1790. Au bord des eaux limoneuses du fleuve Paraná, le juge don Diego de Zama scrute le ciel et l’eau, mais rien ne vient. Zama espère des nouvelles qui viendront du fleuve. Il attend une lettre du vice roi du Río de la Plata signifiant sa mutation pour Buenos Aires. Voilà plus d’un an qu'il est exilé loin de sa famille et de ses enfants dont il attend vainement des nouvelles. Rien ne vient et Zama trouve une maigre compensation à sa frustration en observant, caché, un groupe de femmes prenant un bain de boue. Repéré, il est poursuivi par l'une des femmes qu'il gifle violemment pour se libérer
Zama se sent déclassé. Il est le corregidor, maire de la ville d’Asunción, nommé par le roi et compétent en matière administrative et judiciaire. Il a pacifié la région sans recours à l’épée mais aucune reconnaissance ne vient. Le gouverneur ne lui demande plus que de faire avouer à de pauvres indiens des crimes imaginaires pour garder son poste. Perdant l'estime de lui, il est ainsi attentif au récit d'un indien torturé : l’histoire des poissons rejetés par l’eau dans laquelle ils nagent. Pour ne pas être d'expulsés, pour survivre, ils doivent naviguer près des berges, là où le courant est moins fort.
Le fleuve apporte à Zama, L’oriental et son jeune fils, possesseurs d'une cargaison de porto. Peut-être sont-ils atteints du choléra mais c’est là une occasion de rencontrer Luciana, la femme du ministre des finances, une coquette qui aguiche sans se donner. Zama loge chez un marchand de tissus dont la fille ainée est sa compagne. Celle-ci a un amant qui s'enfuit précipitamment à sa venue. Zama fait comme s'il croyait que c’était un intrus venu agresser sa compagne et le voler. La maisonnée se rie secrètement de lui. Zama a aussi une maitresse créole avec laquelle il a un enfant. Elle n’a pas d’égard pour lui. Il ne peut rien payer car les soldes n'arrivent pas. Tout juste déposer un lit encombrant lorsque le gouverneur décide d'un grand nettoyage
Un écrivain vient lui présenter un manuscrit sur les mœurs de la colonie. Le gouverneur s’en offusque et lui commande un rapport. A cette condition, il écrira au vice-roi. Quand Zama lui remet le rapport, il apprend qu'il faudra aussi une seconde lettre dans deux ans pour qu'il obtienne peut-être alors sa mutation.
Souffrant de l’éloignement et du manque de reconnaissance, Zama perd patience et, pour se libérer de son attente, se lance à la poursuite d’un mystérieux bandit. Vicuña Porto.
La petite expédition menée par le capitaine Hipólito Parrilla va de déconvenues en déconvenues. La gangrène menace bientôt le capitaine, leurs chevaux sont pris par les Indiens. Ils sont violemment assommés et humiliés par des Indiens peinturlurés de rouge et rigolards. Pire, à part le capitaine et Zama, les soldats qui les accompagnent sont Vicuña Porto en personne et ses hommes. Ainsi le capitaine et Zama sont-ils bientôt leurs prisonniers. Vicuña Porto exige de Zama qu'il lui indique où est le pays des noix de coco; ces noix de coco qui renferment des pierres précieuses. Zama leur dit que c'est une légende, les pierres n'ont aucune valeur. "Je fais pour vous ce que personne n'a fait pour moi : je dis non à vos attentes". De rage, Vicuña Porto coupe successivement les deux bras de Zama lui indiquant que s'il plonge les moignons dans le sable, il survivra.
Zama, allongé dans une pirogue conduite par deux Indiens, s'éloigne, paisible, sur le tapis vert du marais, acceptant la vie comme la mort.
Zama, sans perspective, jouet des circonstances, contraint à l’attente, contraint à remiser sans cesse ses espoirs, souffre car toujours soumis à autrui. Tous les plans de la première partie sont fixes. Aucun mouvement d’appareil, presque aucune continuité entre deux actions si ce n’est une série d’humiliations que subit Zama alors que sa situation financière, sexuelle et politique se dégrade de jour en jour et que ses services rendus ne sont d'aucun poids.
Zama, filmé en plan fixe dans un cadre étroit y est d'autant plus enfermé que portes et fenêtres, à l’intérieur du cadre, le cernent encore davantage, l’enfermant dans une sorte de paranoïa. Très souvent en effet, les voix off de ses interlocuteurs viennent frapper Zama. Il entend ce que l'on attend de lui dans une sorte de déformation mentale produite par une bande-son très travaillée.
En revanche dans la profondeur de champ, transparaissent les conditions de l'exploitation coloniale : torture, humiliations, gifles à répétition. Tant est si bien que ce sont souvent les réactions des esclaves noirs ou des valets qui disent par leur condition misérable et interloquée leur proximité avec Zama. Ainsi le prisonnier torturé qui raconte l'histoire des poissons nageant à contrecourant pour ne pas être expulsés ou ce valet souvent giflé, toujours la larme à l'œil derrière Zama rabroué par ses chefs.
Vient alors la seconde partie. Zama ayant pratiquement perdu tout espoir, part sur les traces du bandit mythique. Autant la première partie est aride, dominée par le blanc des perruques et les costumes coloniaux, autant la seconde déploie ses couleurs, le rouge des tribus indiennes, le vert de la végétation terrestre ou fluviale, le noir enfin de la pourriture qui s'empare du bras du capitaine ou du cadavre découvert dans un arbre.
Les Indiens, grandioses, portent des masques d'oiseaux et soumettent à leur volonté la petite bande de colonisateurs. A la fin, privé de ses bras dans une barque qui évoque celle de Charon, Zama se laisse enfin porter par le courant. "Je fais pour vous ce que personne n'a fait pour moi : je dis non à vos attentes" a-t-il dit à ses ennemis. Il n'espère plus rien, pas même de vivre, enfin apaisé. Sur l'air lancinant de Maria Elena, interprété à la guitare espagnole par le groupe los Indios Tabajaras, la pirogue s'éloigne sur le tapis vert du marais.
Odyssée de la dépossession de soi, le film rejoint en cela Aguirre la colère de dieu (Herzog, 1972), Profession reporter (Antonioni, 1975), Monsieur Klein (Losey, 1975), Le désert des Tartares (Zurlini, 1976).
Jean-Luc Lacuve, le 25 juillet 2018.