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Des origines des pratiques performatives 1900-1940, conférence de Fabrice Flahutez, historien de l’art, cinéaste, éditeur, commissaire d’exposition, spécialiste du surréalisme, le lundi 22 janvier 2018 à l'Esam de Caen.

Cette conférence s’attache à retracer les prémices des pratiques performatives depuis le début du XXe siècle. Il s’agit de montrer que le corps entre en scène de manière progressive et constitue un enjeu historique et sociétal qui dépasse, de loin, la seule représentation. Cela  conduit à examiner la façon dont le primitivisme a innervé l'art occidental (1) et donnera lieu aux deux premières grandes oeuvres d'art total, toutes deux datées de 1913 : l'opéra futuriste russe Victoire sur le soleil et le ballet du Sacre du printemps (2). Viendront ensuite les performances du mouvement Dada (3), de l'école fonctionnaliste du Bauhaus (4) et du surréalisme (5).

1/ L'impact du primitivisme

Les pratiques performatives qui placent le corps au centre de l'action sont favorisées d'une part par l'idée d'art total, le rapprochement des arts (danse, théâtre, architecture, musique) et, d'autre part, par l'influence des objets et témoignages sociétaux et religieux ramenés des colonies où, le corps se met en scène d'une autre manière qu'en occident. Les valeurs de l'occident sont en effet remises en causes avec la guerre. Le primitivisme innerve. Il est une source de poésie préservée du chaos de l'Europe et recèle potentiellement un sentiment d'extase que l'on prête aux peuplades lointaines.

Sont ainsi directement influencées par le primitivisme : La danse (Henri Matisse, 1910), Danse autour du veau d'or (Emil Nolde, 1910), Nature morte aux masques (Emil Nolde, 1911), Danseuses aux bougies (Emil Nolde, 1912).

La danse
(Henri Matisse, 1910)
Danse autour du veau d'or
(Emil Nolde, 1910)
Nature morte aux masques
(Emil Nolde, 1911)
Danseuses aux bougies
(Emil Nolde, 1912)
La danse de l'antilope
La danse de l'antilope
(Emil Nolde, 1911)
Le baigneur
Le baigneur
(Kasimir Malevitch, 1910)

Emil Nolde est fasciné par la danse « en tant qu'expression artistique, en tant que mouvement et expression de la vie ». Cet intérêt profond se cristallise dans ses rencontres avec des danseurs, parmi lesquels Mary Wigman. Celle-ci devient un des modèles du peintre, qui la présente au chorégraphe Rudolf Von Laban, dont elle sera l'élève et l'assistante. Dans Danseuses aux bougies (1912), Nolde cherche à transposer le sentiment d’extase inhérent aux rituels de certaines cultures primitives : la facture du tableau met en évidence le geste de l'artiste, imprégné du mouvement des danseurs, comme s'il en épousait la transe. Le caractère sacré de cette danse est souligné par la présence des bougies.

Mary Wigman crée une danse d'«expression» qui implique un engagement total de l'être. Elle conjugue l'extase et le sacrifice dans son premier grand solo La Danse de la sorcière (1914).

L'influence des primitifs se retrouve aux USA avec La danse de l'antilope de B. J. O. Nordfeldt qui reprend l'héritage  de Cézanne et des fauves. Elle se retrouve en Russie avec le baigneur (Kazimir Malevitch,1910). Il faut désapprendre la peinture : les mains et pieds prennent une importance considérable

2/ Victoire sur le soleil et Le sacre du printemps

Victoire sur le soleil est un opéra futuriste russe créé en 1913 au Luna-Park de Saint-Pétersbourg. Cet opéra cherchait à souligner les parallèles entre le texte littéraire, la partition musicale et les arts graphiques.

Victoire sur le soleil (Moscou, 2014)

Le livret, écrit en zaoum, est dû à Alexeï Kroutchenykh, considéré comme l'une des plumes les plus radicales du futurisme russe. Il chante le triomphe de l’Homme sur la nature ainsi que sa supériorité obtenue par la machine. La musique a été écrite par Mikhaïl Matiouchine, le prologue fut ajouté par Vélimir Khlebnikov, et les décors furent exécutés par Kasimir Malevitch. La mise en scène fut dirigée par le groupe d'artistes Soyouz Molodyozhi.

L'opéra met en scène des personnages extravagants comme "Néron et Caligula en une seule personne", un "voyageur temporel", un "interlocuteur au téléphone", les "nouveaux" etc. Le succès fut considérable, même si le public réagit négativement et violemment à la cacophonie musicale.

Malevitch attribuera à cette pièce l'origine de la peinture suprématiste. S'il a fallu attendre 1915 et l'Exposition collective 0.10 de Petrograd pour contempler les premiers tableaux picturaux dits suprématistes, ce sont bel et bien les décors de la pièce théâtrale qui ont imposé le carré noir dans l'œuvre du peintre.

Le caractère absurde du livret lui avait inspiré des personnages en forme de marionnettes et des décors aux formes géométriques. L'importance de cess formes simples (cône, sphère cylindre) pour exprimer le monde en entier est un hétage de Cézanne. ces formes influençant en retour le jeu des acteurs. C'est un des rares exemples où une pièce de théâtre génère une nouvelle forme de vision, puis un mouvement pictural.

