Editeur : Wild Side Video. Collection Classics Confidential, juillet 2010. Master restauré. V. O. avec sous-titres français. Durée du film : 1h28. 30 €.

Suppléments :

  • Noir comme neige, un livre inédit de 80 pages qui se penche sur l'histoire du film, écrit spécialement par Philippe Garnier, journaliste (Libération, Le Monde…), grand cinéphile et écrivain, notamment auteur de deux livres sur André DeToth, et illustré par des photos et des documents d'archives rares.
  • Le western "Dreyerien" par Bertrand Tavernier (26')
  • Conversation entre André DeToth et Patrick Francis
  • Le tournage raconté par André DeToth (commentaire audio du film)

 

Dans un coin perdu du Wyoming envahi par les neiges, l'éleveur Blaise Starrett, qui a autrefois nettoyé la région des bandits qui l'infestaient, s'oppose à des fermiers voulant poser des barbelés. L'un d'eux, Hal Crane, dont la femme Helen a eu une liaison avec Starrett, le défie.Les deux hommes sont sur le point de se battre en duel quand surgit une bande de hors-la-loi poursuivis par l'armée..

La chevauchée des bannis, titre bien meilleur que l'original, met en scène la transition entre un Far West archaïque et la civilisation incarnée par la volonté d'établissement qui passe aussi bien par le mariage que par la pose de barbelés. De Toth réalise un western inoubliable, âpre, violent, aux tensions sans cesse renouvelées qui en fait non seulement le précurseur de L'homme qui tua Liberty Valance mais aussi, et mieux que le film de Ford, le précurseur du western moderne qu'est La horde sauvage.

L'entrée des bannis

Sobrement, le film démarre par l'arrivée de Blaise Starett et de Dan son ami et associé approchant des quelques maisons de bois, une épicerie bar, un salon de barbier et la baraque du vétérinaire qui constituent le village de Bitters. La halte devant un chariot abandonné des deux hommes problématise le combat de Starett : il veut empêcher l'établissement des barbelées par le fermier Hal Crane et lui voler sa femme, Helen, qu'il n'a pu oublier durant l'hiver qui se termine. Les deux hommes s'approchent ensuite du village avec le chariot au premier plan derrière eux.

Cette façon de placer un élément de décor sans le faire intervenir de façon appuyée dans la fiction (il ne brûle pas, il n'est montré en gros plan entre deux plans de visages), caractérise l'économie de moyen constante du film. A l'explosion violence qui serait un moyen de résoudre provisoirement la tension, de Toth préfère la dilatation dans la profondeur de champ comme une souffrance qui n'en finira pas.

Le reflet dans la glace que Blaise contemple avant de descendre au matin pour brûler le chariot ne trouvera aussi sa résolution que bien plus tard. Il expliquera à Helen qu'il s'est vu comme un bandit qui ne valait sans doute pas mieux que ceux qui sont venus ensuite.

Un peu plus tard, la caméra qui suit la bouteille qui roule sur le bar ne sert pas à résoudre la tension mais la dilate sans qu'elle puisse éclater puisque Bruhn intervient avant sa chute.

La danse des bannis

Il n'est évidemment pas innocent que Bruhn intervienne juste au moment où la bouteille tombe. Bruhn et sa troupe de dégénérés est une incarnation de ce que deviendrait Blaise s'il abattait les trois fermiers. Bruhn le redit à Helen au cours du bal, s'il s'en va, elle sera veuve.

Blaise ne peut sauver les femmes de la communauté. Il échoue à les faire fuir et Bruhn lui rappel par le sang et la boue qu'il fait partie de la bande dans la séquence de la bagarre. Loin d'être l'habituel moment de soulagement du western classique, elle est ici âpre, teigneuse, sans plaisir. Elle se termine provisoirement par la victoire de Blaise sur Vause mais Bruh envoie alors Tex et Pace le "finir" pour que, roués de coups, il soit puni d'avoir favorisé la fuite des femmes.

La séquence de bal avec son interminable panoramique à plus de 360°, renforce la tension. Ce n'est pas comme traditionnellement dans le western un moment de pause où la communauté retrouve ses valeurs, où les amours naissent ou se résolvent. Non c'est l'empire des passions, presque un viol collectif si on ne l'arrêtait.

La chevauchée des bannis

Troisième temps de l'exclusion, après l'entrée refusée et la ronde sans issue, la chevauchée des bannis. Ernine a avoué à Gene qu'il n'y avait pas de passage et que leur départ était un suicide. Gene en averti Bruhn qui se laisse convaincre par Blaise qu'il vaut mieux mourir noblement que comme un porc ; qu'en agissant ainsi il racheta le crime qui l'a fait chasser de l'armée pour avoir massacré un camp mormon. Les trois hommes acceptent donc leur mort pour éloigner le danger constitué par la troupe de dégénérés sans foi ni loi. Sublime départ dans la neige et le brouillard, toute profondeur de champ coupée, sous le regard des femmes qui connaissent le destin des hommes qu'elles aiment sans pouvoir les aimer.

