Editeur : Montparnasse, Janvier 2013. Coffret 2 DVD+livre. DVD1 : Chronik der Anna Magdalena Bach (1967, 1h32). Versions originales allemande, française (Christiane Lang et Gustav Leonhardt), anglaise (Gisela Hume), italienne (Rita Ehrhardt), néerlandaise (Margret Schumacher).

Suppléments sur DVD2:

  • Signalement de Jean-Marie Straub, film documentaire de Henk de By, 1968, 41 min.
  • Entretiens avec Christiane Lang-Drewanz (2012, 30 min) et Nikolaus Harnoncourt (2012, 21 min).
  • Photos et documents inédits.
  • Gilles Deleuze, Qu'est-ce que l'acte de création ? (1987, 8 min)
  • Livre de 160 pages avec le découpage intégral, entretiens et documents.

Quelques mois après la mort de sa première femme en 1720, Jean-Sébastien Bach épousa la chanteuse Anna Magdalena Wülken. Prenant pour point de départ la date de son mariage, Anna Magdalena Bach évoque les différentes étapes de la vie du compositeur allemand ; de ses démêlés avec ses nombreux protecteurs, princes et mécènes, jusqu'à sa mort, le 28 juillet 1750.

Edition indispensable pour se saisir enfin d'un des films les plus importants des Straub et sur la façon de filmer la musique au cinéma. Le découpage intégral proposé dans le livret d'accompagnement permet d'obtenir les références musicales et historiques qui permettent d'engager un débat fécond sur l'œuvre. L'intervention de Gilles Deleuze à la Fémis proposée en bonus, aussi émouvante soit-elle, n'est en effet basée que sur un souvenir bien imprécis et extrêmement partiel du film.

A l'inverse de l'usage habituel, les Straub souhaitaient que ce soit la musique qui soit au centre du film et que l'image l'accompagne. La musique n'est en effet pas seulement le sujet du film, mais la matière dont il est fait. L'image n'a qu'une fonction d'illustration dans la plupart des longs et beaux moments d'exécution musicale. Ceux-ci valent alors pour eux-mêmes dégagés des fonctions dramatiques illustrant la vie du compositeur comme c'est habituellement le cas. On notera néanmoins que le largo de la sonate en trio est particulièrement bien adapté aux pérégrinations de jeunesse de Bach, que choral Kyrie, "Dieu saint esprit" BWV 671 souligne le triomphe de Bach auprès du conseil de Leipzig ou que le choral pour orgue "Devant ton trône, je parais" BWV668 s'impose pour accompagner la mort de Bach.

Le besoin d'authenticité se traduit par le souhait de s'en tenir aux instruments d'époque comme aux documents d'époque et par le choix d'un acteur qui interprète lui-même les extraits musicaux. Tout est filmé en son direct avec micros invisibles. Les douze morceaux musicaux interprétés dans le champ durant de 3 à 7 minutes sont filmés dans un seul plan. Ainsi la grande cadence du concerto brandebourgeois n°5 (plan 1, 3'25" avec travelling arrière), le Magnificat en ré majeur BWV243 (plan 33, 3'6" avec travelling arrière), la cantate BWV205, "Eole apaisé" (plan 37, 5'39" avec travelling avant), l'ode funèbre BWV 198 (plan 39, 4'6", fixe), la musique funèbre BWV 244a (plan 41, 3'8", fixe), La passion selon saint Mathieu BWV 244 (plan 42, 7'24, fixe), la cantate BWV 42 (plan 48, 3'53"), la cantate BWV 215 (plan 57, 3'24", fixe), le choral Kyrie, "Dieu saint esprit" BWV 671 (plan 69, 5'20", travelling avant), l'andante du Concerto dans le goût italien (plan 80, 4'31", fixe), 25e variation Goldberg BWV 988 (plan 85, 4'3", panoramique des mains au visage), la cantate BWV 82 "J'en ai assez" (plan 89, 4'49", travelling avant). Ces douze plans sur les 114 du film représentent un ensemble musical de près de 53 minutes sur les 92 du métrage total.