Le Sacre du printemps, ballet composé par Igor Stravinsky et chorégraphié par Vaslav Nijinski pour les Ballets russes de Serge de Diaghilev, fait sacndale lors de sa création au théâtre des Champs-Élysées à Paris, le 29 mai 1913. Ses deux parties, L'adoration de la terre  et le sacrifice, reposent sur le fantasme d'un primitivisme emrprunté aux tribus indiennes d'Amérique du nord. Leur économie non capitalistiques n'est pas basée sur l'accumulation des richesses mais le don, le potlatch . Elle est connu depuis la publicatione par Friedrich Engels en 1884 de L'Origine de la famille, de la propriété privée et de l'État, d'après les notes de Karl Marx sur les études anthropologiques des sociétés archaïques de Lewis Henry Morgan dont la tribu des Sénécas ou Tsonnontouans, peuple amérindien d'Amérique du Nord qui faisait partie de la Confédération iroquoise

3/ Dada

Dada nait en 1916 à Zurich sous l’impulsion d’Hugo Ball, créateur du Cabaret Voltaire, événement multidisciplinaire qui a réuni les esprits insurgés de Tristan Tzara, Hans Arp, Richard Huelsenbeck, Sophie Taeuber, Marcel Janco. Tous ont en commun un dégoût pour ce rôle de complices de la bourgeoisie destructrice dévolu aux artistes. Tous décident de faire sauter les frontières, celles qui enferment l’art dans une série de définitions, celles qui enferment l’homme dans les rouages aliénants de la machine à produire : des morts, des œuvres, de la poudre à canon.

Tristan Tzara de son vrai nom Sami Rosenstock,  essayiste et poète français d’origine roumaine participe à la naissance du mot « Dada » à Zurich et a été le plus actif propagandiste du mouvement. Il écrit les premiers textes Dada : La Première aventure céleste de Monsieur Antipyrine (1916),Vingt-cinq poèmes (1918), et le manifeste du mouvement : Sept manifestes Dada (1924), lequel est un recueil de manifestes lus ou écrits entre 1916 et 1924 (cet ouvrage est alors publié posthume par rapport à Dada).

Tzara, Huelsenbeck et Janco créent le poème simultané, phonique L’amiral cherche une maison à louer, au cabaret Voltaire de Zurich. Hugo Ball profère Karawane, poème incantatoire primitivisme hasard, aléatoire spontanéité, erreurs réhabilitées.

Ils remettent tout en jeu et revendiquent « la liberté totale de l’art , le partage d'intelligence et de ne pas s'inscrire dans un système. le mouvement éclate ensuite à Paris (Picabia), New York (Duchamp) et Berlin. L'évènement dada est une gifle au goût du public. il exige la fin du rapport passif du spectateur; la vie revient au centre du lieu. Hugo Ball se déguise pour la soirée d'avril 1917, épure du signe fin, de la distinction salle scène ; ne plus croire au langage, à ce qui est dit mais valoriser le son, ce qui vient des organes et qui fait du bruit

Dada est l'anthithèse du fascisme montant et de son retour à l'ordre. Sophie Tauber-Arp réalise des costumes inspirés des poupées Kachina des Indiens Hopi d'Arizona avec leurs figures géométriques et leurs forces provenant des disparus.

4/ Le Bauhaus

Ecole fonctionnaliste directement inspiré du constructivisme avec épure du signe mais aussi adéquation entre forme et fonction. 1915 La fête de la nouvelle objectivité. (Geroish, bewegung, sparche; son, mouvement, parole). Les costumes contraignent les corps à un certain type de mouvement.

Reconstitution du ballet triadique d'Oskar Schlemmer et Hannes Winkler

Ballet triadique (Triadisches Ballett) est une œuvre chorégraphique d'Oskar Schlemmer et Hannes Winkler, sur une musique de Paul Hindemith, créée au Festival de musique de chambre de Donaueschingen le 30 septembre 1922.

Les interprètes étaient Edith Demharter, Ralph Smolik et Hannes Winkler. Œuvre fondamentale du Bauhaus pour la danse moderne, ce ballet se fonde sur une approche pluridisciplinaire du mouvement, dont s'inspireront notamment Alwin Nikolais, Bob Wilson, Philippe Decouflé, Luc Petton et The Residents. Ce ballet dure plusieurs heures, et se voit comme une encyclopédie des conceptions de Schlemmer sur la mise en scène, choisissant le piano comme instrument de musique car il est - selon Schlemmer - un instrument mécanique, accordant la gestuelle de poupée des danseurs avec le ton boite à musique du piano, et se basant sur des harmonies à 3 : l'unité de la danse, de la musique et du costume, 3 parties, et 3 danseurs.

Schlemmer crée cette œuvre de façon pragmatique, en recherchant d'abord les personnages et leurs costumes, puis la musique qui va avec, enfin la danse correspondant à la musique. Il arrive à une description métaphysique d'un équilibre des contraires, entre concepts abstraits et pulsions affectives, typique de l'enseignement du Bauhaus. Contrainte poétique sur le corps de l'artiste (voir aussi la danse des bâtons), rapports subversifs et joyeux.

5/ Le surréalisme

Surréalisme, carton d'invitation de l'exposition internationale du surréalisme du 17 janvier 1938. On y voit une sorte de Frankenstein entouré de policiers. Mis en valeur les "Actes manqués" commandés à Hélène Vanel. L'espace d'exposition est plongé dans le noir. Les invités sont munis d'une torche électrique dans l'exposition. Au plafond des sacs de charbon et de l'eau par terre ; le but est de faire des rencontres dans l'espace d'exposition.

Le 12 décembre 1959, chez Joyce Mansour, avenue du Maréchal Maunoury à Paris, l'artiste québécois Jean Benoît exécute une performance qu'il prépare depuis une dizaine d'années et qui consacre son entrée dans le mouvement surréaliste. L'exécution du testament du marquis de Sade, cérémonie produite pour marquer le 145e anniversaire de la mort du marquis, ouvre symboliquement l'Exposition internationale du surréalisme dédiée à Eros. (Présence de Yves Klein, Festin Hans Belmer dans une cage ?).

Jean-Luc Lacuve, le 24 janvier 2018

 

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