(1884-1950)
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Expressionnisme |
LObus | 1915 | Sprengel Museum, Hanovre |
La Nuit | 1919 | Kunstsammlung , Düsseldorf |
Départ | 1933 | Paris MOMA |
Le Libéré | 1937 | Collection particulière |
Autoportrait au cor | 1938 | Neue Galerie, New York |
La Ville | 1950 | The Saint-Louis Art Museum, Saint-Louis |
Né à Leipzig en 1884 et mort à New York en 1950, Max Beckmann connaîtra personnellement les grandes tragédies qui, dans ce premier XXe siècle, bouleverseront lEurope et le monde. Le peintre participera à la Première Guerre mondiale, subira la montée et la victoire du nazisme, connaîtra lexil, loccupation hitlérienne, leffondrement de lEurope et enfin lémigration aux Etats-Unis à lépoque de la guerre froide.
Luvre de Max Beckmann rend compte de chacun de ces drames, sans que pour autant le peintre en soit un "illustrateur" ou une sorte de reporter. Quoique refusant lanecdote ou le récit, nul mieux que lui na montré la crise sociale et morale de lAllemagne des années vingt ou dénoncé la monstruosité du nazisme. Et cela justement parce que, refusant lengagement direct de lartiste, lui fixant une mission plus haute, Beckmann, dans sa peinture des événements historiques, atteint une dimension universelle et intemporelle.
Les premières peintures de Max Beckmann du début du siècle,
comme "Jeunes Hommes au bord de la mer" en 1905, le font classer
par la critique dans le courant "idéaliste" de la lignée
de Hans van Marées et des peintres symbolistes allemands.
Le spectacle de la première guerre mondiale, à laquelle il participe
comme infirmier, lui inspire des dessins et des gravures dont les compositions
sont aussi éclatées, bouleversées que la réalité
qu'ils dépeignent
Après la guerre, il déclare vouloir parvenir à une forme "d'objectivité transcendante" et devient, durant les années vingt, la figure centrale de la Nouvelle Objectivité (die neue Sachlichkeit), à laquelle le Musée de Mannheim consacre une exposition en 1925, aux côtés d'Otto Dix, Christian Schad, Georg Grosz...
Max Beckmann possède un atelier à Paris depuis 1929. Sa peinture aspire à se placer au niveau des maîtres de l'avant-garde parisienne. Il puise chez Matisse des rêves d'harmonies hédonistes et espère voir ses tableaux accrochés à côté de ceux de Picasso. Ce rêve sera concrétisé par le MoMA de New York à la fin des années trente, avec la présence de son premier triptyque "Le Départ" en face de "Guernica". Il accède alors à la reconnaissance en Allemagne (une salle monographique lui est consacrée à la Nationalgalerie de Berlin en 1932).
A partir de 1933, l'iconographie de ses tableaux renonce au réalisme manifeste des années vingt pour puiser dans la mythologie et le symbolisme universel. Il quitte définitivement l'Allemagne le jour où il entend le discours d'inauguration de l'exposition "Art dégénéré" (entarte Kunst), dans laquelle figurent dix de ses oeuvres.
Pendant toute la période de la seconde guerre mondiale, il vit réfugié à Amsterdam, où il peint la plupart des triptyques qui contribueront à sa renommée. Dans ce qui peut être considéré comme la quatrième phase de son oeuvre, Max Beckmann s'emploie à tisser le réel et l'allégorie, le spectacle de la vie la plus ordinaire et la fantasmagorie. Ayant obtenu un poste d'enseignant à Saint Louis (Missouri), il quitte l'Europe. Son installation en Amérique marque un nouveau départ pour son oeuvre : il traque les sujets modernes, sa palette s'éclaircit, s'intensifie jusqu'à adopter des coloris acides.
MAX BECKMANN UN PEINTRE DHISTOIRE
Beckmann, considéré souvent comme le peintre dhistoire le plus important du siècle, sil nutilise pas lui-même le concept de peinture dhistoire, parle de son devoir de peindre des "grandes actions dramatiques à contenu humain".
