Bled number one

2006

Avec : Rabah Ameur-Zaïmeche (Kamel), Meryem Serbah (Louisa), Abel Jafri (Bouzid), Meriem Ameur-Zaïmeche (La mère), Larkdari Ameur-Zaïmeche (Le père), Ramzy Bedia (Le mari de Louisa). 1h40.

A peine sorti de prison, Kamel est expulsé vers son pays d'origine, l'Algérie. Cet exil forcé le contraint à observer avec lucidité un pays en pleine effervescence, tiraillé entre un désir de modernité et le poids de traditions ancestrales.

Rabah Ameur-Zaïmeche est retourné, comme il en l'habitude, dans son village natal pour tourner le parcours mental d'un homme qui tente de s'ouvrir à la sensibilité de ses amis d'enfance et qui s'en trouve rejeté.

Le long travelling parcourant la rue centrale du bled, filmé depuis le haut du taxi qui l'emmène retrouver ses parents et amis, figure ce chemin calme et déterminé que souhaite emprunter Kamel pour retrouver ceux qu'il a perdus de vue.

L'accueil est d'abord chaleureux et ce d'autant plus que Kamel conforte ses cousins dans leur conviction religieuse se disant ravi d'écouter les prières depuis le minaret voisin. Le retournement de la chaleur en hostilité est d'autant plus violent qu'il survient brutalement, lorsque Kamel reproche violemment à Bouzid d'avoir frappé sa sœur. La solidarité des hommes rend efficace la constitution d'une milice capable de résister aux oukases des intégristes musulmans. Elle se constitue cependant sans les femmes, entité séparée condamné à la soumission au mari, aux taches ménagère et à l'éducation des enfants.

Ces hommes condamnés à l'oisiveté par un chômage élevé se contentent, au mieux, de résister, au pire, de subir. Vieux gardiens tutélaires décrépis, ils sont à l'image de cette plage aux cargos échoués, rouillés qui laissent à Kamel et Louisa le seul plaisir d'un bain pris ensemble.

L'impossibilité d'un rapprochement physique constitue l'un des fils subtilement mis en place par Rabah Ameur-Zaïmeche. Le scénario appelle à la liaison de ces deux parisiens rejetés par leur village natal. Lorsque Kamel demande à saluer les femmes censées manger ensemble loin des hommes, le spectateur pressent plus ou moins qu'il souhaite voir Louisa. Et le metteur en scène répond à cette attente en filmant, de loin, leur rapprochement au milieu de la procession. La participation de Kamel au rite de désenvoutement de Louisa est cependant le seul prétexte à leur rapprochement que leur autorise le metteur en scène. Il est probable que la question du passeur sur le fait de savoir qui aime "tant que ça" Kamel se rapporte à Louisa mais nous n'en saurons pas plus. Dans cette société corsetée, Rabah Ameur-Zaïmeche ne peut que les condamner à l'exil.

Si Kamel finira par choisir l'exil en Tunisie, lui et Louisa en passent d'abord par un exil mental. C'est probablement ainsi que peuvent s'interpréter les superbes moments musicaux du film.

Dans le premier Kamel, dans un paysage de carte postale (un lac entouré de montagne) écoute une intervention de Rodolphe Burger assis sur la colline, qui chante un poème de William Blake, guitare à la main, ampli à ses côtés. La chanson commencée la nuit sur des images de Kamel errant seul après son altercation avec Bouzid et se terminant à l'aube dit assez que cette séquence est posée en rupture de scénario comme une fuite mentale de Kamel. Il en est de même de la dernière séquence évoquant peut-être le désir de liberté de Kamel avant son départ pour la Tunisie.

Quant à Louisa c'est dans un hôpital psychiatrique qu'elle réalisera son rêve de devenir chanteuse. L'hôpital est probablement la métaphore d'un cerveau ne réalisant sa liberté que devenu fou... pas à lier heureusement. La liberté ne peut-être acquise qu'à l'intérieur. Ces femmes ont beau dire qu'elles aiment l'Algérie comme la France, à l'extérieur de l'hôpital ne flottent que les seuls drapeaux de l'Algérie et des trois couleurs, blanc, vert et rouge, qui les composent.

L'Algérie n'est décidément plus une terre hospitalière à l'étranger.

Jean-Luc Lacuve le 21/06/2006

Note : L'image vidéo du film est vraiment très désagréable.On croit d’abord voir des fleurs parmi les branchages et non de la viande. Tous les mouvements sont flous, sans profondeur de champ. Seuls les gros plans ou les plans moyens sans mouvement sont vraiment nets. Dématérialisée, l’image perd sa capacité documentaire pour renforcer le parcours mental de Kamel. L’essentiel est préservé mais un peu plus de moyens financiers seraient les bienvenus.