Sublime enfin cette chevauché dans la montagne d'abord splendide au point que Brunh espère s'en tirer puis tournant au jeu de massacre et enfin apaisée, Tex les doigts gelés s'écroulant silencieusement dans la neige sans pouvoir tirer.

Magnifique retour enfin où Blaise passe devant Bitters sans s'arrêter rejoignant son ranch où l'attendent Dan et Gene. Celui-ci épousera Ernine et Blaise acceptera les barbelés. La violence archaïque a disparue dans la montagne.

 

Le western "Dreyerien" par Bertrand Tavernier (26')

La chevauchée des bannis renouvelle le genre de manière aussi importante mais de façon moins auto-proclamée que La colline des potences, 3h10 pour Yuma, Johnny Guitare ou La horde sauvage. Il n'y a pas d'effet de caméra, pas de mouvement de grue comme chez Delmer Daves.

La caméra qui suit la bouteille qui roule sur le bar ne sert pas à résoudre la tension mais la dilate.

L'entrée de chaque personnage dans le champ est soignée et contient en germe l'émotion qui va être développée dans l'ensemble de la scène. Souvent après un cadre grandiose d'extérieur, resserrement lors de l'entrée dans le saloon.

La bagarre pas un moment de soulagement. Apre, teigneuse, sans plaisir d'un plan large au gros plan glace partir. La séquence de bal avec son interminable panoramique à plus de 360°, renforce la tension. Ce n'est pas comme traditionnellement dans le western un moment de pause où al communauté retrouve ses valeurs, où les amours naissent ou se résolvent. Non c'est l'empire des passions, presque un viol collectif si on ne l'arrêtait.

Tavernier y voit l'influence du film noir sans les valeurs positives, substrat de la plupart des westerns. La remise en question prime sur les sentiments positifs. La nature, dure, n'est plus rédemptrice par rapport à la ville, source de péché. Le collectif av devoir primer sur l'individu.

Direction d'acteur très tenue. La tension est toujours intériorisée et pas extériorisée : par des gestes ou des paroles trop fortes. La bande de lascars annonce les trognes de La horde sauvage. Les acteurs, souvent difficiles, sont aussi peu hollywoodiens que le seront les personnages de Peckinpah. Tina Louise n'est jamais inférieure aux personnages qu'elle affronte.

De Toth refusa la couleur et ne voulu pas tourner pas dans des régions enneigées qui font penser à des stations de ski. Le décor fut construit quatre mois avant le début du film. Intérieurs et extérieurs y seront tournés.

La photo, qui profite des moindres incidents météo (neige, brouillard) est de Russel Harlan.

C'est un western dreyerien pour son dépouillement visuel et notamment par le dépouillement des décors. Le saloon n'a qu'une bouteille sur ses étagères et l'épicerie est sans provision. Ceci donne une impression de solitude, d'être coupé de tout.


Ben Madow déclara que Philippe Yordan, qui produit et signe le scénario n'a jamais écrit un mot de sa vie. Interrogé par Bertrand Tavernier à ce sujet, De Toth affirma le contraire. Si, il avait vu écrire Yordan..., son nom sur les chèques. C'est De Toth lui-même, l'auteur du scénario. Il déclare avoir été beaucoup aidé par Robert Ryan.

De Toth était un ami de Tavernier. Lorsqu'il faillit perdre un œil, il lui écrivit : "Si vous perdez un œil dans une opération, prenez ça du bon côté. Vous ne verrez pas la moitié des saloperies et les trucs qui sont bien, vous êtes capable de les imaginer.

 

Conversations entre André DeToth et Patrick Francis

Trois courts extraits de André de Toth, The director's director de Patrick Francis.

Le journaliste interroge de Toth sur les séquences de la bagarre et du bal. De Toth ne voulait pas de répétition : "On ne joue pas devant la caméra, il faut filmer la vie". De Toth élimine de ses films la possibilité de jouer la comédie. Il ne veut pas un acteur mais le personnage du script. Tina Louise n'était ainsi pas prévenue de la tournure que prendait la scène du bal pour qu'elle ne joue pas, qu'elle ne fasse pas semblant d'être scandalisée.

Ne pas se laisser non plus enfermé par les costumes ou alors le western deviendrait un genre pour enfants.

 

 
présente
 
La chevauchée des bannis d'André de Toth