Dans un premier temps, les cinéastes se contentent d'enregistrer les morceaux joués par les musiciens. Après l'extraordinaire souffle de la Passion selon Saint Mathieu, ils raccordent sur un plan de mer, pause méditative après tant d'intensité. Plan qui réapparaîtra une autre fois avant qu'un morceau de Bach soit entièrement monté sur un plan de nature.

Signalement de Jean-Marie Straub (Henk de By, 1968, 41 min)

Dans ce documentaire, tourné par Henk de By en 1968, et dont n'était connu jusqu'à présent que la deuxième moitié, les Straub situent leur film très précisément parmi les interrogations politiques de l'Allemagne d'après-guerre et soulèvent les considérations esthétiques qui y sont liées. Gustav Leonhardt évoque lui la genèse du projet, l'idée qu'il a de son "rôle", sa position dans le film et son rapport avec les Straub. JMS affirme que plus un film est particulier enraciné, plus il peut avoir une audience internationale. Plus un film est allemand plus il est international. Si l'on essaie de faire un film international, on fait une chose qui n'a pas d'intérêt...

 

Gilles Deleuze, Qu'est-ce que l'acte de création ?( 17 mars 1987, 8 min)

Extrait de la conférence à la Femis du 17 mars 1987, 8 min. Gilles Deleuze étudie l'affinité entre l'art et l'acte de résistance. De par le traitement du son, le rapport très indirect entre l'image sonore et l'image visuelle, il présente l'œuvre des Straub comme un acte de résistance.

La contre-information ne devient efficace que lorsqu'elle devient acte de résistance. Aucun rapport entre l'œuvre d'art et la communication. L'œuvre d'art ne contient pas la moindre information mais affinité fondamentale entre l'œuvre d'art et l'acte de résistance. Les hommes qui résistent n'ont souvent ni la culture ni le temps pour avoir le moindre rapport avec l'art. Malraux dit "L'art est la seule chose qui résiste à la mort". Il y a là la base d'un assez beau concept philosophique. Une statuette vieille de 3000 ans prouve que la réponse de Malraux est une bonne réponse. Tout acte de résistance n'est pas une œuvre d'art et pourtant un peu. Toute œuvre d'art n'est pas un acte de résistance et pourtant si d'uen certaine manière.

Une idée cinématographique c'est lorsque les Straub opèrent cette disjonction où la voix sonore s'élève ; elle passe sous la terrre déserte que l'image visuelle était en train de nous monter ; image visuelle qui n'avait aucun rapport avec l'image sonore ou qui n'avait aucun rapport direct. Or quel est cet acte de parole qui s'élève dans l'air pendant que son objet passe sous la terre ? C'est un acte de résistance. Et dans toute l'œuvre des Straub, l'acte de parole est un acte de résistance, de Moïse au dernier Kafka en passant par Non réconciliés jusqu'à Bach. L'acte de parole de Bach c'est quoi ? C'est sa musique, acte de résistance et de lutte active contre la répartition du profane et du sacré. Et cet acte de résistance culmine dans un cri. Tout comme il y a un cri dans Wozzeck, il y a un cri de Bach : "Dehors", "dehors, allez-vous en je ne veux pas vous voir". C'est l'acte de résistance quand ils mettent en valeur le cri de Bach ou lorsqu'ils mettent en valeur le cri de la vieille schizophrène dans Non réconciliés.

Tout ça doit rendre compte de… dans tout cela l'acte de résistance a deux faces ; il est humain et c'est aussi l'acte de l'art. Seul l'acte de résistance résiste à la mort soit sous la forme d'une œuvre d'art, soit sous la forme d'une lutte des hommes. Et quel rapport y a-t-il entre la lutte de l'œuvre d'art et la lutte des hommes ? Le rapport le plus étroit pour moi, le plus mystérieux exactement, ce que Paul Klee voulait dire quand il disait le peuple manque et en même temps ça ne manque pas. Ça ne sera jamais clair l'affinité entre une œuvre d'art et un peuple qui n'existe pas encore.