La peinture dhistoire, le plus élevé des genres
Peindre, comme lécrit Max Beckmann, "des grandes actions
dramatiques à contenu humain", correspond en fait à la
définition de ce genre depuis la création de lAcadémie
royale de peinture, en France, au XVIIe siècle.
La peinture dhistoire occupait le sommet de la hiérarchie des
genres et devait puiser dans les scènes les plus remarquables de la
mythologie, de la religion et de lhistoire antique ou moderne pour rendre
compte du présent. Les uvres devaient transmettre un message
moral capable dinstruire le spectateur et de linfluencer. Suivant
lexemple de Nicolas Poussin, le peintre dhistoire devait être
un peintre savant.
Beckmann remplit toutes ces exigences, rejetant un art qui ne se consacrerait
quaux impressions de la nature sans se saisir des grands drames de lhumanité.
"Lesprit de son temps"
Ayant lui-même subi la guerre et lexil, observateur attentif des
mouvements politiques, Beckmann va dans son uvre interpréter
lhistoire, sans jamais prétendre donner une image objective de
la réalité. Pour lui, le devoir de lartiste est de créer
selon "lesprit de son temps". Ce qui implique que lartiste
ait conscience de cet "esprit".
Les étapes du développement artistique de Beckmann témoignent
de son travail sur lhistoire vécue. Mettre en évidence
certaines de ces étapes permet de comprendre que ce ne sont pas des
raisons formelles qui ont poussé le peintre à modifier, au fil
des décennies, sa conception de lart. Ce sont plutôt les
changements dans sa perception de "lesprit de son temps" qui
ont influencé son évolution artistique.
Le XXe siècle souvre sur une guerre qui a bouleversé
toutes les valeurs morales, religieuses et sociales des siècles précédents.
Pour rendre compte de ce bouleversement, Beckmann va rompre avec la conception
de lart au XIXe siècle, malgré ladmiration quil
porte à Goya, Géricault ou Delacroix. Il va rompre avec la peinture
narrative, représentant une action accomplie dans un temps et un espace
finis. Il va au contraire peindre des personnages comme autant de fragments
sans rapports explicites entre eux.
Ces figures ne sont pas pour autant interchangeables. Les tableaux de Beckmann
offrent une unité de composition à lintérieur de
laquelle les différents motifs se rapportent les uns aux autres.
Doù, souvent, la grande difficulté à décrypter
ses toiles, ses triptyques particulièrement. Son univers iconographique
repose sur un matériau littéraire, mythologique et philosophique
extrêmement riche.
Le refus de labstraction : art figuratif contre esthétique
du papier peint
Beckmann refuse la peinture narrative mais se réclame néanmoins
de la peinture de figures à laquelle il rattache le Tintoret, le Greco
ou Cézanne.
Selon lui, pour participer au monde qui lentoure, pour en rendre compte,
le peintre doit partir de la réalité vécue. Il soppose
ainsi aux avant-gardes, à la "nouvelle peinture", celle défendue
en 1912 par le peintre Franz Marc et le groupe Der Blaue Reiter (le Cavalier
Bleu) dont fait partie Kandinsky.
En réponse à Marc, dans un article intitulé Pensées
sur lart temporel et intemporel, il écrit: "Une chose est
récurrente en tout art. Cest la sensibilité artistique,
liée au caractère figuratif et objectif des objets à
représenter". Il dénonce les "papiers peints Gauguin",
les "étoffes Matisse": cette soi-disant nouvelle peinture
a ceci de faible et dexcessif dans son esthétisme, quelle
ne permet plus de distinguer la notion de papier peint ou daffiche de
celle de "tableau".
Lenseignant pourra montrer à ses élèves des tableaux
dHistoire, de Poussin à Goya et Delacroix. Il est aussi nécessaire
dapprocher, même simplement, le problème de lopposition
figuration - abstraction et de définir la notion davant-garde
en peinture.
