Trois enfants et un chien jouent au bord d'une route déserte. Après une fête familiale et en l'absence de son mari parti à la chasse, Veronica rentre seule sur la route. Elle écoute à la radio par un tube des années 1970 (Soley soley, du groupe Middle of the Road). Dans un moment de distraction, elle heurte quelque chose. Sonnée par le choc, effrayée par ses possibles conséquences, elle ne descend pas du véhicule, poursuit son chemin. Elle s'arrête à l'hôpital où son frère Marcelo exerce comme médecin pour des examens qui ne révèlent aucun traumatisme. Elle se repose ensuite dans une chambre d'hôtel où vient la rejoindre un homme avec qui elle fait l'amour.
Lorsque son mari rentre de la chasse, Veronica fuit dans sa chambre et refuse de lui parler. Quelques jours passent où elle semble comme étrangère à elle-même, ne pouvant plus faire les gestes de son métier de dentiste. Son entourage la soutient dans ce qu'il croit être un moment de fatigue et ses patients sont soignés par son frère. Veronica fait de son mieux pour participer à l'anniversaire de la veille tante Paula,
Un jour pourtant, elle n'en peut plus et, dans un grand magasin avoue soudainement à son mari qu'elle croit avoir tué quelqu'un sur la route. Marcos demande quelques explications, puis, rassuré par le fait que Veronica n'a pas vu de mort, conduit, de nuit sa femme sur les lieux de l'accident pour ne constater qu'il n'y a qu'un chien mort sur le bas coté. Pour rassurer complètement Veronica, Marcos demande au cousin de celle-ci, Juan Manuel, l'homme de l'hôtel, de téléphoner au chef des pompiers au cas où ils auraient constaté un accident le jour de l'orage. Juan manuel, soulagé de n'avoir pas été appelé pour avouer qu'il est l'amant de Veronica, l'est d'autant plus que le chef des pompiers affirme n'avoir pas été appelle pour un accident le jour de l'orage.
Ce mauvais épisode parait clôt et que la vie reprend son cours,
Juan Manuel, et sa femme Josephina invitent Marcos et Veronica chez eux où
l'on s'inquiète toujours de la santé de la tante Paula et de
celle de la jeune Candita atteinte d'une hépatite qui la confine souvent
à rester au lit. Veronica a changé de coiffure et est redevenue
brune.
Veronica s'inquiète de son jardin et s'en va avec Josephina et Candita acheter de grands pots pour contenir les arbres qu'elle s'est choisis. L'un des trois garçons du pépiniériste est absent et Veronica devra revenir pour charger l'un des pots. Au retour, près du pont où avait eut lieu l'accident, des pompiers repêchent le corps d'un adolescent mort le jour de l'orage.
Veronica en est bouleversée. Au retour, elle constate que son mari a fait réparer la voiture. Elle se rend à l'hôpital et constate qu'il ne reste plus trace des examens qu'elle a passé. Son frère Marcelo les ayant détruites. même sa réservation à l'hôtel a été effacée de l'ordinateur par Juan Manuel
Toute la famille se retrouve pour une nouvelle fête.
La mise en scène de Lucretia Martel capte la dimension psychologique que représente le déni de réalité avant d'en révéler la dimension politique par une dramaturgie savamment dosée. Sans jamais abandonner la douceur ouatée qui avait entouré l'accident et l'amnésie intellectuelle de Veronica, le film se révèle de plus en plus férocement politique. D'une perspective unicentrée sur son personnage principal, Martel évolue en effet vers un film choral où la classe bourgeoise incestueuse s'enferme dans un monde d'irresponsabilité, efface les traces de l'accident et laisse croire à la famille pauvre que son enfant s'est noyé.
Figurer l'absence de la pensée.
La femme sans tête est sonnée par la tragédie qui lui fait croire qu'elle a tué quelqu'un. Veronica dénie cette catastrophe qui s'est abattue sur elle. Elle s'enferme en elle-même. Etrangement, comme une somnambule, elle passe à l'hôpital pour des examens qui ne révèle rien et réserve la chambre 218 de l'hôtel où viendra la rejoindre un homme dont elle fait son amant. On apprendra par la suite que c'est son cousin et le mari de Josephina.
La catastrophe s'impose à Veronica et la profondeur de champ réduite marque l'empathie de Martel avec Veronica. Le monde extérieur s'efface et nous sommes dans le cerveau aphasique de Veronica. Elle se laisse conduire à l'hôpital par une conductrice qui l'a trouvée sur le bord de la route, elle ne comprend plus le nom de ses enfants, est incapable de parler, d'accomplir les gestes exigés par son métier de dentiste ou d'être vraiment présente lors de l'anniversaire de la tante Lala.
Enfermée en elle-même, elle est soumise à des sensations qui lui font exiger de faire l'amour avec son cousin, qui l'a toujours désirée sans passer à l'acte, ou pleurer devant un robinet qui refuse de s'ouvrir alors qu'un soudeur à l'arc l'inonde de lueurs et de bruits inquiétants avant de lui verser de l'eau sur la tête.
Après la découverte du seul chien mort sur le bord de la route, Veronica n'est pourtant pas totalement rassurée et la dimension d'empoisonnement individuel de la conscience se manifeste par des éléments fantastiques avec la séquence inquiétante au bord de la piscine ou la séquence avec la vieille tante mourante qui rêve de fantômes. La tante Lala entend les grincements qu'elle attribue à des fantômes. Dans la profondeur de champ floue, on distingue un enfant qui s'éloigne. La tante intime alors l'ordre à sa nièce de ne pas le regarder."Comme cela, il disparaîtra de lui-même" lui dit-elle. Attitude que Veronica finira par appliquer : ne pas regarder le mort et le laisser disparaitre.
