Le petit soldat

1963

Voir : photogrammes , extrait sonore

Avec : Michel Subor (Bruno Forestier), Anna Karina (Veronica Dreyer), Henri-Jacques Huet (Jacques), Paul Beauvais (Paul), Laszló Szábó (Laszlo). 1h28.

Genève 1958. La France doit faire face à la guerre d'Algérie. Bruno Forestier, déserteur, travaille en Suisse pour le compte d'un parti de droite qui combat le FLN. Cet engagement n'est pas le fait d'un choix lucide. Bien au contraire, Bruno, personnage naïf, est en proie aux plus déconcertantes contradictions intellectuelles. Il rencontre Véronica Dreyer, dont il tombe amoureux. Ses amis, le soupçonnant de pratiquer le double jeu, veulent le mettre à l'épreuve. Ils lui ordonnent d'assassiner Palidova, le commentateur politique de Radio Suisse. Bruno essaye de gagner du temps.

Le jeune agent secret s'attarde volontiers chez Véronica qu'il prend comme modèle pour une série de photographies. Les membres du réseau anti-FLN mettent au point un chantage qui obligerait Bruno à passer à l'action. Ils organisent un banal accident de voiture, avec délit de fuite, pour faire intervenir la police suisse. L'attentat échoue car Bruno se montre trop hésitant. Capturé par les militants FLN il est torturé. Sa résistance à la souffrance est pour lui une occasion de prouver sa liberté. Il parvient à s'échapper et il rejoint Véronica. Mais celle-ci travaille pour le FLN. Les amis de Bruno l'enlèvent, la séquestrent et la torturent à mort. C'est après avoir tué Palidova que Bruno apprend la mort de la jeune fille. Il ne lui reste qu'une chose : apprendre à ne pas être amer.

Réalisé en 1960, Le petit soldat est censuré et ne sort en salle que le 25 janvier 1963.

Dans la première séquence, on distingue la silhouette d'une maison et une voiture qui entre dans le champ, puis un planton à une frontière. On voit surtout le mouvement d'appareil, le déplacement rapide de la caméra. On entre ainsi dans le film par une embardée, par la brièveté et le mouvement. Pour Jean-Michel Frodon(1) , La réflexion est dès lors placée sous le signe de l'urgence et non pas de la tranquillité et de l'apaisement. S'explique ainsi mieux la première phrase prononcée par Bruno Forestier, déserteur français, réfugié en Suisse au temps de la guerre d'Algérie :

"Pour moi, le temps de l'action a passé. J'ai vieilli. Le temps de la réflexion commence".

Car le déplacement de la voiture amorcée de nuit se prolonge de jour jusqu'aux abords de Genève et l'on semble entrer dans un vrai film d'action avec intrigues d'espions, complots, poursuites, torture, suspens et assassinat. Il est pourtant bien clair que tout au long du film l'objectif de Bruno est de prouver sa liberté en refusant l'action immédiate.

Car selon Godard, le sujet du film est "la nostalgie de la guerre d'Espagne". Bruno oppose à son époque - sans idéal, celle de la guerre d'Algérie-, à celle de L'Espoir de Malraux, où l'action rejoignait la réflexion dans le dernier combat marqué par un engagement physique des intellectuels. Son temps ne peut être que celui du recul par rapport aux mots d'ordre militaires ou idéologiques.

La référence à Malraux traverse le film. "Un jour, j'ai écrit le roman d'un homme qui entendait le son de sa propre voix, et ce roman, je l'ai appelé La condition humaine."

La réflexion sur l'action engage aussi le cinéma lui -même. Ce deuxième film de Godard -même si pour cause de censure sur la guerre d'Algérie, il est son quatrième film distribué- est son vrai premier film. Il marque en effet un début du cinéma alors que A bout de souffle entretenait davantage un rapport avec le passé du cinéma. Le "moi" pourrait aussi bien, si on le veut, être remplacé par "Godard "ou même "le cinéma". Ce qui donnerait alors :

"Pour le cinéma, le temps de l'action a passé. Il a vieilli. Le temps de la réflexion commence".

Godard critique voulait comprendre le cinéma pour le transformer devenu cinéaste, Godard n'a pas cessé d'être critique. C'est à dire qu'il produit de la pensée critique avec les moyens du cinéma.

La réflexion du film porte ainsi sur la voix par le média du magnétophone et sur la vision
" A part nous-mêmes, notre visage et notre voix, nous n'avons rien. Mais peut-être que c'est ce qui est important : arriver à reconnaître le son de sa propre voix et la forme de son visage. De l'intérieur il est comme ça (concave) et quand on le regarde, il est comme ça (convexe)".

Métaphore sur la connaissance ; sur la liberté des acteurs "Les acteurs je trouve ça con, je les méprise...ce ne sont pas des gens libres"; évocation de la cinéphilie via la première apparition d'Anna Karina en Veronika Dreyer premier prénom et nom cinéphilique, le film n'est que lointainement un film d'action ou même un film d'amour. Malgré l'assassinat de Veronika, Bruno est content : il aura du temps pour apprendre à ne pas être amer.

 

(1) Jean-Michel Frodon : Conférence du 16 novembre 2003, Université populaire de Caen

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