MAX BECKMANN PEINTRE DU PREMIER XXe SIÈCLE
Les événements tragiques qui marquèrent lhistoire européenne dès la naissance du siècle se retrouvent, transcendés par lart, dans luvre de Beckmann.
La guerre de 14-18: le tournant
Avant la Grande Guerre de 14-18, Max Beckmann se reprochait souvent linsuffisante
générosité de son art. Il avait pourtant, à plusieurs
reprises, cherché à sortir de lespace trop modeste et
subjectif de la peinture de genre pour peindre des drames collectifs comme
la Scène de la destruction de Messine (1909), ou le Naufrage du Titanic
(1912).
Avec la guerre, lHistoire simmisce brutalement dans sa vie. Il
sengage comme volontaire dans les services sanitaires de larmée
allemande et connaît dès 1915 une profonde dépression
physique et psychique.
La Grande Guerre arrache Beckmann au cercle étouffant de ses préoccupations
matérielles (vendre ses toiles) et de ses passions privées.
Comme il le dira à sa femme Mina Tube, la guerre sera pour lui et pour
son art un "miracle". Un "miracle" parce quil aura
accumulé en quelques mois lintensité dexpérience
de toute une vie, modifiant considérablement, dès 1915, son
langage pictural. Tout ce quil a fait jusque-là en peinture nest
que simple "apprentissage". Ses contemporains ne peuvent que constater,
quen 1919, plus aucun lien nexiste avec ses uvres antérieures.
Il invente un nouveau langage plastique.
Dans ses Lettres du front le peintre explique quil accumule des images.
Il regarde, fixe dans sa mémoire visuelle les horreurs quil découvre.
Il dessine les blessés à lhôpital, les cadavres
qui jonchent les champs et encombrent les morgues. Dessiner lui permet de
tenir à distance les abominations insupportables dont il est le témoin:
"Dessiner me protège de la mort et de la destruction" (3
octobre 1914). Il extraira de ces images, une fois la guerre finie, ce quelles
ont déternel.
Beckmann a très peu peint pendant la guerre, saisi par le sentiment
dimpossibilité délaborer une forme picturale adéquate.
Le pathétisme historique, hérité du XIXe siècle,
est balayé par la brutalité du réel.
Le dessin lui permet de trouver de nouvelles formes, avec la plume de roseau,
dure et pointue. Le trait incisif ne permet aucune hésitation. Il lutilise
aussi dans différents procédés de gravure, pointe sèche
ou eau forte. Ainsi la s érie de gravures de 1914-15 LObus (1915), La Déclaration de guerre, Grande Opération, Homme avec béquille sur un fauteuil roulant , Opération de la tête sur un soldat blessé.
Lutilisation de leau forte permet un travail spontané et
restitue lacuité du trait gravé dans le zinc.
Dans Résurrection II, commencée en 1916 à Francfort et
laissée inachevée en 1918, Beckmann va chercher à transposer
dans la peinture ce nouveau langage.
Cette uvre perpétue la tâche du peintre dhistoire
qui est de communiquer un message moral à travers un thème de
lhistoire sainte. Mais là, la composition est irrémédiablement
déchirée. Des fragments épars symbolisent la rupture
de lunité traditionnelle de limage. Les proportions des
personnages entre eux nont plus aucun rapport naturel, les principes
conventionnels de construction sont balayés.
Le peintre "donne à voir" labsence totale despoir
de rédemption divine. Dans une sorte de danse macabre du Moyen âge,
le soleil noir de la mélancolie, inspiré de Dürer, remplace
la figure du Christ.
Cest bien pendant la guerre, et "grâce", si lon
ose dire, à la guerre que va se constituer le noyau de lart de
Beckmann, cest-à-dire un dédoublement ironique par rapport
à la vie et ses atrocités et par rapport à lui-même.
Cest dans lart même, par luvre même, que
le peintre est capable dexorciser lhorreur du monde. Et cest
dans ce dédoublement que résidera, toujours plus, la fonction
rédemptrice de lart.
