Les rapaces

1925

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Genre : Film épique

(Greed) Avec : Gibson Gowland (McTeague), Zasu Pitts (Trina Sieppe), Jean Hersholt (Marcus Schouler), Tempe Piggott (mother McTeague). 2h20. et 3h59 en version restaurée.

La Californie, au début du siècle. Un employé d’une mine d’or, McTeague, un colosse à cheveux bouclés, sujet à de terribles crises de colère, quitte un jour la mine pour suivre, selon les conseils de sa mère, un dentiste itinérant. Il ouvre bientôt un cabinet à San Francisco et a pour clients Marcus et sa petite amie Trina à qui Maria, la femme de ménage de l’immeuble, vend un billet de loterie.

Au cours des nombreuses séances où il soigne Trina, McTeague se sent violemment attiré par elle. Il ne pourra s’empêcher de l’embrasser alors qu’elle est sous anesthésie. Il l’avouera à Marcus qui, noblement, lui, laisse la place et lui fait même rencontrer la famille de Trina à Oakland.

McTeague fréquente maintenant officiellement Trina et ils ne tardent pas à se fiancer. Trina lui apprend qu’elle a gagné 5 000 dollars grâce au billet de loterie. Marcus se met alors à regretter amèrement son comportement chevaleresque. Trina et McTeague se marient.

Cruellement déçue par le mariage dont elle ignorait les réalités physiques, Trina développe une passion maladive pour l’argent. Elle compte et recompte son magot, nettoie inlassablement ses pièces d’or, refuse de l’argent de sa mère, fait même les poches de son mari. Des tics lui viennent, comme de se mettre un doigt dans la bouche. Quant à Marcus, il s’est querellé avec McTeague à propos des 5 000 dollars et lui a lancé un couteau qui lui a presque éraflé le visage. Mais Mc-Teague n’a pas de rancune. Quand Marcus, à la veille de partir s’installer dans un ranch, vient lui dire adieu, il lui serre franchement la main.

Peu après, on lui dénie le droit d’exercer sa profession de dentiste car il ne possède aucun diplôme. Trina y voit la conséquence d’une dénonciation de Marcus. La chute du couple commence, mais Trina ne voudra jamais toucher à son or. McTeague cherche du travail. Sa femme lui refuse même l’argent pour prendre le bus et, le plus souvent, il se retrouve au café. Peu à peu, il se prend de dégoût pour Trina et décide de la quitter. Elle travaille comme femme de ménage. Un jour, il frappe à la porte de chez elle, affamé. Elle refuse de lui ouvrir. Il revient plus tard et, l’ayant tué, emporte le magot. Il disparaît dans l’Ouest, à la recherche de quelque mine d’or.

Marcus voit un avis de recherche le concernant et se lance à sa poursuite avec une patrouille. Mais celle-ci refuse de pénétrer dans la Vallée de la Mort où règne une chaleur torride. Marcus retrouve seul McTeague. Les deux hommes souffrent atrocement de la soif. McTeague frappe mortellement Marcus et se retrouve ensuite attaché à lui par des menottes. Il n’a plus qu’à attendre la mort à côté d’un cadavre et de son tas d’or.

Un des grands films naturalistes de l'histoire du cinéma où sont à l'œuvre les pulsions sexuelles, alimentaires et même la pulsion d'or.

C'est le seul film de Stroheim dont les héros soient à ce point primitifs, presque des primates, en opposition flagrante avec ceux qui évoluent dans ses histoires de princes et d'aristocrates décavés qu'il affectionnait tant. Les personnages des Rapaces sont victimes d'une triple fatalité qu'on peut dire tour à tour héréditaire, sociale et existentielle. Les passions qui les dévorent (avarice chez Trina, faiblesse de caractère, alcoolisme chez McTeague) ont certainement une part héréditaire mais difficile à déceler, étant donné notamment la disparition des séquences consacrées au père de McTeague.

La fatalité sociale est évidente, mais elle cède le pas devant cette fatalité spécifique à l'univers de Stroheim et qui veut que tous les êtres qu'il décrit aillent jusqu'au bout de la décomposition et de la déchéance. Cette fatalité revêt chez d'ailleurs chez lui un caractère arbitraire, subjectif, poétique qui traduit son incapacité à se tenir à distance des personnages qu'il a créés ou à les dépeindre avec un quelconque détachement. En cela il s'oppose radicalement à un Lang ou à un Mizoguchi.

Comme toujours chez Stroheim, la part la plus originale de son naturalisme se situe au niveau sexuel. C'est le déséquilibre sexuel du couple Trina-McTeague qui entraîne sa chute, dont la trahison de Marcus n'est qu'un agent extérieur.

Pour tous les historiens, Les rapaces est aussi le plus grand chef d'œuvre mutilé de l'histoire du cinéma. Son métrage passa, au fil des édulcorations successives de 9 heures à 2h30 (ou 1h40 à 24 images/seconde).

Le tournage des Rapaces dura neuf mois et coûta 470 000 dollars. Stroheim exigea que tous les épisodes soient tournés en extérieurs réels sur les lieux mêmes de l'action (San Francisco, Vallée de la mort, etc.) Une seule scène, le rêve du ferrailleur Zerkow trouvant de la vaisselle d'or dans un cimetière, fut tournée en studio. Il ne subsiste dans la version connue, qu'un plan symbolique et énigmatique de mains tripotant la dite vaisselle.