Editeur : MK2. Juin 2009. Durée du film : 1h20 - Format image : 1.77. Anglais - Sous-titres : Français

suppléments :

  • Un livret de 20 pages : Le journal de tournage de Filippo Trojano, acteur d’Abbas Kiarostami

 

140 couvertures de Rolling Stones et un contrat d’exclusivité avec Vanity Fair font d’Annie Leibovitz la photographe des stars par excellence. Si ses objectifs ont mitraillé les plus grands de ce monde, c’est que la parution de ses clichés est toujours un événement. Complice avec ses modèles, l’artiste capte leur intimité ou les met en scène dans des environnements aux graphismes saisissants.

Pour la première fois, Annie Leibovitz a décidé de se dévoiler, devant la caméra attentive de sa jeune soeur Barbara. À travers des images d’archives rares, une bande son où interviennent The Rolling Stones, Noir Désir, John Lennon…, et les témoignages de célébrités telles que Keith Richards, Kirsten Dunst, Patti Smith ou encore Arnold Schwarzenegger, celle-ci tente de devoiler un processus artistique, parcours personnel et méthode pour allier travail et vie de famille....

Réalisé par la propre sœur de l'artiste, ce documentaire sur Annie Leibovitz pouvait susciter une certaine méfiance. Encombré de témoignages à la Hollywood Stories, où s'accumulent les superlatifs les moins motivés, Life Through a Lens présente heureusement des qualités, dont la première est sans doute la richesse de son iconographie.

De très nombreuses photos, parfois trop rapides, illustrent cette rétrospective qui met en évidence trois aspects du travail d'Annie Leibovitz, le reportage, le portrait de célébrité, la photo privée. Née dans une famille soudée et nomade (le père est militaire), Annie découvre la photographie aux Philippines puis étudie au San Francisco Art Institute.

Elle dit comment elle se sent en phase avec l'effervescence culturelle de l'époque et du lieu ("I still believe in all that") et évoque sa collaboration avec Rolling Stone où elle s'impose, profitant du départ de Jim Marshall. Elle y pratique une photographie de reportage (privilégiant le grand angle) qui suppose une grande proximité avec le sujet (photo 1), vraisemblablement encouragée par le tutorat d'Hunter S. Thompson, alors affilié au même magazine. Manifestement happée par le mode de vie autodestructeur imposé par le milieu, Leibovitz exprime déjà son intérêt pour les célébrités et le glamour de la scène qu'elle fréquente. Sa couverture de la tournée des Rolling Stones (1975) est une référence quant à la technique d'immersion du reporter, mais aussi quant à la grandeur (scénique) et à la décadence (privée) de la scène rock (photo 2).

Le film évoque ensuite son départ pour Vanity Fair, où elle abandonne le reportage et passe résolument au " directorial mode " ou mise en scène de la photographie (photo gauche ci-dessus). Confirmant son intérêt pour les portraits de célébrités, Leibovitz opte pour une représentation sophistiquée ("glitzy" dit-elle) et franchement éloignée de la célébration de modes de vie alternatifs de ses débuts.
A cette tension entre les deux parties de sa carrière, s'en ajoute une autre particulièrement palpable dans la scène où Annie trie ses photos en vue d'une exposition après les avoir disposées sur deux murs, l'un consacré au travail de magazine, l'autre au travail personnel. Celui-ci, beaucoup moins connu, fait l'objet de quelques illustrations qui donnent envie d'en (sa)voir plus. Bien loin de l'hypersophistication du show business, ces photos semblent révéler une sensibilité toute différente, apte à saisir l'ordinaire et l'affect.

Un autre aspect du travail de Leibovitz mériterait meilleur traitement : celui du processus de création. Certes l'on voit l'artiste en action, témoignant d'une forte personnalité, d'une autorité indéniable, mais restant discrète sur les principes qui animent son œuvre. Quelques souvenirs d'enfance (" le monde à travers la vitre ") et formules lapidaires (" life through a lens ") ne sauraient suffire à révéler ses intentions, si tant est que ce soit à elle de le faire.


Puisque le film prend la forme d'une rétrospective, la question se pose de la place d'Annie Leibovitz dans la photographie contemporaine. Parmi les témoignages qui convergent pour la hisser au pinacle de cet art encore prompt à se trouver des héros, celui d'Hillary Clinton est peut-être le plus probant, qui suggère que son travail entre en résonance avec la psyché nationale. Certes, il s'est construit une œuvre qui rend compte des soubresauts de l'histoire (photo droite ci-dessu), de la construction de la mythologie de l'Amérique, de la vitalité de sa culture populaire. Sa trajectoire s'infléchit pourtant nettement vers la mise de son art au service de la diffusion mainstream et une proximité parfois embarrassante avec le Système.

Christophe Cormier le 15/06/2009

 
présente
 
Annie Leibovitz : life through a lens de Barbara Leibovitz