Editeur : Carlotta-Films, novembre 2009.

Dans un joli pavillon propret de la banlieue aisée de Rome, Juliette, jeune femme aimable, bourgeoise, attend son mari pour fêter leur anniversaire de mariage qu'elle a soigneusement préparé avec ses deux soubrettes gentilles et rêveuses. Giorgio, son mari a oublié leur anniversaire. Organisateur de galas et de réceptions, il rentre tard en compagnie d'une troupe de personnages excentriques que Juliette se voit contrainte d'accueillir avec le sourire. Il y là Valentina, jeune femme brune, férue d'occultisme, Pijma, lui aussi très versé en cette matière, Dolores une artiste sculpteur avec son nouvel et jeune amant et un avocat bellâtre qui fait une cour sans espoir à Juliette. Pijma convie les femmes présentes à une séance de spiritisme dans laquelle interviennent la gentille Iris et le violent Olav. Juliette, qui n'en peut plus de faire face avec gentillesse, s'évanouit. Les invités s'en vont et Juliette rejoint sa chambre où son mari a déjà mis un masque sur ses yeux....

Juliette des esprits, film initiateur de la période la plus moderne de Federico Fellini
 

Second film en couleur de Fellini après La tentation du docteur Antonio, Juliette des esprits ouvre la troisième période, la plus moderne de l'œuvre de Fellini. Le thème reprend en grande partie ceux de La strada et des Nuits de Cabiria. Le voyage accompli par l'héroïne n'est cependant plus effectué dans l'espace mais dans l'imaginaire.

Gelsomina, Cabiria, Juliette et Alice.

Gelsomina et Cabiria étaient d'emblée des personnages sympathiques en proie à la violence des hommes qui ne semblaient vouloir leur laisser aucune place sur terre. Gelsomina mourrait martyre, provoquant la larme rédemptrice de Zampano et Cabiria, entre rire et larmes, prenait le spectateur à témoin de la dureté de sa vie. Pijma exprimera ici ce que tous ressentent vis à vis de Juliette qu'ils savent trompée par Giorgio. Pijma fait s'exprimer non Iris, l'esprit amical vis à vis de Juliette, mais Olav plus brutal :"Tu n'es rien. Tu es abandonnée. Tu ne comptes pour rien".

L'abandon de Juliette est ainsi le thème central du film, celui qui relie les différents épisodes par lesquels Juliette va essayer de trouver une place dans le monde qui l'entoure. A l'opposé d'un drame de l'adultère où Juliette chercherait par l'action à résoudre son problème, c'est à l'intérieur d'elle-même qu'elle va chercher les raisons de son abandon. En choisissant, une jeune femme bourgeoise et conformiste, Fellini abandonne le terrain des épreuves sociales pour celui des épreuves de l'imaginaire. Juliette traverse le miroir des apparences et se retrouve de l'autre coté, celui de l'imaginaire et des reflets, telle Alice aux pays des cauchemars.

Le premier plan qui passe derrière l'écran de végétation verte pour découvrir le pavillon de Juliette tel une maison de poupées évoque ce monde artificiel et presque fantastique dans lequel évolue Juliette. Ses deux soubrettes, Elisabetta et Teresina, et la végétation trop bien taillée du jardin participent de cette même possibilité d'être à la fois dans le réel et l'imaginaire.

 

Un voyage au travers des religions et de la psychanalyse

Traverser les apparences est un périple dangereux et courageux. Ce n'est que forcée par les soupçons d'infidélité de son mari que Juliette s'y contraint.

Elle n'est en apparence pas travaillée par l'idée de Dieu. Elle se le figure derrière un grand portail toujours fermé et plein de poussière. Il redevient plus concret lorsque Hélène lui déclare vouloir redonner à Dieu sa dimension physique pour ne plus avoir peur de lui. C'est, pour elle, un héros de la forme physique qu'elle peut posséder et prendre pour amant. Juliette se revoit alors dans le théâtre des sœurs qui inculquent aux petites filles l'idée du martyre.

La religion catholique est la plus critiquée mais la philosophie orientale est tout aussi dénigrée. Bishma au-delà du discours général (l'illuminé voit à la fois l'unité et la multiplicité, l'apparence et la substance…) lui fait remarquer que la félicité s'obtient en luttant mais lui dit aussi que l'amour est une religion : "ton mari est ton dieu, ton esprit doit se consumer" avant de s'embarquer dans des conseils érotiques où l'important serait de prononcer le son "hin", de lâcher le grand soupir avant de prononcer à nouveau les sons "put" ou "fut" et le son "platt".


La parcours de Juliette pourrait se rapprocher de celui d'une psychanalyse. Face à tous les discours dont se plaint Juliette (Toute ma vie est pleine de gens qui parlent, Qui dois-je écouter ? Il faut souffrir pour être belle, on va te montrer comment être plus féminine) le discours de Miller, la psychanalyste "Vous vous identifiez trop à vos problèmes voilà l'erreur" et lui proposant de s'imposer une séparation de son mari est la plus convaicante.

 

L'image-cristal : Juliette entre les faces clairs et sombres de l'existence

Les désirs de Juliette sont simples, dormir avec un mari qu'elle aime et qui la protège. Elle n'a que faire de la cour empressée du vieil avocat ou de José, l'homme de Cordoba qui lui propose une sangria qui "coupe la soif de celui qui la boit même les soifs dont on n'ose pas parler". José, bellâtre amateur de Riveira, Garcia Lorca et d'une tauromachie poétique (l'infortuné se jette et moi je le tue à coups d'illusions), l'importune plus qu'il ne la séduit.

Il ne peut y avoir de happy-end pour Juliette. Au mieux une libération des tensions accumulées. Elle parviendra ainsi dans une image saisissante à congédier toute cette armada de personnages qui lui pèsent, ce bric-à-brac de tensions dominées par Susie, réincarnation de l'écuyère dont tomba amoureux son grand-père et par les soupçons d'infidélités de son mari qui pèsent sur elle depuis longtemps. Le premier rêve est en effet amorcé par celui qui se révélera être le détective.

Petit à petit les pièces du puzzle qui se sont assemblées dans l'esprit de Juliette finissent par l'alléger mais au prix d'un combat où la mort guette constamment. Susie est un personnage dangereux qui bascule facilement dans le démoniaque. Les portes de sa demeure ouvrent sur des personnages inquiétants telle Arlette et ses trois suicides. Les statues de sphinx se transforment en oiseaux de proie alors que les invitées de transforment en vampires. Juliette pourrait se suicider comme son amie Laura qui, le soir du départ de son mari, l'appelle près de la mare.

Oscillant ainsi sans cesse entre mort et libération, réel et imaginaire, réminiscence et prémonitions, lourdeur et légereté tendresse et violence, Juliette des esprits se révèle un magnifique film de l'image-cristal dont la structure même, évoque le destin de l'être moderne à jamais pris dans les miroitements du monde, tour à tour, inquiétant et fascinant.

 

J.-L. L. le 03/11/2009

 

 

 
présente
 
Juliette des esprits de Federico Fellini