Galeries
nationales du Grand Palais 3 octobre 2003 - 19 janvier 2004 Entrée square Jean Perrin 75008 Paris Informations : 01 44 13 17 17 |
Cette exposition prestigieuse marquant le centenaire de la mort de Paul Gauguin est organisée par la Réunion des musée nationaux, le Musée d'Orsay et le Museum of fine arts de Boston. Elle présente plus de 200 oeuvres au nombre desquelles le célèbre grand format D'où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? que l'artiste, sentant sa mort proche considérait comme son testament pictural.
L'exposition est conçue autour de ce monument de l'art occidental,
qui quittera exceptionnellement, pour la première fois depuis plus
de cinquante ans, le Museum of Fine Arts, à Boston.
Elle réunit aussi des peintures, sculptures, oeuvres graphiques, photographies
et objets océaniens inspirés par Tahiti et créés
durant les cinq dernières années que l'artiste passa dans cette
ile et dans les Marquises.
Il y a cent ans, le 8 mai 1903, mourait Paul Gauguin, isolé du monde, dans sa Maison du Jouir, à Atuona, aux Iles Marquises. Pour célébrer cet anniversaire, quelque cinquante ans après la commémoration de sa naissance, au musée de l'Orangerie en 1949, le musée d'Orsay, la Réunion des musées nationaux et le Museum of Fine Arts de Boston rendent hommage à celui qui, à la veille de sa mort, revendiquait "le droit de tout oser".
En 1897, lors de son deuxième séjour à Tahiti, Gauguin entreprit de peindre un grand tableau qu'il envisageait comme son testament pictural : "Alors j'ai voulu avant de mourir peindre une grande toile que j'avais en tête, et durant tout le mois j'ai travaillé jour et nuit dans une fièvre inouïe. Dame, ce n'est pas une toile faite comme un Puvis de Chavannes, études d'après nature, puis carton préparatoire, etc...", écrivit-il à son ami Daniel de Monfreid, poursuivant en ces termes : "Tout cela est fait de chic, du bout de la brosse, sur une toile à sac pleine de noeuds et rugosités, aussi l'aspect en est terriblement fruste." En haut à gauche du tableau, dans un large aplat de couleur jaune vif, il inscrivait : "D'où venons-nous? Que sommes-nous ? Où allons-nous ?", signant ainsi l'un de ses plus grands chefs-d'oeuvre. Quarante ans plus tard, cette somme picturale, qui a d'abord appartenu au collectionneur français Gabriel Frizeau, entrait dans les collections du musée de Boston.
Pour la première fois depuis plus de cinquante ans, cette oeuvre unique revient en France où elle sera entourée des huit tableaux - fragments-répliques ou études, selon le mot de Thadée Natanson - qui avaient été exposés avec elle à la galerie d'Ambroise Vollard en 1898.
Focalisée sur les deux séjours consécutifs de Gauguin à Tahiti (1891-1893) puis aux Iles Marquises (1895-1903), l'exposition remonte aux sources d'inspiration de D'où venons nous ? à travers les peintures et sculptures du premier voyage, témoins de l'appropriation progressive de la culture polynésienne par l'artiste, de sa quête du "sauvage", pour montrer ensuite les prolongements de cette oeuvre-testament au cours des cinq dernières années de sa vie tumultueuse. Autant de tentatives de réponses aux questions que formulait Gauguin sur la création artistique en donnant son titre au tableau de Boston : "Où commence l'exécution d'un tableau, où finit-elle?", alors qu'il s'interrogeait ainsi : "Au moment où des sentiments extrêmes sont en fusion au plus profond de l'être, au moment où ils éclatent, et que toute la pensée sort comme la lave d'un volcan, n'y a-t-il pas là une éclosion de l'oeuvre soudainement créée, brutale si l'on veut, mais grande et d'apparence surhumaine?... mais qui sait quand au fond de l'être l'oeuvre a été commencée?"
Autour de cette oeuvre-phare, centre même de l'exposition, sont réunies une cinquantaine de peintures réalisées au cours des deux séjours polynésiens de l'artiste - parmi lesquelles on peut citer Les ancêtres de Teha'amana (The Art Institute of Chicago), Te nave nave fenua, Terre délicieuse (Ohara Museum of Art, Kurashiki, Japon), Rupe Rupe, La cueillette des fruits (Musée Pouchkine, Moscou) - une trentaine de sculptures et objets d'art (ces fameux "bibelots ultra sauvages" puisant aux sources mêmes du primitivisme), plus d'une soixantaine d'oeuvres graphiques (dessins, pastels, gravures et monotypes), ainsi que les manuscrits majeurs de l'artiste, parmi lesquels Noa Noa, L'Ancien culte mahorie et le Cahier pour Aline.
Cet ensemble exceptionnel est situé dans le contexte ethnographique
et artistique océanien grâce à la présentation
d'une quarantaine de photographies (G. Spitz, G. Arosa, H. Lemasson...) et
d'objets polynésiens comparables à ceux que Gauguin avait pu
voir avant ou après son départ dans les mers du Sud.
