Le mal n'existe pas

2023

Genre : Drame social

(Aku wa sonzai shinai). Avec : Hitoshi Omika (Takumi), Ryo Nishikawa (Hana), Ryûji Kosaka (Takahashi), Ayaka Shibutani (Mayuzumi), Hazuki Kikuchi, Hiroyuki Miura. 1h46.

Takumi habite un chalet au milieu d'une forêt, non loin du village de Mizubiki, à l'ouest de Tokyo en contrebas des monts Kiso. Il fend du bois pour son chauffage puis se rend près d’un ruisseau pour remplir une dizaine de grands bidons d'eau qui coule de la montagne. Il est bientôt rejoint par son ami restaurateur nouvellement installé dans la région et qui lui a demandé cette eau pour cuisiner. Takumi lui montre du wasabi sauvage qu'il pourra intégrer à ces menus. Ils se donnent rendez-vous le soir chez ce dernier pour discuter de la réunion du lendemain au sujet de la construction d’un « camping glamour » en amont de leur village. Mais Takumi a oublié l'heure d'aller chercher sa fille, Hana à l'école. Arrivant très en retard, il apprend de la maîtresse qu'elle est partie sans l'attendre, empruntant le chemin à travers la forêt. Il ne tarde pas à la rejoindre, la portant volontiers sur ses épaules et lui apprenant les noms des arbres. Ils croisent la charogne d'une biche blessé par la balle d'un chasseur et venue mourir là puis trouvent une plume de faisan  qui plaira au maire du village et, près de ce champ, un point d'eau encore pris par les glaces où viennent se désaltérer les animaux.

Le soir à la réunion entre amis, on discute de la réunion du lendemain. Le maire est très content de la plume de faisan qu'il utilisera pour accorder son clavecin. Seul le plus jeune se montre franchement hostile au projet sachant qu'il s'agit pour l'entreprise de toucher des subventions covid qui permettent de réaliser des projets bancals.

La réunion publique organisée par Playmode lui donne raison. Hana est partie dans le champ chercher des plumes de faisan pour le maire. La fosse septique n'est dimensionnée que pour 50 personnes alors qu'à plein régime le camping fonctionnera avec 64 personnes ; Elle est placée près du cours de la rivière et menace la nappe phréatique et la qualité de l'eau. Le gardiennage n’est effectué que de jour pour ne pas payer un gardien la nuit, pourtant nécessaire pour interdire les feux de camp qui risquent d'incendier la forêt.

Takahashi et Mayuzumi s'en reviennent penauds à Tokyo et tentent de convaincre l'expert que son projet est mal ficelé. Mais celui-ci ne veut rien entendre. Le patron leur rappelle que les subventions paient leur salaire et qu’ils doivent retourner au village convaincre Takumi d'être le gardien.

En voiture, Takahashi et Mayuzumi se racontent leur vie. Mayuzumi a quitté son métier d'aide-soignante pour changer radicalement de voie. La fonction de commercial lui permet de changer d'environnement même si elle ssavere aussi débile qu'elle le prévoyait. Takahashi travaille chez Playmode depuis seize ans après avoir abandonné ses rêves d'acteur. Il a d'abord été agent avant de devoir accepter le glissement progressif de la société PlayMode vers toutes sortes de courses aux subventions. Comme Mayuzumi le découvre en remarquant un "match" sur une application de rencontre sur son son téléphone, il cherche à se marier pour changer de vie. Il en est même arrivé à la conclusion que la place de gardien du camping lui conviendrait.

Takahashi et Mayuzumi arrivent chez Takumi occupé à fendre du bois. Il apprend à Takahashi à faire de même qui s'en sent ragaillardi. Il leur offre le déjeuner. Il explique qu'un grillage de trois mètres sera nécessaire pour éviter que les cerfs ne traversent le camping. S'ils pourraient constituer un amusement pour les touristes, ils sont très dangereux quand ils sont blessés. Puis Takumi va chercher de l'eau avec ses invités qui, séduits par la nature, décident de ne pas repartir à Tokyo. Takumi oublie une nouvelle fois l'heure de la sortie de classe de Hana. Une nouvelle fois, elle est partie seule. Mais Takumi, Takahashi et Mayuzumi ne la retrouvent pas. Une alerte disparition est déclenchée dans tout le village. Au petit matin, Takumi, Takahashi découvrent Hana, assise, immobile devant un cerf blessé. Takahashi veut intervenir mais il en est empêché par Takumi qui l’étrangle afin qu’il reste immobile pour ne pas effrayer le cerf rendu agressif par sa blessure. Quand Takumi se relève, il découvre Hana allongée, victime de l’attaque du cerf. Il court à travers la forêt, la portant dans ses bras. Après une longue course, il s'arrête. Hana est probablement morte.

Le film est né d'un souhait de la compositrice Eiko Ishibashi qui a demandé à Hamaguchi de réaliser des vidéos pour accompagner ses concerts. Peu inspiré par son environnement urbain, Hamaguchi est allé rencontrer la musicienne chez elle à la campagne. Là, il comprend le lien entre sa musique et la nature et réalise alors Le mal n'existe pas, son premier film rural, ainsi que son faux jumeau, Gift, film musical muet qui en reprend la trame mais plus court et presque sans dialogues, inscrits sur de parcimonieux cartons.

Dans Le mal n'existe pas une large place est donné à de longues plages musicales répétitives brusquement interrompues. Cette rupture dans l'harmonie surprend et inquiète tout comme l'arrivée des deux commerciaux de Playmode qui met en danger l’équilibre écologique du site et risque d'affecter profondément la vie de Takumi et des villageois. Dans le village où chacun mène une vie modeste en harmonie avec son environnement, chaque changement est porteur de menace. Les coups de feu, entendus et commentés à deux occasions, avec le restaurateur puis Takahashi et Mayuzumi ; la dépouille de la biche montrée deux fois avec Hana puis Mayuzumi ; l'énonciation du danger à se mettre en travers de la route de cerfs blessés ; l'oubli par Takumi d'aller chercher sa fille et même les deux photographies de la mère, protection disparue, disposées dans le foyer annoncent le drame à venir.

Profondément élégiaque tout comme la tonalité de la musique de Eiko Ishibashi, le film possède en son milieu toute une plage plus dans le style habituel d'Hamaguchi, si attentif à la parole. Elle débute avec la réunion publique où les arguments sont échangés avec une grande force et qui se prolonge avec le dialogue impossible entre les commerciaux sincères et l'expert et le patron arque boutés sur l'obsession d'obtenir les subventions covid. Ces deux épisodes se concluant par la discussion dans la voiture entre Takahashi et Mayuzumi exprimant chacun leur souhait de changer de vie.

L'espoir de rédemption de Takahashi et Mayuzumi (sa blessure à la main puis son attente au soleil couchant) va être emporté par la puissance d'une nature blessée par les chasseurs et pas même par le glamping dont ils s'étaient fait les instruments. Le mal n'existe pas ; au-delà des tracasseries sociales, c'est la force de la nature qui régit nos vies. La musique du film ne devrait pas nous le faire oublier.

Jean-Luc Lacuve, le 15 avril 2024.

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