Francesco Casetti distingue trois grandes façons de penser le cinéma. Ces pensées doivent être organisées au sein d'une théorie, définie comme un ensemble de thèses, plus ou moins organisé, plus ou moins explicite, plus ou moins contraignant, qui sert de référence à un groupe de chercheurs pour comprendre ou expliquer en quoi consiste le phénomène en question.
Pour Casetti une thèse acquiert une dimension théorique si, au delà de la manifestation d'un savoir, elle apparaît aussi comme un patrimoine commun. Elle doit être reconnue et prise en charge par un groupe plus ou moins restreint de chercheurs. Il résume ainsi les trois grands groupes de théories :
Théories |
Théories
méthodologiques |
Théories
de champ |
|
Sujets |
critiques cinémato-
graphiques |
chercheurs par
discipline |
Spécialistes et
intellectuels |
Milieu |
revue ou groupe
|
insituts de
recherche
et université |
université et
mass-média |
Facteur unificateur |
langage courant
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parcours de
formation
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intérêt convergent
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Moyen d'expression |
essai ou éditorial
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rapport scientifique
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étude ou intervention
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Finalité |
culturelle
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scientifique
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sociale
|
Les théories ontologiques répondent à la question "Qu'est-ce que le cinéma en tant que tel ?". Le but est de rechercher l'essence du cinéma, de la définir et à partir d'une connaissance globale et d'atteindre à la vérité du cinéma. Trois grands courants ont répondu à cette question : le cinéma est réalisme, imaginaire ou langage.
Les théories méthodologiques s'interrogent selon un point de vue particulier sur le cinéma et cherche à répondre à la question "comment apparaît-il sous cet angle ?". La nécessité de choisir une optique précise, qui détermine aussi bien la collecte de données que leur présentation, passe au premier plan. Cette méthode a pour résultat de valoriser la composante systématique de la théorie et de mettre en évidence ce qui est pertinent plutôt que ce qui est essentiel. Le but est de faire travailler des concepts pris dans d'autres champs (la psychologie, la psychanalyse, la sociologie et la sémiotique) que le cinéma.
Les théories de champs répondent à des questions globales non spécifiques au cinéma et se demandent "quels sont les problèmes que soulève le cinéma ? Quel éclairage apporte-t-il à ces questions ? ". Intérêt pour les questions globales qui dépassent les limites des domaines disciplinaires particuliers pour mettre en jeu quelque chose qui les sous tend (question du politique, du représentable, de l'image, du texte, de la pensée, de l'art, de l'histoire ). Casetti utilise d'abord les termes "théories de spécialité" qui deviennent "théories de champ" lorsqu'elles sont explicitées dans la dernière partie de l'ouvrage (p 197-345). Ce dernier terme est beaucoup plus pertinent. Nous le gardons en passant outre les premières définitions données par Casetti.
Il existe aussi hélas une autre théorie qui s'étale à la télévision et dans les hebdomadaires. A visée purement commerciale, cette critique promotionnelle n'a d'autre but que de soutenir le box-office. Le metteur en scène ou les acteurs interviewés se contentent de raconter l'histoire, de déclarer combien ils sont fiers d'avoir fait un film sur un sujet aussi intéressant avec des acteurs remarquables et dans un contexte difficile et pour un budget fantastique.
Trois grands types d'approche : le cinéma est réalisme, imaginaire ou un langage
Le réalisme ontologique de Bazin : Pour se définir comme art autonome chaque art doit définir ce qui le distingue des autres arts. Il doit définir sa spécificité, ce qui le rend irremplaçable. Le cinéma enregistre mécaniquement la nature et peut donc revendiquer une objectivité indépassable. Cette caractéristique a été dénommée vérité ontologique par le critique André Bazin. Pour être un art, le cinéma doit donc s'astreindre à un certain nombre de règles et s'interdire certaines facilités. Pour Bazin le plan séquence et la profondeur de champ doivent être privilégiés par rapport au montage. Le mot d'ordre de Bazin : " montage interdit " indique que celui-ci doit être réduit au minimum. Il en est de même pour les mouvements de caméra : elle ne doit bouger que pour suivre un personnage. André Bazin distingue deux types de cinéastes : ceux qui croient à l'image et ceux qui croient à la réalité. Autrement dit ceux qui font de représentation une fin (artistique, expressive) en soi et ceux qui la subordonnent à la représentation la plus fidèle possible d'une supposée vérité, d'une essence, du réel. Il met ainsi en opposition la lignée de Méliès avec celle de Lumière.
