L'ouvrage interroge trois des paradigmes perdus de la culture cinématographique classique : le film comme symptôme de société, l'œuvre comme connaissance de soi et de l'autre, le cinéma comme leçon de vie. Au sein du jeune cinéma français, ce sont cinquante-cinq films qui sont choisis par Daniel Serceau pour leur notoriété ou leur valeur symbolique. Il semble retenir ainsi les cinéastes nés il y a moins de cinquante-cinq ans (à partir de Guédigian né en 1953) et les films de ces quinze dernières années (Le petit Prince a dit réalisé en 1992).

Daniel Serceau recherche de quels modes de penser, de quelles contradictions, porte témoignage le jeune cinéma français étant donné que tout film d'importance, consciemment ou non, révèle les non-dits d'une époque, parfois ses impasses.

1-Le réquisitoire de Daniel Serceau

Sanction de l'histoire, le cinéma français lui semble profondément marqué par un principe de culpabilité qui le conduit à se contenter de rechercher l'auteur de la faute qui a fait dérailler le film plus qu'à traiter son sujet. Ce qui, à terme, l'inhibe dans ses possibilités d'expression. Le jeune cinéma français ne traite pas les sujets qui se posent à lui. Il parle peu du monde tel qu'il s'impose dans ses problématiques nouvelles. Pour Daniel Serceau, cela relève moins une absence de talent qu'une absence de courage et de cruauté, la capacité de se colleter avec un réel qu'il est plus aisé de fuir. Le jeune cinéma français privilégie plus la rêverie que le symbole ; plus la romance amoureuse que le sujet qu'il est censé traiter.

Le réquisitoire de Daniel Serceau contre le cinéma français est comme on le voit implacable. Il souscrit à l'affirmation de Kaurismäki : "Le cinéma français de ces dix dernières années est mauvais en gros". Il lui reproche la disparition de la langue classique, la saisie d'une parole constat non travaillée par la mise en scène. "En allant vers toujours plus de réalité, le cinéma... ne peut que se déliter et se condamner à n'être plus qu'un art du non sens : où la pauvreté interprétative s'ajoute à l'incapacité de donner des directions. D'où la tentation de recourir à des dogmes, des idées préconçues, des schémas simplistes ou des croyances rassurantes pour mettre "de l'ordre et du sens" dans cet embrouillamini d'indices et de signes (...) Le monde est opaque ; et bien ou il est opaque, incohérent, non homogène, incompréhensible, voire absurde, et l'on se demande s'il est bien utile qu'un cinéaste et ses éventuels spectateurs, consacrent quelques heures de leur temps précieux à la réitération de ces évidences".

 

2-Les limites d'un procès à charge.

Par bien des points le réquisitoire de Daniel Serceau touche juste. Sa volonté de voir les paradigmes des maîtres du cinéma classique, probablement tout autant japonais ou américains que français s'incarner tels quels dans le cinéma de jeunes réalisateurs comme s'il n'existait qu'un cinéma finit toutefois par affaiblir son propos.

Car ce n'est pas tant l'héritage mal assumé des thèmes du cinéma français, auquel l'auteur consacre un long chapitre, qui le dérange que la crise de la représentation.

Daniel Serceau cherche ainsi une cohérence absolue dans le système de signes définissant un personnage. Dans Le petit prince a dit la définition du personnage de Mélanie d'abord mauvaise mère (alcoolique, écervelée, peu aimée de sa fille) lui semble en contradiction avec la scène fusionnelle entre la mère et la fille. "La narration défait progressivement le mode de caractérisation des personnages qu'elle avait scrupuleusement mis en place en ses premières minutes" dit-il. Ne peut-on pas pourtant aussi considérer que l'amour filial est un sentiment absolu, au-dessus des contingences matérielles et des défauts de chacun ?

L'auteur relève aussi des contradictions narratives dans Saint-Cyr tout en finissant par avouer qu'elles concourent à la qualité du film.

Cette position surplombante par rapport à la recherche de la singularité des œuvres ou de leur auteur le conduit ainsi, à notre avis, à profondément sous-estimer L'esquive dont les multiples récompenses ne lui semblent justifiées que par une complaisance envers la banlieue. Ni les relations entre les jeunes, ni leur discours, ni la mise en scène de celui-ci, pas plus que l'étude de Marivaux, auteur classique a priori mal connu des protagonistes ne lui semble présenter d'intérêt.

La professeur de français explique pourtant longuement à ses élèves (...et à nous) que Marivaux montre que l'on est victime de sa catégorie sociale même dans les choix qui relève de l'être intime. Chez Marivaux, les riches finissent par épouser les riches et, malgré leur déguisement, les pauvres ne parviennent à se faire aimer que des pauvres.

Kéchiche déplace l'affrontement social sur celui de la culture. On comprend ainsi assez vite que l'enjeu du film est de savoir si l'inculte Krimo, qui n'a jamais lu un livre mais qui pour l'amour de Lydia devenue une adorable Lisette entreprend de jouer Arlequin, parviendra à se faire aimer.

Par ailleurs le choix d'une cité de Seine-Saint-Denis, pour le cadre de cette initiation adolescente rajoute un indéniable intérêt sociologique mais permet aussi d'apprécier la fraîcheur et la verdeur d'un dialogue presque aussi joyeux et plein de fantaisie que celui de Marivaux.

On peut également s'interroger sur l'absence de Arnaud Desplechin dans le corpus choisi par Daniel Serceau. L'auteur sans doute le plus important du jeune cinéma français est pourtant de huit ans plus jeune que Guediguian. Mais surtout son système de signes est lui tout aussi mystérieux et fascinant à déplier que cohérent.