  • Erinnerung an/mit Anna Magdalena Bach Entretien avec Christiane Lang-Drewanz, 2012, 30 min. Christiane Lang-Drewanz, l'interprète d'Anna Magdalena Bach, nous emmène dans sa vie de jeune femme et explique comment, entre le début du projet et la réalisation du film, elle devient de plus en plus, sans le savoir ni le vouloir la femme dont le film a besoin. L'adhésion, l'enthousiasme et l'émotion si vifs et sensibles chez elle témoignent de cette aventure...
  • Harnoncourt - Leonhardt - Straub/Huillet Nikolaus Harnoncourt se souvient du tournage. 2012, 21 min. Nikolaus Harnoncourt (le prince d'Anhalt- Köthen dans Chronique d'Anna Magdalena Bach) évoque sa première rencontre avec les Straub. Il raconte le début de son amitié avec Gustav Leonhardt et " l'évidence " de sa participation au film. Comme pour Christiane Lang-Drewanz, son récit témoigne de l'épopée du film.
  • Photos et documents inédits Des photos inédites du tournage de Chronique d'Anna Magdalena Bach, mais aussi des plus récentes de Jean-Marie Straub, en compagnie de Gustav Leonhardt. Les documents de travail (en partie Rom du DVD) sont ceux utilisés par le couple pour la préparation du film : notes sur Bach, dialogues, liste des musiques...

 

LIVRE (160 pages)

  • Les cinq versions du Bachfilm, de Barbara Ulrich Barbara Ulrich a vécu plusieurs années aux côtés de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet. Elle présente dans ce texte le coffret DVD et livre Bachfilm. Elle évoque également la conception particulière de l'enregistrement des commentaires " off " sur Chronique d'Anna Magdalena Bach, disponible en 5 langues différentes, et pourtant radicalement opposé au simple principe du doublage.
  • Le Bachfilm, de Jean-Marie Straub, traduit par Danièle Huillet Retranscription écrite d'un entretien de 1966 entre Jean-Marie Straub et Enno Patalas, et publié dans la Filmkritik de Munich afin de trouver de l'argent pour produire le film. Jean-Marie Straub y évoque sa conception du travail musical de Chronique d'Anna Magdalena Bach. Il revient aussi sur les choix de Gustav Leonhardt et Christiane Lang-Drewanz, qui interprètent respectivement Jean-Sébastien Bach et Anna Magdalena Bach dans le film.
  • Chronique d'Anna Magdalena Bach, découpage version française Ce découpage intégral de la version française ne reproduit pas seulement le découpage du film en plans, il indique également les lieux, la musique exécutée ainsi que le texte parlé en direct et le commentaire lu " off ". Il permet également de lire toutes les inscriptions, titres et lettres, que la caméra donne à voir.
  • Jeunesses musicales, de Benoît Turquéty Benoît Turquéty est maître d'enseignement et de recherche à l'Université de Lausanne. Il est diplômé de l'École nationale supérieure Louis-Lumière, et docteur en Esthétique, sciences et technologies des arts, spécialité cinéma, de l'Université Paris 8. Il a publié une thèse sur le travail des Straub, sous le titre Danièle Huillet et Jean-Marie Straub, " objectivistes " en cinéma. Il décrit dans ce texte les régions cinématographiques, esthétiques et politiques dans lesquelles s'inscrit Chronik aussi bien au niveau de la bio-filmographie de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet qu'au niveau historico-politique.
  • Helmut Färber et Jean-Marie Straub, Passages d'une conversation à propos de Chronik der Anna Magdalena Bach Des passages d'une conversation, tenue au printemps 2010 entre Jean-Marie Straub et Helmut Färber, qui avait publié le découpage du film en allemand dès 1969. Leur cheminement de bobine en bobine et de musique en musique, révèle grâce aux exemples, précisions, corrections, à travers récits personnels et haute érudition, cette idée qui était contenue dans la phrase programmatique du début du texte " Le Bachfilm " : " ... la musique comme matière esthétique... " et dont Chronique d'Anna Magdalena Bach est le gracieux et inépuisable présent.

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présentent
 
Le Bachfilm de Danièle Huillet et Jean-Marie Straub