L’Université de Rennes 2, l’Université de Caen Basse-Normandie et le Café des images proposent un rendez-vous mensuel d’Octobre 2009 à Avril 2010. Ces soirées poseront dans une programmation et des rencontres la question de comment filmer la création .

 
1er rendez-vous, mardi 13 octobre : Projection de La danse de Frederick Wiseman, en sa présence

Wiseman souhaitait filmer en France un sujet différant de ceux traités aux Etats-Unis. Les institutions de La comédie française ou du corps de ballet de l'opéra de Paris, qui existent depuis trois siècles et qui bénéficient de subventions d'état, sont sans équivalent aux Etats-Unis.

Wiseman n'a pas d'idée préconçue avant de filmer ou même en filmant. Ce n'est qu'au montage qu'il trouve le sens de son film. Ce sens intervient même souvent assez tard. Ce n'est ici qu'au bout de huit mois de montage sur treize que le début d'une structure lui est apparu. Il n'a pas de types séquences entières coupées même s'il reste très peu des multiples réunions qu'il a filmées.

 

Choix des séquences et rythme

Wiseman note les rushs de une à quatre étoiles et jette ceux qui n'en obtiennent pas. Environ 60% à 70% du matériel filmé est ainsi laissé de côté. Wiseman travaille avec les 30% restant. Il coupe ensuite assez facilement trois quarts d'heure pour obtenir une première structure. Il travaille ensuite le rythme entre les séquences et dans les séquences. Il regarde ensuite ce qui a été jeté et prélève ce qui lui permet de résoudre un problème.

Les répétitions avec le chorégraphe ou avec le maître de ballet durent parfois trois heures. Wiseman choisit entre deux et quatre minutes. Sur les 90 minutes que dure en moyenne une répétition, il en filme 85 pour les réduire ensuite à moins de sept minutes. Quand il filme une réunion, il ne sélectionne pas des moments consécutifs mais les instants importants. Pour une répétition de danse, ce n'est pas possible. Il choisit une séquence continue pour ne pas couper le rythme de la danse et de la musique.

Une caméra attentive

Wiseman filme tout -avec l’assistance d’un opérateur qui s’occupe du cadre et de la lumière, lui-même assurant la prise de son-, sans préjugé aucun, impressionnant plusieurs dizaines d’heures, voire bien plus d’une centaine, qu’il monte ensuite pendant plusieurs mois afin d’obtenir un film d'une durée de souvent plusieurs heures en privilégiant le plan-séquence.

Les répétitions avec le chorégraphe ou avec le maître de ballet durent parfois trois heures. Wiseman choisit entre deux et quatre minutes d'une séquence continue pour ne pas couper le rythme de la danse et de la musique.

Wiseman n'aime pas les mouvements inutiles. Presque toutes les représentations sont tournées depuis un coin du plateau. Ne font exception que quelques rares séquences : la valse de Paquita, Agnès Letestu dans Genus filmées depuis le balcon et une minute de Paquita filmée depuis la salle. La glace des salles de répétition permet souvent de passer alternativement d'un cadrage sur le danseur à celui du sur le maitre de ballet ou le chorégraphe.

Wiseman s'interdit de morceler le corps du danseur et le filme toujours en entier. Exceptionnellement, la caméra se rapproche pour filmer Delphine Moussin dans Le Songe de Médée car c'est autant du théâtre que de la danse. Et l'intensité dramatique est ainsi plus forte qu'une première séquence prise en plan plus large.

Un film orienté vers la réalisation du ballet

Le film est constitué de discussions professionnelles. Wiseman n'a pas été écouté les conversations de la cafétéria. Il n'a pas cherché à interviewer les danseurs et danseuses pour connaître leur vie privée. Le sujet principal est le montage du ballet. Si cela exclut les conversations de la vie privée, cela a aussi conduit à exclure le filmage de l'orchestre (par ailleurs absent de Genus) qui ne s'est pas imposé avec assez de nécessité.

La présence de la caméra ne change rien parce que les danseurs sont investis dans leur travail. Les gens sont contents d'être filmés. Presque personne n'est assez bon comédien pour changer d'attitude parce qu'il est filmé. Wiseman avait peur pour La comédie française. "Si quelqu'un joue avec moi j'arrête. Si quelqu'un ne veut pas que je le filme, je ne filme pas". Le contrat de départ était qu'à partir du moment où les personnes acceptaient d'être filmées, elles n'avaient plus le droit d'intervenir pour refuser une séquence. Personne n'a refusé d'être filmé et, Wiseman n'a montré son film à personne avant de l'avoir fini, pas même à Brigitte Lefèvre.

Les interventions de la directrice artistique structurent le film sans en faire pour cela un film institutionnel. Brigitte Lefèvre est en effet intelligente, ouverte et sensible, un patron nécessaire dans cette institution. Son intervention pour soutenir les danseurs dans leurs revendications à la retraite à quarante ans au nom de l'excellence de leur travail qui est la garantie de la survie de l'opéra est un grand moment.

Wiseman n'a pas vu Sept femmes d'âges différents de Kieslowski. A la fin la professeur qui accueillait les jeunes élèves est devenue chorégraphe. L'âge est bien, néanmoins un autre fil conducteur. Il y a la jeune danseuse tout juste admise, celle qui doit refuser le pas de trois dans Paquita. Il y a la mort de Béjart.

La danse continue partout dans les couloirs du batiment sans coupe nette. Le bâtiment en tant que tel structure le film. Les plans de coupe sur sa façade ou sur ce que l'on voit depuis ses toits rythment le montage.

C'est lui faire un mauvais reproche de dire qu'il ne laisse pas de place au doute. Les répétitions dans leur ensemble traduisent le doute inérant à la réalisation de toute oeuvre d'art. Ce sont les discussions incessantes des danseurs avec le chorégraphe ou le maître de ballet. Le chorégraphe accepte les remarques de Clotilde Vayte et Laetitia Pujol. Pierre Lacotte et sa femme refont Balanchine en examinant ce qui a pu changer depuis la Paquitta de Petipa avec Agnès Letestu. Emilie Cozette discute pour son rôle dans Médée. Mac Gregor accepte la descente de fin de ballet d' Marie-Agnè Gillot pour Genus.

Les danseurs se soumettent à la discipline mais c'est pour acquérir ensuite la liberté de pouvoir faire ce qu'ils veulent de leur corps. Brigitte Lefèvre rappelle cette exigence incroyable qui constitue la beauté sans égale du danseur : être à la fois nonne et boxeur, cheval et jockey, voiture de course et pilote.