Tant qu'il y aura des hommes

1953

(From Here to Eternity). Avec : Burt Lancaster (Milton Warden), Montgomery Clift (Robert E. Lee Prewitt), Deborah Kerr (Karen Holmes), Donna Reed (Lorene), Frank Sinatra (Angelo Maggio), Philip Ober (Dana Holmes), Ernest Borgnine ('Fatso' Judson). 1h58.

Été 1941. Robert E. Lee Prewitt est transféré à la caserne de Schofield, Honolulu. D'un caractère difficile, il s'attire aussitôt des ennuis. Le capitaine Holmes sait qu'il est un excellent boxeur poids moyen et lui demande de se battre pour sa compagnie. Prewitt refuse : il a juré de ne plus se battre depuis qu'il a rendu aveugle un "sparring-partner". Il est aussitôt soumis à des vexations quotidiennes et à des corvées injustifiées. Son seul ami est Angelo Maggio.

Le sergent Warden, méprisant le capitaine Holmes, a une liaison avec sa femme, la belle Karen. Prewitt tombe amoureux de Lorene, une jolie entraîneuse dans un bar. Celle-ci songe surtout à gagner assez d'argent pour retourner aux Etats-Unis et trouver un mari riche et respectable. Maggio s'attire des ennuis et est envoyé dans un camp disciplinaire où il est brutalement traité, puis mortellement blessé, par le sadique sergent "Gras-Double". Il s'évade et meurt dans les bras de Prewitt qui jure de le venger.

Il affronte "Gras-Double" dans un duel au couteau et le tue. Mais, grièvement blessé, il se réfugie chez Lorene. Au matin du 7 décembre 1941, les Japonais attaquent Pearl Harbor. Prewitt est tué accidentellement en voulant regagner son camp. Warden redevient un soldat. Sur le bateau retournant aux USA, Lorene se présente à Karen comme la fiancée d'un "pilote d'avion mort héroïquement au combat".

Huit oscars (dont meilleur réalisateur pour Fred Zinnemann, meilleurs seconds rôles pour Frank Sinatra et Donna Reed, meilleur scénario pour Daniel Taradash, Meilleure photographie pour Burnett Guffey) ont récompensé ce film qui comporte deux scènes d'anthologie que les parodies hollywoodiennes reprennent fréquemment : Deborah Kerr et Burt Lancaster enlacés sur la plage et rattrapés par les vagues et les solos de trompette de Montgomery Clift, dans le bar de Hawaï et dans la cour de la caserne en hommage à son ami.

L'armée est, in fine, préservée de la critique en condamnant Holmes à la démission pour n'avoir pas su protéger les hommes dont il a la responsabilité et qui serait (on croit rêver) le premier devoir d'un officier. Pire, il est jugé responsable de l'acharnement contre Prewitt, le traitement qu'il lui inflige par l'intermédiaire des brutes épaisses que sont ses sergents boxeurs, pour redevenir boxeur. On notera cependant que c'est par hasard, le général observant son inaction pendant le combat de Prewitt, qu'une enquête est menée contre lui.

Bien davantage sont montrés les côtés peu reluisants de l'armée ; les bordels de Hawaï, la toute puissance des sadiques comme Fatso. En revanche, sont bien dessinées les personnalités rebelles : Prewitt et surtout Karen Holmes, femme brisée par la perte de son enfant et l'impossibilité d'en avoir après avoir été laissée agonisante par son mari infidèle. Elle cherche courageusement à vivre hors du malheur, aussi moderne par son physique (ce qui a rarement été le cas pour Deborah Kerr) cheveux courts et silhouette agressivement féminine que par son extrême lucidité, exempte d'illusions.

 
Sept ans de réflexion ,
(Billy Wilder, 1955)
Le Caire, nid d'espions
( Michel Hazanavicius, 2006)

La scène sur la plage entre Deborah Kerr et Burt Lancaster devient si iconique que Billy Wilder la parodie à peine deux ans plus tard dans Sept ans de réflexion : Richard Sherman se fantasme rester de marbre devant les avances de la meilleure amie de sa femme, qui l’enlace sur le sable, au bord de l’océan. Dans Le Caire, nid d'espions (2006) Michel Hazanavicius peut exprimer l'homosexualité refoulée du macho Hubert Bonisseur de La Bath (Jean Dujardin) en surjouant par la mise en scène et le jeu des acteurs la séquence bien innocente du film de 1953.

Jean-Luc Lacuve, le 4 mai 2020