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(1858-1941)
Post-Impressionnisme

Maximilien Luce, nait le 13 mars 1858 Militant libertaire, il produit de nombreuses illustrations engagées politiquement. Il est également graveur, portraitiste et affichiste. Son premier tableau connu date de 1876. À partir de 1885, et durant une quinzaine d'années, il s'inscrit dans le mouvement néo-impressionniste : il use de la technique du divisionnisme (ou pointillisme), développée par Georges Seurat. Il revient par la suite à une facture plus classique, mais qui garde l'harmonie et la luminosité de sa première période. Ilmeurt le 6 février 1941 à Paris.

La fin de la journée. Débardeurs de ciment 1889 Grenoble, musée des beaux-arts
Usines près de Charleroi 1897 Paris, Musée d'Orsay.
Chantier 1911 Paris, Musée d'Orsay.
     

Maximilien Luce naît dans le 7ème arrondissement de Paris le 13 mars 1858 de Charles Désiré Luce, comptable, et de Louise Joséphine, née Dunas. En 1870, il obtient son certificat d'études. Durant la Commune, il suit les cours de dessin de l'École des arts décoratifs de Paris. En mai 1871, il a 13 ans quand il assiste à la répression contre les communards. Il va rester marqué toute sa vie par ces exactions. En 1872, il entre en apprentissage dans l'atelier de gravure sur bois d'Henri Théophile Hildibrand, et il suit des cours du soir dans l'école de dessin et de modelage de la rue de Vaugirard. Il est admis aux cours de dessin que le peintre Diogène Maillart donne aux ouvriers des Gobelins. En 1876, il devient ouvrier graveur dans l'atelier d'Eugène Froment, qui produit notamment des gravures sur bois pour L'Illustration. Luce fréquente l'Académie Suisse. Il exécute son premier tableau connu, Jardin à Montrouge, ou Le Jardin au Grand Montrouge1. Il étudie d'après modèle deux années durant dans le célèbre atelier de Carolus-Duran.


Le 7 novembre 1879, il est incorporé au 48e régiment d'infanterie de ligne, à Guingamp, au titre du service militaire. Il y fait la connaissance du peintre Franck Antoine Bail, du futur président Alexandre Millerand et de Frédéric Givort, un cordonnier anarchiste. En 1881, sur intervention de Carolus-Duran, Luce est mis en subsistance au détachement du 48e RIL, à Paris. Il peut ainsi fréquenter à nouveau l'atelier de Carolus-Duran, et retourner travailler chez Eugène Froment. Par l'intermédiaire de Charles Baillet, ami d'enfance de Frédéric Givort, il intègre le groupe anarchiste du 14e arrondissement. En septembre 1883, il est libéré de ses obligations militaires. L'invention de la zincographie ayant sensiblement réduit les débouchés de la gravure sur bois, Luce devient peintre à plein temps.

Les années 1884 à 1886 marquent un tournant important dans l'histoire de la peinture. En 1884, des artistes souhaitant exposer librement et s'affranchir de l'influence de tout jury créent le Salon des indépendants. L'un d'eux, Georges Seurat, s'inspirant de travaux scientifiques, renonce à la trituration des couleurs sur la palette, qui fait perdre de la luminosité. Il procède par juxtaposition de points de couleurs complémentaires. Il compose ainsi une lumière que l'œil du spectateur va synthétiser. Georges Seurat parle de cette division des tons comme de chromo-luminarisme ou de divisionnisme (tandis que des critiques parlent de pointillisme). Cette application scientifique du Traité des couleurs rompt avec la spontanéité « romantique » de l'impressionnisme. Le premier grand tableau de Seurat appliquant sa théorie, Un dimanche après-midi à l'île de la Grande-Jatte, fait sensation en mai 1886, à la huitième et dernière exposition impressionniste. En septembre, le critique Félix Fénéon, donne au divisionnisme le nom de néo-impressionnisme. De 1884 à 1886, Luce effectue plusieurs séjours à Lagny-sur-Marne, en compagnie d'Émile-Gustave Cavallo-Péduzzi et de Léo Gausson, qu'il a connus à l'atelier d'Eugène Froment. Les deux peintres le tiennent informé des recherches de Seurat, ils l'initient à sa technique. C'est à Lagny-sur-Marne, en 1885, que Luce commence à produire dans une facture divisionniste.

