Lautrec, Degas et Gauguin. Adriana ne veut plus quitter la belle époque et Gil comprend qu'il lui faut regagner la sienne.
Hemingway ayant lu son livre à la suite de Gertrud Stein lui fait dire par celle-ci qu'Inez a du succomber aux avances de Paul. Gil décide de rompre. Comme il reste seul dans Paris, il croise la jolie Gabrielle qui aime Paris sous la pluie.
Woody Allen avait atteint des sommets de misanthropie depuis son abandon dans la croyance en la psychanalyse et son acceptation du grand tout magico-mystique pouvant régler la vie de ses personnages. Tout était devenu possible dans le cinéma de Allen, bien au-delà des principes, fantastiques mais finalement assez simples, à l'origine des situations de La rose pourpre du Caire ou du conte de Cendrillon.
Midnight in Paris, en assumant tranquillement et franchement son passage dans le fantastique, permet de revenir à ses situations charmantes où l'on s'interroge sur l'intérêt de garder au fond de soi une part de mystère et d'inexplicable qui enchante le quotidien. Au-delà de la bêtise de l'entourage de Gil, c'est leur certitude qui les condamne bien plus surement.
Gil depuis son physique au charme incertain, sa situation d'exilé géographique et historique, son amour de l'art et de la pluie, est perpétuellement en situation d'attente. Allen en joue en lui multipliant les rencontres de grands personnages du passé (Hemingway et la noble attitude, Gertrude Stein et le refus de l'apitoiement sur soi, Buñuel auquel il souffle le sujet de L'ange exterminateur...) en lui servant une critique désopilante d'une toile surréaliste de Picasso, en attendant la séquence de la pluie.
Un film charmant donc où Allen prend enfin le risque de se montrer exilé de son époque, rêvant d'un Paris de cartes postales à contempler d'aujourd'hui avec antibiotiques et valium.
Jean-Luc Lacuve, le 15/05/1920