Enregistrer la réalité et développer des effets de réel permet au cinéma de faire émerger la vérité intime du réel (p44). Le cinéma s'oriente vers le réel à cause de sa base photographique mais aussi de sa maîtrise temporelle. La succession des apparitions/répétitions crée le sens, lui donne une homogénéité, établit une morale en fixant un choix, en renonçant à l'arbitraire (voir aussi : la politique des auteurs )
Edgar Morin : imaginaire
Jean Mitry : linguistique propre
Un bon film est un film bien construit, comportant un vocabulaire adéquat et une syntaxe correcte. Ce type de critique, que Jacques Lourcelles a conduit à son plus haut degré d'accomplissement, va privilégier le cinéma américain, l'étude des genres. Elle suppose un progrès ininterrompu depuis l'origine du cinéma jusqu'au cinéma classique. Le cinéma moderne est, en général, rejeté par cette critique. Elle rejette une forme qui, non seulement décrit quelque chose, mais se marque aussi comme représentation. Elle rejette l'art conceptuel où sont assumés les moyens expressifs (Welles, Godard). Ce type de critique n'admet que les recherches classiques sur une forme "invisible", où tout est fait pour reconstituer une analogie avec l'espace filmique. Les termes essentiels sont la question du réalisme (identification, vraisemblance psychologique) et la conduite du récit (continuité spatio-temporelle, ellipses).
A partir de la méhode psychanalytique :
L'objectif est d'étudier les relations existant entre l'image mouvante narrative et le spectateur. La métapsychologie (terme repris de Sigmund Freud qui désigne les états et les opérations psychiques communs à tous les individus), s'est efforcée de montrer ce qui rapprochait et ce que distinguait, du rêve du fantasme ou de l'hallucination, l'état filmique dans lequel se trouve le spectateur d'un film de fiction.
A partir de la sémiotique :
Selon Christian Metz, le langage cinématographique n'est pas tout ce qui apparaît dans les films, mais ce qui n'est susceptible d'apparaître qu'au cinéma, et ce qui constitue donc, de façon spécifique, le langage cinématographique au sens étroit. L'objectif est de mettre au jour les figures signifiantes (relation entre un ensemble signifiant et un ensemble signifié) proprement cinématographiques. Sont analysés les différents modes possibles d'arrangement des plans pour présenter une action. Les unités cinématographiques sont isolées en fonction de leur forme, mais aussi en fonction des unités cinématographiques qu'elles prennent en charge. Par exemple, filmer la fonction poursuite (unité narrative) en montage alterné (figure signifiante cinématographique) aura un effet narratif différent d'un filmage, à partir d'un hélicoptère, en plan-séquence (autre figure cinématographique). Dans le film de Losey "Figures in a landscape" (1970), cette deuxième forme met en évidence l'effort, la fatigue des poursuivis et le caractère dérisoire de leur tentative, alors que la première forme, dans "Intolérance" de Griffith (1916) laissera plus ouvert le suspens.
Analyse politique :
Le cinéma est analysé comme la représentation qu'une
société se donne d'elle-même. C'est dans la mesure où
le cinéma est apte à reproduire des systèmes de représentation
ou d'articulations sociales qu'on a pu dire qu'il prenait la relève
des grands récits mythiques. La typologie d'un personnage ou d'une
série de personnages peut-être tenue pour représentative
non seulement d'une période du cinéma, mais aussi d'une période
de la société. L'équipe des Cahiers du Cinéma
avait abordé le film "Young Mister Lincoln" (1939) en examinant
les rapports existant entre une figure historique (Lincoln), une idéologie
(le libéralisme américain) et une écriture filmique (la
fiction montée par John Ford). Mais la société ne se
donne pas directement à lire dans les films. L'ambiance euphorique
des comédies musicales américaine est-elle l'opium du peuple
? Le néoréalisme est-il vérité ou idéalisme
forcené ? Le réalisme soviétique rend-il compte de la
société russe, l'expressionnisme allemand de l'inquiétude
bourgeoise ?