Au printemps 1887, les œuvres des néo-impressionnistes sont réunies pour la première fois au Salon des indépendants. Luce y expose sept toiles divisionnistes. Il y fait la connaissance de Georges Seurat, du critique anarchiste Félix Fénéon et des peintres néo-impressionnistes et anarchistes Camille Pissaro et Paul Signac. Ce dernier lui achète La Toilette. Les œuvres de Luce sont à cette époque de couleurs sombres, d'une « touche serrée ». Ce sont bien souvent des paysages de banlieue.

Luce est aussi un militant libertaire. Le 24 décembre 1887, son premier dessin politique paraît dans La Vie moderne. Le 22 mai 1888, il monte à la tribune lors d'une réunion publique du Comité révolutionnaire des Quatre Chemins. Il incite des ouvriers en grève à la violence, « seul moyen pour eux d'avoir gain de cause ». Le 24 février 1889, Émile Pouget lance l'hebdomadaire anarchiste Le Père Peinard , auquel Luce collabore régulièrement.

En février-mars 1889, il est invité à exposer au Salon des XX, à Bruxelles. Il y fait la connaissance du poète Émile Verhaeren et du peintre divisionniste Théo Van Rysselberghe. En 1891, il entame une liaison avec Ophélie Bresdin. En 1892, il retourne au Salon des XX. Cette année-là, il vit très mal le départ d'Ophélie. Pour lui changer les idées, Camille Pissarro l'entraîne à Londres où ils louent un logement à Kew. Puis, Paul Signac l'accueille à Saint-Tropez. À la fin de l'année, Luce participe à l'Exposition des peintres néo-impressionnistes. C'est, autour d'œuvres de Seurat, la première manifestation du groupe néo-impressionniste « en tant que mouvement uni ».

En 1893, Luce rencontre Ambroisine Bouin, une jeune fille d'Audierne qui devient sa compagne. L'année suivante, le 6 juin, le couple a un fils, Frédéric. Le 24 juin, le président de la République Sadi Carnot est assassiné par l'anarchiste italien Caserio. Suspecté de complicité, notamment en raison de sa collaboration au Père Peinard, Luce est arrêté le 6 juillet. Il est incarcéré à la prison Mazas. Mais il est trop tard pour l'inclure dans le Procès des Trente, qui a lieu du 6 au 12 août. Il est relâché le 17 août, faute d'éléments sérieux contre lui. Il tire de cet épisode dix lithographies sur la vie carcérale. Elles sont réunies dans l'album Mazas, accompagnées d'un texte de Jules Vallès.

Le petit Frédéric meurt en septembre 1895 des suites d'une insolation. Les amis tentent de soutenir les malheureux parents. Les Verhaeren invitent le couple à Bruxelles. Luce et Théo Van Rysselberghe se rendent ensemble à Charleroi. Luce visite une aciérie. Il éprouve un choc. Le fort caractère du pays Noir et de la vallée de la Sambre le laisse tout étourdi. La couleur étant « à peu près absente », il ne juge pas utile de recourir ici à la division des tons, il préfère se fier à son instinct : à partir de cette année-là, il délaisse peu à peu le divisionnisme.

