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En 1961, Bob Dylan s'installe à New York pour rencontrer son idole récemment hospitalisée, Woody Guthrie. Dylan rencontre Guthrie à l'hôpital avec son ami proche Pete Seeger. Dylan interprète Song to Woody qu'il a écrite pour son idole, impressionnant les deux musiciens folk. Seeger invite Dylan à rester avec sa famille pour laquelle il joue le début de "Girl from the North Country". Il introduit lentement le nouveau venu dans la scène folk de New York. Dylan rencontre Sylvie Russo lors d'un concert, la charme avec ses histoires de premiers travaux dans un cirque et ses opinions contraires au sujet du film Now, Voyager (Irving Rapper, 1946) qu'ils ont vu ensemble. Il dîne avec elle avant qu'elle lui donne rendez-vous le lendemain. Leur relation se poursuit et il emménage dans son appartement.
Après une performance de Joan Baez, Seeger présente Dylan lors d'une soirée micro ouvert où il chante "I Was Young When I Left Home" et à laquelle assistent des dirigeants de l'industrie et le manager Albert Grossman. Dylan flirte avec Baez et impressionne la foule, ce qui incite Grossman à le prendre comme client sur-le-champ. Dylan commence à travailler sur un album mais est contraint par son label d'enregistrer principalement des reprises. Les ventes du disque sont médiocres, ce qui frustre Dylan.
Avant de partir pour un long stage d'étude en Europe, Russo se dispute avec Dylan. Elle est contrariée par sa nature distante et sa tentative délibérée de lui cacher son passé. Malgré cela, elle l'encourage à faire pression pour qu'il enregistre sa propre musique. Pendant son absence, Dylan profite des troubles politiques et sociaux pour créer un public pour ses compositions socialement engagées. Cela attire l'attention de Baez, et les deux commencent une liaison et une collaboration artistique. Russo devient méfiant en voyant la proximité professionnelle de Dylan avec Baez, et en 1965, Dylan et Russo se séparent.
Ayant atteint la célébrité mais pas la liberté artistique, Dylan se lamente d'être redevable aux attentes de l'industrie et de la communauté de la musique folk. Une tournée tant attendue avec Baez se termine en désastre ; une dispute sur l'ego de Dylan, ainsi que les exigences de Baez de jouer ses chansons populaires au lieu de nouvelles chansons, conduisent Dylan à quitter la scène au milieu de sa prestation.
Le désir de Dylan de se libérer des attentes le pousse à expérimenter la guitare électrique et les instruments rock, une orientation controversée au sein de la scène folk, qui préfère massivement les arrangements acoustiques simples. Dylan rassemble son groupe et commence à enregistrer Highway 61 Revisited. La nouvelle direction de Dylan est particulièrement inquiétante pour le comité de planification du Newport Folk Festival, qui a engagé Dylan pour être la tête d'affiche de l'événement de 1965, mais craint qu'il ne lance son nouveau son qui divise.
Dylan invite Russo au festival, espérant raviver sa relation avec elle dans le processus. Elle accepte, mais en regardant un duo ("It Ain't Me Babe") entre Baez et lui, elle se rend compte qu'elle ne sera jamais à l'aise dans leur relation, s'énerve et part. Dylan la suit, conduisant sa Triumph jusqu'au quai d'où elle quitte l'île, mais ne la convainc pas de rester, et ils se disent au revoir, partageant une dernière cigarette. Le comité tente de convaincre Dylan de ne pas passer à la musique électrique, et finit par recourir à un plaidoyer passionné de Seeger, qui rappelle à Dylan que le travail de sa propre vie est en jeu. Un Johnny Cash ivre encourage Dylan à jouer le spectacle électrique, et Dylan exécute son plan. La réaction de la foule est hystérique, lançant à la fois des invectives et des objets sur le groupe. Le comité, y compris Seeger, tente de couper le son, mais est contrecarré par Grossman et la femme de Seeger, Toshi. Dylan refuse d'abord une demande de Seeger et des organisateurs du festival de jouer une chanson folk en rappel, mais cède lorsque Cash lui offre sa guitare acoustique.
Le lendemain matin, en sortant de Newport, Baez rattrape Dylan et lui fait remarquer qu'il a "gagné", qu'il a finalement obtenu sa liberté face à la prison du Folk traditionnel. Dylan rend visite à Guthrie une dernière fois avant de quitter la ville sur sa moto.
