Sicile rend parfaitement limpression de vertige que lartiste
a eu devant ces sites antiques, dans cette île où la mer est
partout. Staël aime particulièrement la mer et limmensité
spatiale qui sy rattache. A cela sajoute celle du temps et de
léternité liée aux vestiges grandioses. Il sagit
ici de ce vertige en grand dont il parle dans une lettre à
Pierre Lecuire du 9, 12, 1954. Mais le vertige, jaime bien cela
moi. Jy tiens parfois à tout prix, en grand. Cest
lessence singulière de ce paysage que Staël veut fixer dans
la stridence aveuglante de la couleur, où les rapports osés
des tonalités cherchent leur point déquilibre. Les violets
et les jaunes citron éclatent. Le ciel vert traversé par les
raclures du couteau trouve sa complémentaire dans une forme rouge au-dessus
de laquelle il souvre. Il occupe la moitié du tableau tandis
que le reste de la composition se structure en des plaques triangulaires dont
les couleurs fluides convergent autour dun carré rouge, point
de fuite qui fait face au spectateur et qui nest plus virtuel, mais
représenté.
On ne peint jamais ce quon croit voir, on peint à mille
vibrations le coup reçu, à recevoir
écrit
de Staël. (A Pierre Lecuire, 3, 12,1949.) Nous sommes ici, selon les
mots du peintre, ni trop près, ni trop loin du sujet, dans
la réalité retranspirée par lartiste,
comme lécrivait Artaud au sujet de Van Gogh. Les larges plages
de couleur lumineuses gardent lessentiel du lieu et de la sensation,
et le paysage se lit à lenseigne de lexcès: excès
de la couleur poussée à lextrême de sa puissance,
de la lumière qui en découle, de lespace qui semble se
dilater à linfini par la tension des formes découpées
et prises dans un glissement tectonique. Rien ne tient en place, toute chose
saisie dans son apparaître-disparaître se tient au bord de lévanescence,
et le paysage vit au rythme de linstant.
Peint à la fin de sa vie , ce paysage de Nicolas de Staël est un bel exemple de son retour à la figuration et aux genres qui l'ont traditionnellement codifié. Une nouvelle technique y est élaborée. La couche picturale que de Staël maçonnait auparavant en plaques est ici allégée dans des grandes plages lumineuses de couleurs vives , travaillées au couteau, et laissant parfois transparaître la toile. La moitié inférieure de ce paysage achemine le regard vers un centre qu'occupe un carré rouge par une architecture très simple de plans triangulaires qui suggèrent une perspective loitaine. La dissonance du violet dans la vaste zone jaune vif, reprise par le vert du ciel, la vibration à la rencontre du rouge et du vert traduise l'éblouissement du soleil. Cette dernière période du plus célèbre des peintres de l'école de Paris conclut une oeuvre qui a toujours allié le travail à la matière à la recherche formelle.