Un second fils, prénommé lui aussi Frédéric, qui sera lui aussi artiste peintre, naît le 19 juillet 1896. Luce retourne à Charleroi pour travailler. Il y séjourne trois mois. Il visite Couillet, Marchiennes, Marcinelle, Châtelet. Il est fasciné par les mines, les terrils, les usines, les cheminées, les hauts fourneaux. Cet univers sidérurgique marque profondément son œuvre, lui inspirant des visions d'enfer, de brasiers, de flamboiements dans la nuit, « d'hommes peinant dans une atmosphère étouffante » : L'Aciérie (1895), Hauts Fourneaux à Charleroi (1896)

La plupart des anarchistes néo-impressionnistes doutent de l'efficacité d'une peinture à caractère idéologique. Paul Signac estime qu'ils ne peuvent contribuer à l'émancipation du peuple qu'en produisant un art en lutte « contre les conventions bourgeoises et officielles ». Cet art, dit-il, doit rester « purement plastique » : le sujet ne doit pas avoir plus d'importance que la couleur, le dessin ou la composition. C'est donc sans misérabilisme, sans dénoncer l'injustice, sans contester l'autorité que Luce magnifie le dur labeur des hommes. Dans ses toiles consacrées au monde du travail, le drame est absent : Luce ne montre ni les terribles accidents ni les grèves ; c'est dans ses illustrations qu'il se réserve de dénoncer. Félix Fénéon trouve remarquable qu'il ne cède pas au sentimentalisme, qu'il ne fasse pas une féerie du flamboiement des forges, ni un drame de la hideur des hauts fourneaux et des terrils. Louis Vauxcelles relève lui aussi que Luce ne met ni emphase ni « exagération dramatique ». Il n'est guidé dans ses peintures, note Émile Verhaeren, que par le souci d'art. Le même Verhaeren félicite Luce d'avoir traduit "le tumulte des pays de flamme et de charbon : les usines compactes, les hauts fourneaux aux briques calcinées, les cheminées géantes, les terrils géométriques. Vous montriez ainsi, non seulement votre application à revêtir de la parure des couleurs et des lignes des fragments de monde que la beauté semblait bannir de son domaine, mais vous prouviez surtout quel talent aéré, puissant, farouche était le vôtre".

Au printemps 1897, Luce expose ses premières toiles de Charleroi. En fin d'année, il retourne à Couillet. Il descend dans une mine, visite une aciérie.

En 1898 et 1899, durant l'affaire Dreyfus, il soutient Zola, puis le colonel Picquart. Il signe une pétition, il produit des dessins dreyfusards. En 1899, il effectue un dernier séjour dans la vallée de la Sambre. Du 16 octobre au 1er novembre, son exposition personnelle à la galerie Durand-Ruel connaît un grand succès public et critique.

Au début du xxe siècle, il renonce définitivement aux points de couleur qui ont valu aux divisionnistes le surnom de pointillistes : sa touche s'étire et s'adoucit, il en vient à une facture plus traditionnelle, mais qui garde l'harmonie et la luminosité de sa première période. En 1902, meurt Eugénie Marie Bouin, la sœur d'Ambroisine. Maximilien et Ambroisine recueillent son fils, Georges. En 1905, au moment de la venue à Paris du roi d'Espagne Alphonse XIII, Luce est emprisonné quelques jours à titre préventif. En 1896, sans avoir recours à la division des tons, il représente le Percement de la rue Réaumur. Ce tableau annonce la série consacrée aux chantiers de Paris qui remodèlent le visage de Paris, à laquelle Luce travaille de 1902 à 1912. Il exalte l'effort de ceux qui construisent les grandes villes. Il n'éprouve pas la nostalgie de l'ancien Paris. Il aime les lignes géométriques des tranchées, des immeubles et des échafaudages. Elles structurent la composition des tableaux, aidées en cela, avec la même rigueur, par le choix des couleurs : « le bleu et le jaune, réveillés de touches rouges ou vertes ». Le peintre reproduit les gestes, les attitudes, les tenues des différentes corporations, les outils, les grues. Ici, pas de lutte des classes comme dans les dessins, mais une œuvre collective où chacun, de l'architecte au manœuvre, tient un rôle bien défini, offrant toute son énergie.

