L’école du regard : Caravage et les peintres caravagesques dans la collection Roberto Longhi Musée des beaux-arts de Caen 29 mai - 17 octobre 2021 |
Éminent historien de l’art, Roberto Longhi (1890-1970) a consacré la plus grande part de ses études à Caravage et aux artistes qui ont assimilé sa leçon, depuis sa thèse, soutenue en 1911 à l’Université de Turin, jusqu’à la monographie publiée en 1952 à la suite de la grande exposition Mostra del Caravaggio e dei Caravaggeschi organisée à Milan en 1951.
Il a été l’un des premiers à définir le style direct et naturaliste du maître lombard, à évoquer son univers poétique et le rôle fondamental que joue la lumière dans ses tableaux, à saisir enfin la portée révolutionnaire d’un art qui fut adopté et divulgué par nombre de peintres italiens et étrangers.
Parallèlement à ses recherches, Roberto Longhi a réuni à partir des années 1920 une collection dédiée naturellement et essentiellement aux peintres caravagesques, véritable école du regard déclinant en une cinquantaine de tableaux les formules initiées par Caravage. Des peintures de grande qualité de Carlo Saraceni, Battistello Caracciolo, Orazio Borgianni, Matthias Stomer, Giovanni Lanfranco ou Mattia Preti y côtoient les Apôtres de Jusepe de Ribera, Le Reniement de Pierre, chef-dœuvre de Valentin de Boulogne, et le fameux Jeune Garçon mordu par un lézard, tableau exécuté par Caravage au début de son séjour romain (vers 1596-1597).
D’après cette dernière œuvre, acquise vers 1928, Longhi a réalisé un dessin qui témoigne de son habileté et de son acuité visuelle. La pratique du dessin, loin d’être une expérience isolée, aidait l’historien de l’art à mieux évaluer l’organisation spatiale et lumineuse des peintures admirées dans un musée ou appartenant à sa propre collection.
Lorenzo Lotto Venise, vers 1480 - Lorette, 1556-1557 «Lotto est un immense luministe [...]. On peut dire en particulier que la première manière luministe de Caravage [...] a été préparée - certainement surpassée - par le luminisme de Lotto». C’est ce qu’écrivait déjà Roberto Longhi en 1911. Dans sa Venise natale, Lotto est rapidement marginalisé par Titien, le maître de la scène artistique lagunaire, et se voit dès lors contraint de travailler en périphérie, à Trévise, dans la région de Bergame et dans les Marches. Sa première grande entreprise est la Vierge à l’Enfant avec des saints, peinte à Trévise entre 1504 et 1506, qui dénote une étude minutieuse d’Antonello de Messine et de Giovanni Bellini, mais est réalisée dans une manière très personnelle, à la fois mélancolique et agitée, caractéristique de toute la production de Lotto. En 1509, il est documenté à Rome, en contact avec Raphaël et d’autres artistes des chantiers de Jules II. Entre 1513 et 1526, il travaille dans la région de Bergame à des œuvres majeures, occupé en particulier à réaliser les fresques de la chapelle Suardi à Trescore Balneario. En 1527, il retourne à Venise et, de 1531 à 1539, se trouve dans la région des Marches. Entre 1539 et 1549, Lotto est de nouveau à Venise ou à Trévise. C’est à cette époque qu’il peint les deux paires de panneaux de l’exposition : Saint Pierre martyr et Un saint dominicain en prière (vers 1540), N
On sait peu de choses sur la formation de Bartolomeo Passarotti (1529–1592) qui, selon les sources, semble liée au cercle romain entre 1550 et 1555 puis vers 1560. Dès le début, Passarotti montre une attirance constante pour les plus nobles modèles émiliens du début du XVIe siècle, Corrège et Parmesan. En même temps, il s’intéresse beaucoup à la peinture des Pays-Bas, notamment à travers l’œuvre de Denijs Calvaert, artiste alors actif à Bologne. Passarotti doit également être distingué pour son activité de portraitiste et sa production très particulière de «peintures ridicules» qui combinent grotesque et allusions moralisatrices. Ces peintures comiques de Passarotti ne peuvent s’expliquer sans une fréquentation assidue de l’art flamand, de même que ses scènes de genre, les fameuses «botteghe». Ces dernières contiennent également de nombreux éléments grotesques comme en témoigne l’oeuvre de la collection Longhi représentant des Marchandes de poules. La forte veine naturaliste de cette peinture en fait un antécédent important de l’art de Caravage et de la nature morte du XVIIe siècle.