La reprise en main des éléments par le spectateur
Le spectateur qui a nettement aperçu le chien écrasé
lorsque Veronica a abandonné les lieux de l'accident a le choix de
croire, ou non, à la mort du jeune Diego, le frère de Chingulia.
Il peut accepter la thèse officielle écrite dans le journal
: Diego s'est noyé ou penser qu'il a été éjecté
dans le canal par le choc et est mort ensuite de ses blessures ou noyé
par l'orage.
L'accident mortel, immédiat ou à la suite d'une agonie plus ou moins longue, est, à mon avis pourtant plus probable. On voit mal comment, alors que les orages reviennent tous les ans, l'enfant qui connaît bien les lieux se serait noyé sans être grièvement blessé. De plus, si son chien est mort sans qu'il soit blessé, il s'en serait occupé et aurait été chercher des secours plutôt que de jouer dans le canal sous l'orage. On notera que les traces de main sur la vitre de la voiture sont plutôt une fausse piste puisque, lors de la réunion familiale initiale, on a vu un enfant jouer à poser ses mains sur la vitre. De même, les deux chocs successifs de la voiture ne prouvent pas vraiment deux impacts de deux corps différents : le chien ayant pu rebondir sur la voiture avant de s'effondrer sur la route
La culpabilité de Veronica n'en demeure pas moins pleine et entière puisqu'elle ne s'est pas arrêtée pour assumer les conséquences de l'accident.
Le traumatisme de cet acte irresponsable -tel celui de Lord Jim lors du naufrage du Patna- empoisonne Veronica et ne cesse de l'inquiéter. Ainsi le pépiniériste a perdu un de ses trois aides, l'un des frères de Chingulia, celui qui plaçait les pots en hauteur. Or le spectateur se souvient que les enfants s'étaient appelés par ces noms de Chingulia et Diego. Avant Veronica, alors seulement vaguement inquiète, il sait que le Diego qui grimpait au début sur la pancarte publicitaire est le même qui manque aujourd'hui.Conclusion à laquelel aboutit immanquablement Veronica dès la séquence suivante où l'on repêche un corps dans le canal.
Le mécanisme social qui déresponsabilise et empoisonne
Dès le repêchage du corps du canal, les trois hommes qui entourent Veronica vont s'employer à faire disparaître les traces de l'implication de Veronica dans l'accident. C'est d'abord le mari, Marcos, qui dès le matin emprunte la voiture pour la faire réparer avant de ramener leur fille à la maison. Ce sera ensuite Marcelo, le frère qui fera disparaître les traces de l'entrée de Veronica à l'hôpital. Puis sans que cela soit dit, Juan Manuel qui fait disparaître les traces du passage de Veronica à l'hôtel en l'effaçant du registre.
Alors que Veronica avait été sonnée puis empoisonnée, elle semble assumer son déni de réalité. Le plan qui la voit inquiète des bosses restant après la réparation effectuée par son mari dit le basculement qui s'est opéré chez elle. Tout comme son changement de teinture de cheveux. Cette acceptation du mensonge ne manque pourtant pas de garder sa charge douloureuse. Martel ajoute en effet à cette scène, l'arrivée du pépiniériste avec Chingulia qui blesse et culpabilise Veronica.
Elle essaie alors de compenser de manière dérisoire le mal fait à la famille pauvre de Diego en offrant au jeune garçon payé à la tâche un sandwich ou des tee-shirts. Cela ne l'empêche pas de chercher à cacher les traces qu'elle a laissées à l'hôpital. Elle s'aperçoit alors que celles-ci ont disparue. Son frère Marcelo lui indique avoir déjà fait disparaitre les documents comprometants.
Lors de la grande fête du vendredi, Veronica retrouve toute la famille. Consciente de l'ouvrage collectif mené pour la soustraire aux conséquences juridiques de sa faute, elle se fait confirmer ce qu'elle pressentait déjà. Les traces de sa présence à l'hôtel ont été effacées. Un peu plus tard, Josephina lui fait des compliments sur sa chevelure redevenue noire. Veronica répond de manière désabusée : "Sa vraie couleur, elle ne la connaît plus car elle la camoufle toujours sous une couleur". L
a pointe la plus féroce vient avec la remarque suivante de Josephina lorsque Veronica lui confirme avoir fait sa teinture chez elle. "Rien ne te fait peur" lance alors Josephina. Le regard que s'échangent alors les deux femmes dit qu'elles ont compris qu'il y a bien autre chose à camoufler que les cheveux grisonnants et que le processus de camouflage s'est répandu des hommes de la communauté à leur femme. Josephina sait pour l'accident. Veronica se sait condamnée au mensonge dans sa propre communauté qui s'en trouve de ce fait contaminée.
Le dernier plan où la famille se congratule sur le musique disco de Mamy blue est filmé derrière une vitre qui dedouble légérement les visages et les corps. Empoisonnés par leur mensonge, ces personnages sont comme accompagnés par leur double menteur.
Martel ne procede pas à une charge contre la bourgeoise argentine cherchant à s'exonérer de ses fautes pendant la dictature et cherchant à oublier le passé. Agnus Dei de Lucia Cedron jouait plus directement la carte d'un cinéma politique. Lucretia Martel se place dans le cerveau de Veronica puis dans le cerveau collectif de la communauté et décrit un precessus d'effondrement interne. Au fur et à mesure se dessine une bourgeoisie qui fonctionne en vase clôt, incestueuse. Non seulement Juan est le cousin de Veronica mais sa fille est aussi amoureuse de sa tante. Lui ayant écrit des lettres d'amour, elle lui reproche de ne pas y avoir répondu.
Jean-Luc Lacuve, le 5/06/2009.