Left-handed girl

Shu-Fen, une mère célibataire et ses deux filles I-Ann, dans la vingtaine, et I-Jing, huit ans, arrivent à Taipei. Elles s'installent dans un appartement qui leur avait semblé plus grand lorsqu'elles l'avaient loué sur internet. Shu-Fen avait aussi pris contact pour louer un emplacement sur le très fréquenté marché de nuit de la ville pour y installer quelques tables pour vendre sa cuisine traditionnelle. I-Ann en veut à sa mère d'être revenue à Taipei pour s'occuper de son père agonisant d'un cancer à l'hôpital et qui les a non seulement abandonnées mais ruinées avec ses dettes. Elle la méprise de gagner si mal sa vie alors qu'elle affirme s'en tirer mieux comme vendeuse de noix de bétel dans un petit magasin de la ville. Elle s'occupe aussi de I-Ann qu'elle conduit et va chercher à l'école sur son scooter.

Sur le marché de nuit, les affaires ne sont pas florissantes pour Shu-Fen qui est sous la menace de se voir retirer son emplacement si elle ne paie pas la location. Elle rend visite à son mari en phase terminale qui ne peut plus parler. La situation n'est pas plus brillante pour I-Ann, qui est la maîtresse de son employeur qui a par ailleurs recruté une jeune vendeuse qu'elle doit former.

Shu-Fen, I-Ann et I-Jing vont déjeuner chez leur mère et grand-mère, femme autoritaire qui refuse de se voir vieillir, méprise son mari et arrondit sa retraite en faisant passer des taïwanais aux États-Unis avec de faux passeports remis par une organisation mafieuse. Le grand-père remarque que I-Jing est gauchère et, affirmant qu'elle est mal élevée, l'oblige à manger de la main droite.

Quand le mari de Shu-Fen meurt, I Ann lui en veut de consacrer toutes ses économies à son enterrement. La réaction est encore plus virulente de la part des sœurs de Shu-Fen d'autant que celle-ci sollicite un prêt auprès de leur mère pour payer son premier loyer. Le grand- père qui a pris I-Jong à part s'entête à vouloir qu'elle se serve de sa main droite, affirmant que la gauche est la main du diable.

Sur le marché, Shu-Fen est soutenue par son voisin, Johnny un camelot qui vend de tout et est immédiatement amoureux d'elle. I-Jing joue avec le suricate qui appartenait à son père et lui lance une balle que l'animal court chercher... en passant par le balcon, et meurt écrasé par un motocycliste dont les informations télévisées rendent compte de la chute, s'interrogeant sur la provenance de l'animal. Traumatisée, I-Jing pense à se couper la main gauche au hachoir puis finit par l'enfermer dans un tissu et se met à voler de multiples babioles dans les magasins du marché.

Le jour où I-Jing accompagne Shu-Fen chez sa mère, celle-ci , qui a convoqué sa sœur, refuse le prêt d'argent. I-Jing vole les passeports sur la table et tente de les vendre à un prêteur sur gage. Le vol permet à la grand-mère d'échapper à la prison quand la police informée du trafic illicite débarque chez elle. I-Ann découvre le secret de sa petite sœur qui devient alors la chouchoute de sa grand-mère. I-Ann quant à elle annonce à son employeur qu'elle est enceinte alors qu'il drague la nouvelle employée. Écœurée, elle démissionne quand la femme de son employeur vient l'insulter. Un peu plus tard, elle perd l'enfant qu'elle portait.

Le jour de l'anniversaire de la grand-mère, toute la famille est réunie au restaurant. L'employeur et sa femme viennent faire un scandale en réclamant l'enfant à naître afin d'assurer la descendance du couple. I-Ann, accablée par ce scandale public, boit suffisamment pour révéler à tous que la grand-mère est en fait arrière-grand-mère puisque c'est elle la mère de I-Jing, sa mère l'ayant reconnue comme sienne pour la protéger du scandale.

Plus tard, la grand-mère donne l'argent escompté à Shu-Fen et celle-ci reçoit l'aide de ses filles pour l'aider à la cantine sous l'œil toujours amoureux de Johnny.

Shih-ching Tsou et Sean Baker collaborent depuis Take out (2004) dont ils ont cosignés le scénario et la réalisation. Shih-ching Tsou va ensuite produire Starlet (2012), Tangerine (2015), The Florida Project (2017) et Red Rocket (2021). Cette fois, c'est Sean Baker qui est le coscénariste et le monteur de Left-Handed Girl mais c’est Shih-ching Tsou qui a trouvé les acteurs, réuni l’équipe technique et évidemment mis en scène. Comme dans leurs films précédents, la précarité et les difficultés financières ne sont jamais loin mais aussi l'énergie pour tenter de s'en sortir avec l'installation d'une atmosphère parfois irréelle dans une histoire sociale.

Shih-ching Tsou revient dans son pays natal, attentive aux tensions présentes dans les familles traditionnelles, la valorisation des enfants mâles, leur peur du jugement ou du rejet social pour mieux en contrepoint montrer la solidarité du trio de personnages féminins. Toutes trois ont en effet quelque chose à cacher qui pourrait menacer leur efforts pour survivre dans un monde hostile aussi bien familial que marchand.

I-Jing, filmée à sa hauteur de huit ans quand elle déambule dans le marché de nuit, garde longtemps pour elle la malédiction que son grand-père a porté sur sa main gauche. Après la mort de son suricate, elle est au bord de l'automutilation engagée dans des vols en série. I-Ann, se révèle être non pas sa sœur aînée mais sa mère l'ayant eu très jeune et protégée de la honte sociale par sa mère qui a déclaré l'enfant comme sienne. Shu-Fen maintient tant bien que mal l'unité de la petite cellule familiale, supportant stoïquement le mépris de tous pour rester fidèle à ses valeurs.

Jean-Luc Lacuve, le 28 septembre 2025.