Raining Stones

1993

Genre : Drame social

Avec : Bruce Jones (Bob), Julie Brown (Anne), Gemma Phoenix (Coleen), Ricky Tomlinson (Tommy), Tom Hickey (le père Barry)

Dans cette banlieue ouvrière sinistrée de Manchester laminée par le pouvoir politique conservateur, le discours travailliste est inconsistant, les syndicats inexistants ; les usuriers occupent la ville et rançonnent les quartiers les plus démunis. Dans ce monde au bord de l'écroulement, Bob et Tommy sont deux chômeurs parmi d'autres. Pour survivre, souci principal, ils accumulent les larcins mineurs et minables : voler un mouton qu'ils n'osent assommer, voler puis revendre leur pelouse aux conservateurs.

Le drame se noue lorsque Bob se fait voler son camion. Tommy est réduit à accepter de l'argent de sa fille. Bob se rattache à la valeur symbolique de la communion de sa petite fille et veut à tout prix qu'elle ait la plus belle et la plus chère des robes pour ce jour là. Il cherche d'abord des petits boulots : égoutier, videur de boite de nuit avant de se résoudre à emprunter pour acheter un camion et la fameuse robe. Mais Tensey sorte de nouveau riche, mi-maquereau mi-gangster, rachète sa dette, et terrorise sa famille. Bob, désespéré, essaie d'intimider Tensey et provoque accidentellement sa mort. Le prêtre chez qui il est venu se confesser, s'étant assuré qu'il n'y avait pas de témoin, lui conseille de ne pas se rendre à la police. Le conseil était inspiré : non seulement la communion a lieu sans histoire mais la police ramène le camion volé.

Scène clé : La femme de Bob et sa fille confectionnent des gâteaux pour la communion de cette dernière lorsque Tensey et un homme de main pénètrent dans la maison et les terrorisent. Cette scène marque la transition entre les deux parties du films. Après une première partie avec un côté léger, "malheureux mais débrouillards et solidaires malgré tout", et documentaire (acteurs non professionnels recrutés sur le terrain, scénario écrit par Jim Allen qui sait de quoi il parle et structure légère (16 millimètres) pour mieux habiter les lieux et coller à la réalité) le film s'oriente vers un discours plus symbolique et une dramaturgie plus resserrée.

Message essentiel : L'espace public est laissé à l'abandon, à l'équation chomage-violence. Ne résiste encore que l'espace privé... mais pour combien de temps. Alors que "Raining stones" s'ouvre sur de larges paysages de campagne, dès le retour à Manchester, tous les extérieurs sont systématiquement salles et crasseux (la cage d'escalier de l'appartement de Bob, les places devant le local syndical ou l'agence de chômage). Dans les intérieurs, la chaleur est préservée (intérieurs de Bob et de Tommy mais aussi pubs et église). L'intrusion du social dans la sphère privée ne s'était jusque là matérialisée que dans les discussions. parfois douloureuses au sein des familles. L'irruption de Tensey marque l'entrée fracassante de la violence sociale au coeur des valeurs familiales.

L'équation chômage-violence, si elle est explicitée verbalement dans le film par un des personnages, le beau-père de Bob, est aussi exprimée par la mise en scène qui évite au film de basculer dans le simple discours rhétorique. Loach fait constamment sentir cette tension sourde qui se lit aussi sur le visage des personnages. Ainsi le moment où Bob se voit proposer un job de videur dans une boite de nuit et essaie son uniforme sous le regard hilare des quatre employés. La scène menace toujours de tourner vers le conflit. La force de film est de lier cette impasse sociale à quelque chose qui excède le simple problème matériel : une peur physique qui semble indissociable du destin d'une grande partie de la classe ouvrière britannique. Peur physique qui s'intensifie lors de l'intrusion de Tensey et s'exprime encore une fois lors de la confrontation avec celui-ci. La peur de Bob, liée à sa volonté de vengeance, se conclut par la mort de l'usurier. La force de Loach est de dépeindre l'événement de façon brouillonne et chaotique, en phase avec le désordre et le trouble qui émanent de Manchester et de ses banlieues Comme dans les meilleurs films de Loach, les personnages valent mieux que les idées. Malgré son aversion pour la drogue, Bob ne révélera pas à son copain Tommy que sa fille est dealeuse dans une boite de nuit. La religion est un dérivatif opiacé (air connu) aux démissions de la politique ; mais le prêtre intervient activement quand Bob, ayant tué accidentellement l'usurier, veut se livrer à la police. En substance pourquoi Bob paierait-il d'ennuis supplémentaires la mort d'un salaud qui arrange tout le monde ? Ce discours ne manque pas de déconcerter, voir de réjouir. Mais on a du mal à se dire que la morale est sauve. Un peu comme le beau-père de Bob lors de la séance de photo, on aimerait mieux une solution plus sociale pour le film que ce repli dans l'église.... mais faute de mieux.

 

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