Au total, plus de deux cents oeuvres provenant des musées et collections
privées d'Europe (Allemagne, Belgique, France, Grande-Bretagne, Italie,
...), d'Amérique (Boston, Chicago, New York, Washington...), de Russie
et du Japon
Parcours de l'exposition
Premier séjour à Tahiti
Les premiers mois de son installation, Gauguin se contente d'observer son
entourage et d'accumuler sous formes de dessins et de croquis d'innombrables
" notes " qui lui serviront de répertoire formel pour ses
uvres ultérieures. Investi d'une mission officielle du gouvernement
français pour fixer dans sa peinture " les paysages et le caractère
des habitants " de Tahiti, il peint d'abord une série de portraits
dont Vahine no te tiare, La femme à la fleur est un exemple éblouissant.
Teha'amana, sa jeune maîtresse alors enceinte, pose peut-être
pour Vahine no te vi, Femme
au mango.
A ces images colorées du charme et de la beauté mystérieuse de l'Eve du paradis tahitien (Te nave nave fenua, Parau na te varua ino, viennent s'ajouter des toiles où l'artiste, fasciné par le passé ancestral de l'île et la mythologie polynésienne, restitue par l'imagination les arcanes de l'ancienne religion tahitienne (Parahi te marae, Matamua, Hina Tefatou).
Dans Manaò tupapaú, sorte de moderne Olympia du Pacifique, il évoque dans des harmonies somptueuses, la terreur qu'inspirent aux naturels les revenants ou " tupapaus ". Lorsqu'il quitte Papeete pour regagner la France en juin 1893, Gauguin écrit avoir à son actif quelque soixante-six toiles et des sculptures, autant d'uvres qu'il désire montrer au public parisien dans une exposition qui se tiendra chez Durand-Ruel en novembre de la même année.
Les Ancêtres de Teha'amana
Dans Merahi metua no Tehamana ou Les Ancêtres de Teha'amana,
Gauguin fait le portrait de sa nouvelle compagne, une jeune tahitienne alors
âgée de quatorze ans vêtue d'une " robe mission ".
On retrouve une photographie présumée de la jeune fille (publiée
par Jean Loize en 1966) collée dans le manuscrit du Journal des Iles
de Victor Segalen de 1903. Gauguin sculpte également dans un bois de
pua le visage de Tehura, l'autre
nom de Teha'amana dans Noa Noa. A l'arrière-plan du tableau, l'artiste
représente Hina, la déesse de la lune, dans une attitude bouddhique,
des revenants ou " tupapaus " et, sous forme de frise, en haut de
sa toile, de curieux signes dérivés des glyphes gravés
sur une tablette en frêne de l'Ile de Pâques dite " Tahua
" dont il possédait une photographie partielle retrouvée
dans les papiers de Victor Segalen. Cet environnement complexe confère
à l'image de la jeune femme une aura de mystère, la faisant
l'héritière d'une lignée qui plonge aux sources mêmes
des croyances et de la mythologie de l'archipel.
Retour en France
Oviri
Entre ses deux séjours océaniens, Gauguin réalise à Paris, chez le céramiste Ernest Chaplet, son chef d'uvre en grès, sa plus grande pièce, dont il inscrit le nom sur la plinthe : Oviri.
Cette " tueuse " écrase un loup à ses pieds, étouffe un louveteau sous son bras. Le visage comme momifié évoque la destruction du moi civilisé que Gauguin croit nécessaire à sa régénération d'artiste.
Au sens étymologique Oviri veut dire " foncièrement replié sur son être ". Pour Gauguin Oviri signifie " sauvage " : il en fait son emblème. En octobre 1900 il réclame ce vase pour orner sa tombe à Tahiti. Son vu est exaucé en mars 1973, sous la forme d'un bronze déposé au cimetière d'Hiva Oa aux Marquises par la fondation Singer-Polignac.
Ce grès refusé au Salon de la Société nationale
des Beaux-Arts de 1895 est exposé à Béziers en 1901.
Acheté après la mort de Gauguin en 1905 par Gustave Fayet, exposé
au Salon d'Automne de 1906, il fascine les artistes d'avant-garde. Acquis
en 1925 par Ambroise Vollard, il passe dans la collection de son frère
Lucien puis dans celle de Jacques Ulmann avant d'entrer au musée d'Orsay
en 1987.