Les partisans de l'art moderne condamnent la peinture d'histoire, son exaltation de l'héroïsme, ses valeurs morales suspectes. Les anarchistes, de leur côté, inscrivent leurs revendications dans le présent. Leur seule référence historique est la Commune, une Commune dont le souvenir est escamoté par la bourgeoisie, un événement absent de la peinture bourgeoise. Luce innove donc à tout point de vue en se faisant peintre d'histoire. Trente ans après les faits, il évoque la répression de la Semaine sanglante qui a marqué son enfance. Si d'ordinaire il réserve le message politique à ses illustrations, s'il refuse de s'engager dans ses peintures consacrées au monde du travail, il prend ici parti pour les victimes. Sa dizaine de toiles consacrées à l'événement ne montre qu'exécutions et massacres.Une rue de Paris en mai 1871 (1903-1905), Le 18 mars, place Pigalle (1906), Vive la Commune (vers 1910), Les Derniers Défenseurs de la Commune, le 28 mai 1871 (1915), L'Exécution de Varlin (1910-1917), La République et la Mort (sans date)…

 

À partir de 1896, il fournit des illustrations au journal anarchiste Les Temps nouveaux. Il dessine aussi pour La Bataille syndicaliste. Au début de la Première Guerre mondiale, il colle à la ligne éditoriale de ce journal, qui défend l'Union sacrée. Il y publie des dessins bellicistes, au grand émoi de Paul Signac. Il refuse de signer la pétition de soutien au pacifiste Romain Rolland, considéré par beaucoup comme un traître. La correspondance de Luce montre qu'il croit toujours être un antimilitariste, voyant dans l'Allemagne une incarnation du militarisme. Il refuse de signer, tout en l'approuvant, le Manifeste des Seize. En 1915 et 1916, il cherche à montrer la portée sociale du conflit en peignant l'activité des gares parisiennes et l'arrière des combats. Loin de l'héroïsation de la propagande patriotique, il témoigne de « la réalité grise, pesante et dépourvue d'éclat » de la guerre. Il préfère montrer la portée sociale du conflit. Il peint l'arrière des combats, et consacre une série de tableaux aux gares parisiennes durant la guerre (permissionnaires et leurs familles, blessés, secouristes…) Dans La Gare de l'Est (1917), la souffrance et le désarroi de quelques soldats entassés occupent un premier plan sombre, tandis qu'en arrière-plan sur la place, en pleine lumière, indifférente, l'armée présente son visage martial et guilleret. En octobre et novembre 1916, Luce réunit une cinquantaine d'œuvres sous le titre Les Gares de Paris pendant la guerre. L'exposition passe presque inaperçue

En août 1916, son fils est mobilisé. En 1917, il découvre Rolleboise, sur les bords de la Seine. Il y acquiert une maison en 1920 et se partage désormais entre ce lieu et Paris où il quitte, la même année, le 16e arrondissement pour s'installer 16 rue de Seine. Il a alors une vision du monde apaisée. Il représente, comme l'avaient fait les premiers impressionnistes, la nature, les bords de Seine, les baigneurs (Rolleboise, la baignade dans le petit bras, vers 1920)

Durant les années 1930, il fait partie du comité d’honneur de la Ligue internationale des combattants de la paix, la plus radicale des organisations pacifistes, qui a pour mot d’ordre : « Non à toutes les guerres ! » En 1934, après les émeutes de février, il signe Appel à la lutte, le tract antifascite d'André Breton. En novembre, il succède à Paul Signac en tant que président de la Société des artistes indépendants.

Il épouse sa compagne Ambroisine Bouin le 30 mars 1940. Elle meurt à Rolleboise le 7 juin. À la fin de l'année, Luce démissionne de la présidence des Artistes indépendants pour protester contre la politique de discrimination de Vichy à l’égard des artistes juifs. Il meurt à Paris le 7 février 1941. Il est inhumé aux côtés de son épouse, au cimetière de Rolleboise.

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