Car la guerre na pas conduit Beckmann au nihilisme dadaïste. Le
peintre a cherché à convertir son expérience de la guerre
en un défi salutaire: "Il faut exposer nos curs, nos nerfs
aux cris de déception des gens trompés. Il faut être près
des gens. La seule justification de notre existence dartiste, passablement
superflue et égoïste, cest de présenter aux gens
une image de leur destin. Cela nest possible que si on les aime."
(Schöpferische Konfession, 1918.)
La crise dans lAllemagne daprès-guerre
La crise économique, sociale et morale qui ravage lAllemagne
saccompagne de la montée des extrémismes, de droite comme
de gauche. Dans La Nuit (1918-19), uvre effrayante,
véritable cauchemar, trois personnages torturent un couple et enlèvent
leur fille. Le tableau, plein à craquer, vole en éclats sous
la violence des gestes des bourreaux.
Dautres peintres expressionnistes comme Otto Dix et George Grosz ont traité ces thèmes liés à une Allemagne de laprès-guerre vouée à la crise et à la violence des rapports humains et sociaux. Voir en fin de dossier, les liens accessibles sur Internet qui permettent de voir quelques uvres de ces peintres.
Lapaisement sous la République de Weimar
LAllemagne sort de la crise. Le régime républicain de
Weimar se stabilise. Beckmann devient un peintre renommé, y compris
jusquaux Etats-Unis. À limage de la société
allemande qui retrouve un équilibre et une prospérité
trompeurs, sa peinture évolue, ses personnages, moins déformés,
moins agités, trouvent une nouvelle stature.
Après toute une série dautoportraits dans lesquels Beckmann
se montre hagard et dépressif, LAutoportrait en smoking (1927,
Busch-Reisinger Museum, Harvard University Art Museums, Cambridge)est le point culminant de cette évolution. Beckmann apparaît ici en grand seigneur, en homme du monde sûr
de lui et monumental. Son regard est ferme, dune assurance hypnotique.
La tête est comme sculptée par les ombres noires. La couleur,
appliquée en surfaces, a une présence matérielle.
Par lombre noire, un présage obscur sest posé sur
son visage, le monde des ténèbres affleure. Le modelé
du visage évoque une tête de mort. Beckmann pose en magicien
capable de converser avec lau-delà. Le blanc du fond est appliqué
sur une couche de noir, procédé qui a valeur de programme: "Cest
seulement dans les deux, le noir et le blanc, que je vois vraiment Dieu comme
une unité, tel quil ne cesse de sincarner dans le grand
Théâtre du Monde, en mutation constante". (Discours de Londres,
1938.)
Cette même année 1927, Beckmann publie un article intitulé
Lartiste et lEtat, dans lequel il définit les tâches
de lartiste au sein de lEtat: "Son action est essentielle,
car de lui seul peuvent émaner les lois pour une nouvelle culture.
(
) Lartiste (
) est le véritable créateur du
monde, qui nexistait pas avant lui. La nouvelle idée à
laquelle lartiste mais aussi lhumanité doivent travailler
est la responsabilité de soi. (
) Nous ne pouvons plus compter
que sur nous-mêmes. Car nous sommes Dieux. (
) Lart est le
miroir de Dieu, qui est lhumanité".
Lartiste, comme éducateur, a pour tâche de libérer
de toute dépendance métaphysique. "Maintenant, nous voulons
croire en nous-mêmes". Son rôle est daider les hommes
à devenir "les propriétaires conscients de linfini,
dégagés du temps et de lespace".
En fait, cet autoportrait nest pas le portrait dun individu qui a réussi, mais la vision utopiste de lartiste moderne dont la tâche est de donner forme à lidée dauto-responsabilité. Beckmann se sent au service de la société toute entière, peu de temps avant que lAllemagne ne bascule dans le totalitarisme du Troisième Reich.
