Anvers. Son port. Ses docks. Ses rues interlopes. Ses boîtes à matelots. Ses gangsters. Ses trafiquants. Ses souteneurs. Ses filles. Son Milieu. Dédée officie comme entraîneuse dans un bar à matelots du port, que dirige un gangster presque retiré, sympathique, M. René. Dédée est sous la coupe d'un souteneur aussi veule que cruel, Marco, que M. René méprise ouvertement. Aussi ne dit-il rien quand, dans une violente bagarre, un matelot italien, plus ou moins mêlé à un trafic d'armes, Francesco, prend Dédée sous sa protection. Mieux, il favorise leur amour. Dans la nuit qui va suivre leur rencontre, Dédée se décide à quitter Anvers et Marco. Elle rejoindra Francesco sur le bateau qui les emmènera vers d'autres horizons que les quais et les bouges.
Averti, Marco qui voit le risque de perdre un revenu appréciable, assassine Francesco. Avec l'aide de M. René, Dédée fera justice, reprendra sa place au bar aux côtés du patron et sa vie continuera.
Allégret souhaitait tourner un film d’un réalisme poétique digne des chefs-d’œuvre du tandem Carné-Prévert. Craignant pour la réputation de sa ville, le maire de la cité belge lui refusa l’autorisation de filmer en extérieurs, contraignant le cinéaste à tourner en studio dans de superbes décors créés par Georges Wakhévitch. La brume, les bistrots sur les quais remplis de marins venant de tous horizons, les rues aux pavés mouillés, tout est là pour faire revivre l’atmosphère glauque d’une ville portuaire mal fréquentée.
Comme dans Quai des brumes (Marcel Carné, 1937), le décor portuaire est rattaché au thème du départ, à la question de savoir qui part et qui reste, ou s’il est possible de partir ou non. Or, dès les premières images, Dédée, debout sur le quai, regarde les bateaux qui circulent. Le contraste entre immobilisme et mouvement préfigure le drame. Dédée se définit comme “une femme qui aime trop les hommes”, sans pleinement réaliser qu'elle est prisonnière de sa condition sociale.
La question de la liberté se présente avec le personnage de Francesco, il est italien et, forcément, c’est un marin, un aventurier. Respectueux, romantique, il peut libéréer Dédée de son aliénation: ."- Est-ce que tu te plais ici ?"; - Si je ne me plaisais pas, je partirais ; - C’est vrai, dans la vie on fait toujours ce qu’on veut”. La réplique est d’une noire ironie pour Dédée, enfermée, emprisonnée dans une ville étrangère et dans un métier qu’elle ne veut plus assumer.
Cette absence de liberté est symbolisée par le personnage de Marco. Le souteneur de Dédée est violent, brutal, intolérant, frustré de n’être qu’un second couteau. Il est un faible qui se fait passer pour un dur, qui aime “prendre des poses”. Il représente tout ce qui enferme la jeune femme, tout ce qui l’emprisonne. Crapuleux, sournois, l'immense Marcel Dalio impose le sentiment de tragédie qui plane sur le film. Son ombre est un danger permanent, menaçant Dédée même à distance.
Jean-Luc Lacuve, le 4 septembre 2022
Dédée d’Anvers inaugure la série des six films successifs tournés par Yves Allégret sur des scénarios de Jacques Sigurd. Suivront Une si jolie petite plage (1949), Manèges (1949), Les miracles n'ont lieu qu'une fois (1951), Nez de Cuir, gentilhomme d'amour (1952), La jeune folle (1952).