Zero dark thirty

2012

(The Hurt Locker). Avec : Jeremy Renner (William James), Anthony Mackie (Sergent JT Sanborn), Brian Geraghty (Le démineur Owen Eldridge), Guy Pearce (Sergent Matt Thompson), Ralph Fiennes (Le chef de section), David Morse (Colonel Reed), Evangeline Lilly (Connie James), Christian Camargo (Colonel John Cambridge), Suhail Aldabbach (L'homme en costume noir), Christopher Sayegh (Beckham). 2h04.

Onze septembre 2001. Off et sur écran noir : cris et pleurs des victimes des attaques contre les deux tours du World Trade center.

2003. Camp noir d'Afghanistan. Ammar est torturé au waterboarding, bourré de coups, traité avec douceur puis humilié par Dan, un agent de la CIA. Maya, nouvellement affectée, vomit mais continue d'assister aux séances de torture. La torture a pour but d'extirper des informations permettant d'empêcher un attentat déjà planifié par le réseau jihadiste et de mener le renseignement américain jusqu'au chef de ce réseau. Les attentats 12 mai 2003 dans un complexe résidentiel de Ryad en Arabie Saoudite pas plus que ceux de 2005 à Londres ne peuvent être empêchés mais, profitant de l'isolement d'Ammar, Maya finit par lui soutirer quelques noms de complices, notamment celui d'Abu Ahmed, le messager entre Abu Faraj et Oussama Ben Laden.

Le 20 septembre 2008 Maya et Jessica, sa collègue de la CIA sont à l'Hôtel Marriott d'Islamabad quand une voiture piégée incendie le restaurant. Les deux jeunes femmes s'en sortent indemnes.

Le 30 décembre 2009, Jessica a rendez-vous au Camp Chapman en Afghanistan avec un médecin qui pourrait par la suite être appelé auprès de Ben Laden. La voiture approche et explose faisant neuf victimes américaines dont Jessica. Ce même jour, Maya apprend qu'Abu Ahmed est mort depuis 2002 et en peut donc être le fil qui la reliera à Ben Laden.

Dan est épuisé et rentre à Langley au siège de la CIA. Une jeune collègue de Maya lui remet un dossier sur Abu Ahmed qui, suite à une erreur humaine, s'était perdu. Maya est alors persuadée que ce n'est pas son Abu Ahmed qui a été enterré en 2002 mais l'un de ses frères. Elle obtient auprès de Joseph Bradley les 400 000 dollars nécessaire à la corruption d'un émir d'Arabie saoudite qui leur donnera le numéro de téléphone d'Abu Ahmed al-Kuwaiti.

A l'ambassade des Etats-Unis, Joseph Bradley est repéré comme espion et honni par la foule pakistanaise. Il doit lasser sa place. Maya obtient de son remplaçant les moyens de mettre en place un réseau d'agents pouvant repérer l'homme qui possède le numéro de téléphone obtenu en Arabie saoudite.

Une fois celui-ci repéré, il faut un nouveau réseau d'agents pour le suivre jusqu'à la possible cache de Ben Laden : une maison fortifiée d'Abbottabad.

Maya rentre alors à Langley mais il lui faut plusieurs mois pour convaincre les pontes de la CIA qu'il s'agit bien de la cache de Ben Laden.

Une équipe des SEAL (principale force spéciale de la marine de guerre des États-Unis) parvient à l'éliminer dans la nuit du 1er au 2 mai 2011 avec l'opération Neptune's Spear (Trident de Neptune). A minuit et demie (Zero Dark Thirty en jargon militaire), elle prend d'assaut la maison fortifiée et tue le chef d'Al-Qaida.

Maya qui a consacré toute sa vie à la traque de Ben Laden dispose d'un grand avion vide pour rentrer chez elle. Elle pleure.

Le film réduit le traumatisme collectif du onze septembre à la traque obstinée par un individu de son commanditaire. Caractéristique de cette démarche : les pleurs off et sur écran noir de 3 000 victimes et de leurs familles ouvrent le film qui se termine sur les pleurs de Maya en gros plan. Le scénario est loin d'avoir l'ampleur politique que l'on pourrait attendre d'un tel évènement et, plus grave peut-être, il réifie la guerre comme solution aux problèmes.

Une traque qui ne prouve jamais son origine documentaire

Le scénario est très romancé pour créer le personnage de Maya à la psychologie la plus réduite possible, qui n'est censé se définir que par son obstination. La succession des péripéties de la traque sont plutôt variées mais orientées dans le seul axe d'une success story contestable. La traque de Ben Laden est justifiée par le fait que, sans lui, les attaques contre le territoire américain, censé être son obsession, cesseront. Passe encore pour le nationalisme étroit d'un tel objectif mais cela évite à tous ceux que manipule Maya de se poser des questions. Une seule chose les motive alors : la crainte de la faute professionnelle. Maya, mère fouettarde de la CIA trouve, comme c'est touchant (!), un interlocuteur valable avec le patron de la CIA.

Au final donc un film d'action, sans grand pouvoir documentaire car assez romancé sur l'enchainement des faits : l'attentat à l'Hôtel Marriott d'Islamabad ne semble avoir pour but que de préparer l'angoisse de la séquence du camp Chapman ; l'écriture sur la glace des jours d'inactivité qui défilent une fois Ben Laden localisé semble trop belle pour être vraie.

Une attaque pour effacer le onze septembre

Après le onze septembre, Inside man (Spike Lee, 2006), V pour Vendetta ,(James McTeigue, 2006), L'échange (Eastwood, 2008) ou The visitor (Thomas McCarthy, 2008) avaient montré la révolte contre la la paranoia sécuritaire qui s'etait emparée de l'Amérique après l'effondrement des tours jumelles. Tous ces films montraient ainsi les conséquences du Patriot act sur la société américaine. Les Américains n'ont jamais voulu comprendre leurs ennemis qu'ils considèrent dans une absolue altérité. Les westerns et les films de guerre américains font peu de cas de la psychologie de l'ennemi. A trop s'en approcher, comme le fait le cinéma européen, on court le risque de l'humaniser et de montrer la guerre, non comme une solution pour résoudre les conflits, mais pour ce qu'elle est : une tragédie où s'entretuent des êtres humains.

C'est à cette réification américaine de la solution guerrière que se plie Kathryn Bigelow dans Zero dark thirty. Si elle prend acte -sans point de vue- de la torture comme moyen d'obtenir des renseignements auprès des terroristes, elle abandonne torturés (Ammar) et tortionnaires (Dan sans traumatisme une fois au siège de la CIA) sans que l'on sache ce qu'ils deviennent et comme si cela n'avait finalement guère d'importance. L'attaque de nuit de la cache fortifiée de Ben Laden dit l'efficacité de l'armée. Il n'est pas jusqu'aux bavures (atterrissage raté d'un hélicoptère, tirs meurtriés sur des femmes) qui ne montrent l'humanité des soldats. Ben Laden n'est montré que du bout de la barbichette. Selon la volonté de l'administration Obama, il s'agit bien de le faire disparaitre, d'éviter tout ce qui pourrait en faire un héros, un martyr.

Que l'Amérique efface ses ennemis, c'est chose hélas devenu banale, que son cinéma en fasse autant est tout aussi inquiétant.

Jean-Luc Lacuve le 29/01/2013.