Nombreux sont déjà les films sur Bob Dylan, tous visant à une forme de performance à la hauteur du mythe. James Mangold ne choisit ni structure éclatée ni vision englobant toute la vie du prix Nobel. Réduisant très précisément la focale sur les cinq années de 1961 à 1965, il fait de Dylan une figure arrogante obsédée par la nécessité de renaître sans cesse pour ne pas disparaitre.
Sur les traces du mythe
D. A. Pennebaker filme la tournée de Bob Dylan de 1965 dans Don’t Look Back (1967). Dylan lui-même se lance plus tard dans la confection de Eat the document (1972), un documentaire pour ABC sur sa longue tournée au Royaume-Uni et en Irlande en 1966 avec les Hawks dont les images étaient filmées par D. A. Pennebaker puis déploie son grand trip hippie, Renaldo et Clara (1978). Il est filmé en concert ou en tournée dans Festival (Murray Lerner, 1967), et Concert for Bangladesh (Saul Swimmer, 1972). Il est aussi comédien pour Sam Peckinpah dans Pat Garrett et Billy the Kid (1973) dont il écrit la musique.
Martin Scorsese filme The Band, notamment avec Bob Dylan, dans The last waltz (1978), documente les légendaires années 1961-1966 (No Direction Home, 2005), avant de revenir, entre vérité et fable, sur l’incroyable tournée de 1975 (Rolling Thunder Revue. A Bob Dylan Story, 2019). Todd Haynes, en un geste conceptuel, fait interpréter l’insaisissable idole par six acteurs différents (I’m Not There, 2007). Joël Coen le représente en silhouette dans Inside Llewyn Davis, 2013, jeune inconnu entrant dans la pénombre d’un bar de Greenwich et grattant trois accords de Farewell sous l’œil inquiet de Llewyn Davis, l’antihéros du film, un chanteur folk dont la carrière s’achève.
On n'en voudra pas à Mangold de ne pas respecter l'intégralité des chansons pour privilégier la mise en situation. Il donne souvent un long extrait du début dans un moment biographique significatif avant d'en redonner la fin à une autre occasion. Il s'est aussi plié aux exigences de Bob Dylan demandant que sa compagne au temps de Greenwich Village, Suze Rotolo, change de nom et en omettant toute allusion à la prise de stupéfiants alors que ceux-ci sont présents dans les documentaires de l’époque, Dont look back tourné en 1965 et Eat the Document tourné en 1966.
Un parfait inconnu
Le titre, Un parfait inconnu, provient de la chanson Like a rolling stone, précisément créé au festival de Newport de 1965 qui clôt le film. Elle parle d’une fille trop assurée, soudain déchue de son confort : "How does it feel, to be on your own, with no direction home, like a complete unknown, like a rolling stone ?" ("ça fait quoi de se retrouver isolée, sans chez-soi où aller, parfaite inconnue, à traîner dans les rues ?").
Mais c'est ce statut de parfait inconnu que le film s'évertue à maintenir. Le film ne recourt donc à aucun flash-back explicatif de ce que fut Dylan avant 1961. On n'apprendra pas les circonstances du changement de nom de Robert Zimmerman en Bob Dylan et on doutera de la véracité de ses liens avec un cirque ainsi que d'un éventuel cow-boy qui lui aurait appris les accords de guitare.
Après avoir vu Now voyager (Irving Rapper, 1946), Sylvie pense que le personnage de Charlotte Vale, interprété par Bette Davis, s'est trouvée, ce qui explique son succès. Bob Dylan refuse cet essentialisme et pense que Charlotte Vale s'est créée un nouveau personnage, adapté à la nouvelle situation. Autre proposition mais qu'ils partagent cette fois est le mot ultime de Bette Davis : "Pourquoi demander la lune, alors que nous avons les étoiles". L'objectif de possession s'efface devant le chemin à tracer. Et c'est bien une forme de fuite en avant prométhéenne auquel s'astreint Dylan car, comme il le dit avant d'être chassé de la chambre du Chelsea hotel qui partage avec Joan Baez "qui ne renaît pas est condamné à disparaître". Une première renaissance avait eu lieu sous l'impulsion de Sylvie qui l'engage à quitter la folk (le "vent la poussière") pour les engagements politiques. Mais il n'a ensuite qu'à profiter des rencontres avec Joan Baez ou Bob Neuwirth pour changer de cap, aussi vite que ses demi-tour sur sa moto.
Jean-Luc Lacuve, le 15 février 2025.