Acheté par Longhi à la fin des années 1920, Le garçon mordu par un lézard remonte au début du séjour romain de Caravage et frappe surtout par la surprise du garçon et son brutal sursaut dû à la douleur physique, exprimés par la contraction de ses muscles faciaux et la contorsion de son épaule. Une telle maîtrise dans le rendu des «mouvements de l’âme» a été immédiatement remarquée dans cette représentation dont on connaît deux versions, considérées tous deux comme autographes, celle de la Fondation Longhi et celle de la National Gallery de Londres. Dès 1642, Giovanni Baglione, l’artiste rival de Merisi, souligne dans une description fine du tableau la «diligence» dont fait preuve le peintre lombard dans le traitement de la nature morte — en particulier de la carafe transparente et des fleurs —, un genre pictural auquel Caravage rend dignité et autonomie.
Orazio Borgianni (1574-1616) est l’un des introducteurs du caravagisme en Espagne où il séjourne à deux reprises entre 1598 et 1605. Réceptif à diverses influences, celle des Vénitiens et de Greco mais aussi celle des Carrache, il réalise ses meilleures œuvres à Rome entre 1605 et 1616, la Sainte Famille de la Galleria Corsini, sculpturale et franchement luministe, étant son chef-d’œuvre. Parmi les compositions peintes à Rome figurent les deux tableaux de la collection Longhi, la Sainte Famille avec sainte Anne (1610) et la Déploration du Christ (vers 1615),œuvre d’une grande puissance émotionnelle. Le choix de tons bas et contrastés, entre des éclats de lumière et une obscurité qui engloutit le voile de Marie et relègue dans l’ombre le visage du Christ, incite à situer l’exécution de cette oeuvre intimement caravagesque à la fin de la carrière du peintre, peut-être vers 1615, année indiquée par la gravure. Roberto Longhi voyait dans la Découverte du corps de saint Marc par Tintoret l’une des sources de cette iconographie tandis que Federico Zeri, après Hermann Voss, rappelait le lien évident avec la célèbre Pietà de Mantegna, aujourd’hui à la Brera.
Il est très probable que presque toute la carrière artistique d’Angelo Caroselli (1585– 652) se soit déroulée à Rome. La formation et la chronologie de ses œuvres sont très problématiques. Le seul tableau qui peut être daté avec certitude est la Messe de saint Grégoire (Rome, Santa Francesca Romana) de 1631, même si, selon Passeri (1673), elle a été presque entièrement peinte par Francesco Lauro, le beau-frère de Caroselli. Les études modernes sur le peintre ont commencé avec les contributions de Hermann Voss (1924) et de Roberto Longhi (1927). Il ne fait aucun doute que le travail de Caroselli doit être lu en étroite relation avec les autres artistes caravagesques. La situation est également compliquée par son activité florissante de copiste, déjà attestée par des sources du XVIIe siècle. Caroselli fait preuve d’un goût éclectique et archaïque comme dans la Vierge à l’Enfant de la galerie Corsini à Rome. Sa peinture est imprégnée de la lumière nette et limpide qui vient d’Orazio Gentileschi. Il s’aventure souvent sur des sujets macabres, ésotériques ou mystérieux. L’Allégorie de la vanité (vers 1620), un des chefs-d’œuvre de l’artiste, appartient à cette catégorie.
