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Sicile (vue d'Agrigente)

1954

Sicile (vue d'Agrigente)
Nicolas de Staël, 1954
Huile sur toile, 114 x 146 cm
Musée de Grenoble

Sicile rend parfaitement l’impression de vertige que l’artiste a eu devant ces sites antiques, dans cette île où la mer est partout. Staël aime particulièrement la mer et l’immensité spatiale qui s’y rattache. A cela s’ajoute celle du temps et de l’éternité liée aux vestiges grandioses. Il s’agit ici de ce vertige “en grand” dont il parle dans une lettre à Pierre Lecuire du 9, 12, 1954. “Mais le vertige, j’aime bien cela moi. J’y tiens parfois à tout prix, en grand.” C’est l’essence singulière de ce paysage que Staël veut fixer dans la stridence aveuglante de la couleur, où les rapports osés des tonalités cherchent leur point d’équilibre. Les violets et les jaunes citron éclatent. Le ciel vert traversé par les raclures du couteau trouve sa complémentaire dans une forme rouge au-dessus de laquelle il s’ouvre. Il occupe la moitié du tableau tandis que le reste de la composition se structure en des plaques triangulaires dont les couleurs fluides convergent autour d’un carré rouge, point de fuite qui fait face au spectateur et qui n’est plus virtuel, mais représenté.
“On ne peint jamais ce qu’on croit voir, on peint à mille vibrations le coup reçu, à recevoir…” écrit de Staël. (A Pierre Lecuire, 3, 12,1949.) Nous sommes ici, selon les mots du peintre, “ni trop près, ni trop loin du sujet”, dans la réalité “retranspirée” par l’artiste, comme l’écrivait Artaud au sujet de Van Gogh. Les larges plages de couleur lumineuses gardent l’essentiel du lieu et de la sensation, et le paysage se lit à l’enseigne de l’excès: excès de la couleur poussée à l’extrême de sa puissance, de la lumière qui en découle, de l’espace qui semble se dilater à l’infini par la tension des formes découpées et prises dans un glissement tectonique. Rien ne tient en place, toute chose saisie dans son apparaître-disparaître se tient au bord de l’évanescence, et le paysage vit au rythme de l’instant.

Peint à la fin de sa vie , ce paysage de Nicolas de Staël est un bel exemple de son retour à la figuration et aux genres qui l'ont traditionnellement codifié. Une nouvelle technique y est élaborée. La couche picturale que de Staël maçonnait auparavant en plaques est ici allégée dans des grandes plages lumineuses de couleurs vives , travaillées au couteau, et laissant parfois transparaître la toile. La moitié inférieure de ce paysage achemine le regard vers un centre qu'occupe un carré rouge par une architecture très simple de plans triangulaires qui suggèrent une perspective loitaine. La dissonance du violet dans la vaste zone jaune vif, reprise par le vert du ciel, la vibration à la rencontre du rouge et du vert traduise l'éblouissement du soleil. Cette dernière période du plus célèbre des peintres de l'école de Paris conclut une oeuvre qui a toujours allié le travail à la matière à la recherche formelle.