Editeur : Carlotta, novembre 2007. Nouveau master restauré. Format : 1.85. VO VOSTF & VF mono (1h25). Prix public conseillé : 25 €.
Suppléments sur DVD 2 :
Cary Scott, une jeune et jolie veuve, habite seule dans une petite ville de Nouvelle-Angleterre. Sa solitude n’est adoucie que par les visites occasionnelles de ses grands enfants qui fréquentent des écoles lointaines, de quelques amis et d’un admirateur, Harvey. Cary se lie d’amitié avec Ron Kirby, le jardinier, plus jeune qu’elle, et en tombe amoureuse, malgré les commérages du quartier et l’opposition de ses enfants…
Après le succès du Secret magnifique, la mécanique hollywoodienne se met en marche : Wyman et Hudson sont de nouveau réunis dans un mélodrame dirigé par Sirk et ce sera Tout ce que le ciel permet.
Selon Douglas Sirk :"Le succès américain provient du fait que le film est fondé sur une philosophie typiquement américaine, celle d'Emerson et de ces disciples où la nature tient une grande place Le thème du retour à la nature a sans douté été inspiré par Rousseau. Son influence n'a gagné l'Amérique qu'assez tard parce qu'à l'époque où il écrivait les problèmes qu'il abordait ne se posaient pas encore aux américains qui n'avaient encore que des contrées sauvages et pas encore construit des villes. Ce désir de retour à une vie primitive et simple était à mon avis parfaitement incarné par cet homme qui s'occupait de faire pousser des arbres, vivait dans un jardin et méprisait l'argent et la haute bourgeoisie. Or ça c'est tout le rêve américain."(source : F3, Patrick Brion, Cinéma de minuit)
Tout ce que le ciel permet comporte une forte part de critique sociale. La communauté dominée par le clocher du temple, préjugés, nature réprimée des bourgeois qui se révèle quand ils ont bu, caractère traditionnel des enfants. C'est transposé dans la Nouvelle Angleterre tout ce que Sherwood Anderson (1876 1941) décrivait dans Winesburg, Ohio dans le Midwest : une petite communauté repliée sur elle-même dont le narrateur fiche le camp à la fin. Une vision très critique, à l'opposée de celle de Capra.
Sirk démontre que l'ironie et l'émotion peuvent aller de pair dans la scène extraordinaire où arrive sur une table à roulettes le cadeau du fils à sa mère, un poste de télévision, ainsi commenté par le vendeur "Tout ce que vous avez à faire, c'est de tourner le bouton et vous aurez toute la compagnie que vous pouvez désirer, là sur l'écran : le drame, la comédie, la parade de la vie sont à la pointe de vos doigts".
Splendide Technicolor de Russel Metty qui oppose la mesquinerie citadine des habitants de Stoningham et la beauté de la nature. Les plans qui terminent le film (le cerf passant devant la baie vitrée de la maison de Rock Hudson) sont parmi les plus beaux de l'uvre de Sirk.
La reconnaissance critique de Sirk est venue de l'Europe. Fassbinder défend Tout ce que le ciel permet et Godard Le temps d'aimer et le temps de mourir... et sa compatriote Liselotte Pulver. Il est aussi apprécié en Angleterre.
Fassbinder reprend dans Tous les autres s'appellent Ali la trame de tout ce que le ciel permet en la transposant dans le milieu contemporain avec la difficulté du remariage entre une femme allemande âgée et un émigré.
Tod Heynes fait avec Loin du paradis un pastiche avec couleur et mouvements de caméra qui rassemble à Tout ce que le ciel permet et son thème du remariage et Thé et sympathie avec la question de l'homosexualité.
Le mélodrame devient un artifice kitsch qui ne serait plus acceptable au premier degré, un film d'art qui se donne comme tel pour un public minoritaire. L'admiration est esthétique et cérébrale alors que l'identification avec les personnages se perd un peu.
Dans Une vielle maîtresse Catherine Breillat fait chanter à Asia Argento "yes sir" de la même façon que Zarah Leander l'interprétait dans Paramatta bagne de femmes. Peut-être s'agit-il d'un coup de chapeau.
Le mélodrame reste encore aujourd'hui mais perd le goût du flamboyant et de l'artifice. Dans les années 80, le mélodrame c'est Out of Africa puis Titanic dans les années 90. La dernière séquence du mirage de la vie marque la fin d'une phase. Seuls encore Ozon et Haynes éssaient de retrouver la dimension lyrique et spectaculaire. Naruse à la fin des années 60 porte aussi le shinpa vers le mélodrame.
Les films de Sirk démontent le fonctionnement de la société américaine. Ils s'inspirent de la presse féminine populaire sans intérêt. Fassbinder a repris cette voie pour l'appliquer au cinéma allemand des années 70. Il partage la compassion pour les personnages propre au mélodrame qui parle des faibles gens, prisonniers de leur maison et d'une morale étriquée, morale dominée par le culte du foyer. Ils ne triomphent pas, ils ne sont rien. Fassbinder n'aurait sans doute pas réussi à Hollywood. L'échec de La porte du paradis et le début des blockbusters (500 écrans pour Les dents de la mer) marquent la fin d'une époque
Jamais un gros plan pour rien chez Sirk. Si Rock Hudson, n'en a pas d'abord c'est qu'il n'est rien. D'abord à l'arrière plan puis interlocuteur tronqué, quand vient son tour d'être remarqué, alors il a droit à la musique et aux gros plans. Cruauté des enfants qui souhaitent pour leur mère un être qu'ils dominent. Ils ont peur de Ron presque aussi jeune, plus beau et pas si bête. Chez Sirk, les femmes pensent. Elles ne font pas que réagir. C'est beau de voir une femme penser ; ça donne de l'espoir, vraiment.
Un film-mix de François Ozon qui met en parallèle les similitudes et différences entre Tout ce que le ciel permet de Sirk et Tous les autres s'appellent Ali (repassé au format 1.85) de Fassbinder, pour créer un troisième film, objet hybride sur la contamination cinéphilique.
Chez Sirk, c'est l'homme qui va à la rencontre de la femme alors que, chez Fassbinder, c'est la femme qui vient chez l'homme. Chez Sirk, la rencontre a lieu dans un cadre de travail ce qui la place dans un rapport de classe. Chez Fassbinder, la relation a lieu dans un cadre intime, hors travail, un café, c'est la rencontre de deux solitudes. Socialement, on a chez Sirk opposition de classe au sein du couple alors que, chez Fassbinder, c'est le couple, émigré et femme de ménage, qui a des difficultés d'intégration. Chez Sirk, les amis de Ron acceptent Cary et seuls les amis de celle-ci s'opposent au mariage. Les enfants sont détestables dans les deux films
Chez Sirk, le désir est hésitant. L'érotisation passe un peu sur le personnage masculin, Ron, interprété par Rock Hudson alors que Cary n'est pas érotisée par la caméra. Seul le trouble est suggéré. Le couple échange un baiser mais il n'est pas certain qu'ils fassent l'amour. Chez Fassbinder, le dialogue est crû et le couple fait l'amour dès la première nuit. Emmi ressent de l'effroi en voyant son visage dans la glace. Ce que l'on sait de l'homosexualité de Rock Hudson encourage probablement Fassbinder à renforcer l'érotisation d'Ali.
A la fin, chacune des deux femmes retournent vers son amour. Emmi semble même plus décidée. Fassbinder écrit dans Les films libérent la tête que Cary n'aura peut-être pas la force de vaincre l'opposition sociale. La fin de Fassbinder est ainsi plus optimiste : les deux personnages décident de vivre ensemble.