Le Vénitien Carlo Saraceni (1585– 620) est dès 1598 présent à Rome où il se forme et effectue la plus grande partie de sa courte carrière. Son apprentissage commence dans l’atelier de Camillo Mariani puis se poursuit dans celui d’Adam Elsheimer. Il se montre très attentif aux œuvres de Caravage et des autres artistes caravagesques. Ironie de l’histoire, c’est à lui que revient l’exécution de la Mort de la Vierge pour l’église Santa Maria della Scala, en place du célèbre tableau de Caravage (aujourd’hui au Louvre) refusé par le commanditaire. Saraceni participe à la prestigieuse décoration de la Sala Regia du palais du Quirinal et peint deux retables pour l’église Santa Maria dell’Anima à Rome. En 1620, il retourne à Venise où il commence une peinture monumentale pour la Sala del Maggior Consiglio du palais des Doges, achevée après sa mort par son assistant Jean Le Clerc. Les deux œuvres de la collection Longhi donnent une idée complète de l’art de Saraceni. Le Moïse trouvé par la fille du pharaon (vers 1610) reflète l’attachement à l’héritage vénitien, mais aussi la leçon d’Adam Elsheimer tandis que sa Judith avec la tête d’Holopherne (vers 1618), dont une autre version est à Vienne, est au sommet du moment naturaliste.
Giovan Battista Caracciolo, dit Battistello, Christ mort transporté au tombeau, premier quart du XVIIe , huile sur toile, 128 x 164 cm
Jusepe Ribera, Saint Barthélémy, 1613, huile sur toile, 126 x 97 cm
Jusepe Ribera, Saint Philippe, 1613, huile sur toile, 126 x 97 cm
Jusepe Ribera, Saint Thomas, 1613, huile sur toile, 126 x 97 cm
Filippo Napoletano, Bivouac nocturne au clair de lune, autour de 1614-1617, huile sur ardoise, 24,5 x 33 cm
Viviano Codazzi, La Tour de Saint-Vincent à Naples, autour de 1620-1630, 59 x 80,3 cm
Pier Francesco Mazzucchelli, dit Morazzone, Couronnement d’épines, 1615, 145 x 116 cm
Valentin de Boulogne, Reniement de saint Pierre, 1620, huile sur toile, 171,5 x 241 cm
Andrea Vaccaro, David avec la tête de Goliath, autour de 1630, huile sur toile, 96 x 75 cm 43
Gioacchino Assereto, Samson et Dalila, autour de 1630, huile sur toile, 112 x 162 cm
Giovanni Andrea De Ferrari, Laban promet Rachel à Jacob, autour de 1630-1640, huile sur toile, 116 x 144 cm
Francesco Cairo, Judith avec la tête d’Holopherne, autour de 1640-1650, huile sur toile, 45 x 34,3 cm
Matthias Stomer, La Guérison de Tobit, 1640, huile sur toile, 155 x 207 cm
Giacinto Brandi : Saint Sébastien soigné par les anges, autour de 1665, huile sur toile, 248 x 173 cm (Au fond)
Giacinto Brandi, Saint Bruno, moitié du XVIIe , huile sur toile, 107 x 79 cm (à droite)
Mattia Preti, Suzanne et les vieillards, 1656-1659, huile sur toile, 120 x 170 cm (à gauche)
Carlo Ceresa, Portrait d’un vieux gentilhomme dans un fauteuil, 1640-1650, huile sur toile, 98,5 x 82 cm 47
Pietro Vecchia, Portrait de jeune homme, moitié du XVIIe , huile sur bois, 30 x 23 cm 48
Pietro Vecchia, Christ portant sa croix, moitié du XVIIe , huile sur toile, 138 x 96 cm 49
Giuseppe Caletti, Portrait de gentilhomme, moitié du XVIIe , huile sur toile, 54,5 x 46,5 cm 50
Monsù Bernardo, Bergère endormie, autour de 1655, huile sur toile, 62 x 73,2 cm
Jean-Luc Lacuve, le 7 juin 2021