Autour de Noa Noa
De retour en France, Gauguin entreprend la rédaction d'un livre destiné à raconter son séjour à Tahiti et à présenter ses tableaux comme des illustrations d'épisodes vécus. Après avoir écrit le premier jet de son récit, il demande à l'écrivain symboliste Charles Morice, de l'aider à le mettre en forme et de le compléter par des poèmes en vers et en prose (vivo). Le manuscrit est retravaillé pendant l'hiver 1893-94 puis Gauguin entreprend de le recopier dans un album qu'il intitule Noa Noa/Voyage de Tahiti. Noa Noa signifie " odorant ", " ce qu'exhale Tahiti ", précise-t-il. Il réalise parallèlement une suite de dix gravures sur bois dont il assure lui-même l'impression avant d'en confier l'édition au peintre-graveur Louis Roy qui les tire en vingt-cinq à trente exemplaires. Les motifs repris de tableaux tahitiens des années 1891-93 ne sont pas en rapport direct avec le texte du manuscrit.
L'album est encore peu illustré lorsque l'artiste repart pour l'Océanie
en juin 1895 sans que Morice ait achevé sa partie. En 1897, renonçant
à introduire la totalité des poèmes de ce dernier, il
complète l'iconographie de son album par un assemblage audacieux d'aquarelles,
de photographies, de gravures et de monotypes de sujets tahitiens faisant
de Noa Noa un livre d'artiste d'une beauté et d'une modernité
exceptionnelles, où texte et illustration jouissent d'une grande autonomie.
Gravures et monotypes du second séjour en Océanie
A la fin de l'année 1899, Gauguin réalise une série de gravures sur bois avec l'idée qu'elles se vendront mieux que ses peintures. " Faites sur des planches quelconques et avec des yeux de plus en plus mauvais, ces gravures sortent forcément du sale métier ordinaire et sont très imparfaites, mais elles sont je crois intéressantes comme Art ", écrit-il à son ami Daniel de Monfreid au moment de l'envoi des tirages au marchand Ambroise Vollard. Plusieurs de ces estampes, dont les motifs sont repris de tableaux antérieurs et agrémentées d'un décor symbolique aux lignes sinueuses, semblent avoir été conçues comme des paires ou des frises.
A la même époque, l'artiste réalise des monotypes selon
un procédé qu'il vient de mettre au point. Après avoir
recouvert d'encre typographique un support plat et rigide, il pose par-dessus
une feuille blanche sur laquelle il dessine son motif au crayon ou au crayon
de couleur. La pointe mettant en contact étroit les deux surfaces permet
au trait de s'imprimer au verso. Gauguin considère cette épreuve
unique comme l'original de son dessin, dit " dessin-empreinte ".
Les riches effets de matière et de lumière ainsi obtenus baignent
les sujets dans un climat poétique et mystérieux.
Exposition galerie Vollard en 1898
En novembre 1898, des amis de Gauguin réussissent à convaincre Ambroise Vollard d'organiser dans sa galerie parisienne une exposition des dernières peintures envoyées par l'artiste : D'où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? ainsi que plusieurs compositions, huit ou plus, en rapport avec le grand tableau
Considérées comme des " fragments-répliques " ou des " études ", ces uvres d'un format presque identique, peintes sur des toiles épaisses, comportent des personnages et des motifs communs avec la grande fresque, comme vus en gros plan et sortis de leur contexte. Ces variations autour d'un thème philosophique, pensées surtout en terme d'harmonies colorées, rencontrent cependant un faible écho chez les visiteurs de l'exposition, habitués aux allégories à l'antique de Puvis de Chavannes et incapables d'apprécier les abstractions et les déformations volontaires de l'artiste. Elles sont toutefois perçues comme moins hermétiques que le tableau principal dont le sens, comme l'avait prédit le peintre, reste obscur. A l'issue de la manifestation, Vollard achète l'ensemble pour la faible somme de 1 000 francs.
L'exposition de 1898, reconstituée pour la première fois dans cette salle, restitue une vision subjective, distanciée et essentiellement décorative de Tahiti par Gauguin.
Les Marquises
" Ma maison sera en bois sculpté. Je pourrai alors finir mes jours sans le souci du lendemain et sans l'éternelle lutte contre les Imbéciles " écrit Gauguin en 1894 à Daniel de Monfreid. S'il réalise la première partie de sa déclaration, le souhait qui suit n'est pas exaucé.
Le bois rouge qu'il achète en septembre 1901 est un séquoia importé. Bien que l'art primitif soit l'art d'avant l'écriture, Gauguin accompagne son décor de sentences : titre pour choquer sur le linteau, conseils sur les plinthes. " Soyez amoureuses, vous serez heureuses ", " Soyez mystérieuses " reprennent les " impératifs catégoriques " déjà inscrits sur ses reliefs bretons de 1889 et 1890 (salle 1).
A la vente après décès de Gauguin à Papeete le 2 septembre 1903, le médecin de la marine, Victor Segalen achète quatre panneaux. Il les donne au poète Saint-Pol-Roux pour son manoir de Bretagne. Le cinquième, la plinthe gauche, qui est signée, va marquer le cubisme à Paris au début du XXe siècle : la femme au bras levé se retrouve au centre des Demoiselles d'Avignon de Picasso de 1907.
Depuis 1990, les cinq panneaux de sa " petite forteresse des Marquises
" comme l'appelle Gauguin, sont réunis au musée d'Orsay.