Pareillement il est sans doute inutile de s'acharner sur deux films de Guedigian (Marius et Jeannette et Mon père est ingénieur) sans doute un peu caricaturaux et moins innovants que La ville est tranquille ou d'autres réussites du cinéaste.

Manquent enfin à l'appel Claire Simon, Olivier Assayas, Laurence F. Barbosa, Vincent Dieutre, Thierry Jousse, Arnaud des Pallières, Mariana Otero, Alain Guiraudie, Jean-Paul Civeyrac, R. Ameur-Zaïmeche, Bertrand Bonello, Christophe Honoré, Raphaël Nadjari, Antony Cordier ou Serge Bozon.

 

3 - Un appel à l'exigence du scénario

Dans son avant propos, Daniel Serceau explique pourquoi malgré un premier refus, il souscrit à l'affirmation de Kaurismäki : "Le cinéma français de ces dix dernières années est mauvais en gros".

L'éclatante santé quantitative du cinéma français est à la mesure de sa pauvreté symbolique. Ce déclic, Daniel Serceau le ressentit un soir de 2007 alors qu'à la télévision des journalistes applaudissaient à la prise de risques, à l'aventure de Maud Fontenoy et se montraient ensuite compassés d'admiration devant les frileuses adaptations de Maupassant présentées en 2007 par F2.

Dans les Nouvelles de Maupassant, les personnages sont peu développés caractérisés par des traits réduit correspondants à leur détermination telle que l'exige la chute et les dialogues sont volontairement elliptiques et banals. La chute où le récit s'achève sur le double mode de l'imprévu et de la pertinence (La parure et Aux champs offrants les plus beaux exemples de dénouement paradoxal). Faisant retour sur le texte en son entier le lecteur doit réviser son jugement initial, comprendre qu'il s'était fourvoyé, reconnaître la supériorité de l'auteur sur le sien.

Les personnages des nouvelles de Maupassant ne servent ainsi pas le principe d'individuation propre au réalisme cinématographique (en faire des sujets ressemblants).Manquant de substance, il est ainsi nécessaire de compléter. C'est dans la nature de l'ajout que se révèle la qualité du film. Masque Ophuls travaille sur le décor et la scénographie. Renoir dans Partie de campagne, invente des scènes, construit le système relationnel de ses personnages, découpe et monte en fonction de celui-ci mais sans jamais oublier le projet symbolique

Les composantes ajoutées par les auteurs de la série de F2 (surjeu des acteurs, travail sur les costumes décors, les personnages secondaires) peuvent être appréciés selon son humeur ou son goût mais ils ne servent en rien le mode d'achèvement du récit

Les contes et nouvelles de Maupassant ont un projet symbolique. Pourquoi les personnages sont-ils conduit là ? Le dernier acte de la narration, sa chute, nous fait accéder à une situation de l'esprit où nous pressentons qu'il nous est donné de concevoir bien plus que nous étions en mesure de le faire. L'œuvre nous surprend et nous dépasse. Elle nous oblige à un effort que nous n'avons que trop tendance à esquiver. Elle nous invite à un autre dépassement, nous obliger impérativement à disposer de son existence en vue d'un but plus haut. Nous donner la conviction d'être en présence d'une œuvre d'art : une œuvre qui nous conduit à une position de l'esprit dont nous lui sommes entièrement redevables. Nous lui sommes alors reconnaissant : elle nous fortifie. Et toute augmentation de puissance est un gain de plaisir.

 

4-Sommaire et films traités

Chapitre 1 : De la représentation

Chapitre II : L'héritage
1) le cinéma d'opposition à la guerre
2) un cinéma de la remise en cause de la supériorité des élites
3) un cinéma de justice sociale
4) la libération des mœurs
5) un cinéma du Surmoi
6) un cinéma de l'éloquence masquée

Chapitre III : un cinéma de longs courts métrages ?
25 degrés en hiver, A boire, Les brodeuses Le carton, je règle mon pas sur le pas de mon père, J'me sens pas belle, Karnaval, laissons Lucie faire !, la puce, Quand la mer monte, Septième ciel, Stand by, tout le plaisir est pour moi, trois petites filles, vendues, la vie ne me fait pas peur, Les yeux clairs (17 films)

Chapitre IV : les quiproquos
L'esquive, la faute à Voltaire, Lila dit ça, Saint Cyr, la vie de jésus (5 films)

Chapitre V : L'échec des nouveaux rapports amoureux
La croisade d'Anne Buridan, Dieu que les femmes sont amoureuses, le fabuleux destin d'Amélie Poulain, Marius et Jeannette, Mon père est ingénieur, Ne fait pas ça, La nouvelle Eve, Peindre ou faire l'amour, Rien à faire, La séparation, Les sentiments (14 films)

Chapitre VI : la culpabilité
De l'amour, la haine, Selon Matthieu, Sur quel pied danser, La vie rêvée des anges, Y aura-t-il de la neige à Noël ? (6 films)

Chapitre VII : les indigences symboliques
Le bleu des villes, Candidature, C'est quoi la vie ?(François Dupeyron, 1999), De battre mon cœur s'est arrêté, Irréversible (Gaspard Noé, 2002) , Lady Chatterley, Les Lip, l'imagination au pouvoir (Chistian Rouaud, 2006), Oublie-moi, Le péril jeune (Cédric Klapisch, 1995), Le petit prince a dit (Christine Pascal, 1992), Raï, Roberto Succo (Cédric Khan, 2001), Vert paradis (13 films).

 

J.-L. L. le 18/07/2008

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Symptômes du jeune cinéma français
juin 2008, 289 pages format 120 x 180, Collection 7ème art, éditions Corlet , 34.00 €
2008
Daniel Serceau