La montée du nazisme
Avec la progression du national-socialisme concomitante de la Grande
Dépression économique qui touche le monde et lAllemagne,
une nouvelle époque deffondrement spirituel et politique sannonce
pour lartiste.
Déjà, en 1925, lors dun voyage dans lItalie mussolinienne,
Beckmann avait mis en lumière le vrai visage du fascisme dans un tableau
intitulé Galeria Umberto (huile sur toile, 113 x 50 cm, collection
particulière).
Au milieu dun déluge qui inonde la galerie napolitaine, un homme
étreint un gros poisson, comme pour préserver une culture tolérante
soudain menacée. En 1932, quelques mois avant la prise du pouvoir par Hitler
(janvier 1933), Beckmann met en chantier son premier triptyque Départ.
Le peintre séloigne dune politique quil condamne
pour puiser dans le temps, propre au mythe, des significations, des récits
quil veut universels
Lexil en Hollande
1937, Hitler prononce son Discours sur "lart dégénéré".
Beckmann décide de fuir lAllemagne avant quil ne soit trop
tard. Il se réfugie en Hollande, où il connaît la misère,
lanonymat brutal après la notoriété, les horreurs
de la Deuxième Guerre mondiale. Le premier tableau peint en exil sintitule Le Libéré,
titre empreint dune ironie tragique. Dans cet autoportrait, lartiste
se montre tenant une serrure dans les mains tandis que derrière lui
sont peints des barreaux. Beckmann na pas échappé à
ses chaînes. Lexil nest pas une libération mais isolement
et prison. Pendant ces dix années dexil, Amsterdam lui restera
étrangère.
On lit sur son épaule linscription AMERICA. Aux Etas-Unis, une
chaire lui a été proposée. Beckmann attend en vain son
visa, toujours refusé. La guerre en Europe anéantit ses projets
de départ vers le nouveau monde.Ce thème de lexil comme prison se retrouve dans de nombreux
autoportraits dont Autoportrait au cor (1938). Les rayures de son habit reprennent les motifs des barreaux de prison. Le
peintre exilé, isolé et passif, fait du cor un cornet qui lui
permet dentendre les messages du monde. Il regarde à travers
le cor, écoute, sent, fait corps avec son instrument, sa main joue
sur son habit comme sur un clavier. En élevant le cor vers son visage
dun geste malhabile, il écoute monter les plaintes dune
Europe au bord du gouffre.
Ici encore, Beckmann indique la mission de lart et de lartiste:
rendre compte de lexistence humaine, ballottée par le vent de
lhistoire.
Ces dix années à Amsterdam sont les plus dures que lartiste
ait connues. Il y mène une lutte existentielle contre la misère,
lisolement et la violence du monde.
Quand les nazis envahissent la Hollande, Beckmann brûle ses journaux
écrits pendant lexil. Il a presque 60 ans et tente de "garder
la tête haute" dans "le chaos et le désordre omniprésents".
Sa femme Quappi et la peinture le sauvent du désespoir.
Plus tout va mal, plus il travaille : 280 huiles, un tiers de son uvre,
surgiront de ces dix années; dont de nombreux autoportraits, thème
central de sa création (il en aura peint en tout 200), donnant lieu
à une introspection sans pitié à légard
de lui-même. Cette démarche na déquivalent
que chez Rembrandt et Van Gogh.
(Létude dune autre série dautoportraits est
proposée à la fin de ce parcours.)
Lémigration aux Etats-Unis : un nouveau départ
Ayant enfin obtenu son visa, à 63 ans, Beckmann part pour Saint-Louis
du Mississipi, où il enseigne, puis sinstalle à New York.
Il est attendu comme une "star", mais après ces années
de concentration intérieure et dexil, il craint de servir de
"divertisseur".
Il découvre aux Usa une vitalité débordante, "lérection
massive dune volonté inouïe
(qui satisfait)
la terrible fureur des sens", dont il parlait dans son Discours de Londres.
Il finira par se jeter avec fougue dans cette nouvelle existence.
Techniquement, sa peinture connaît une mutation. LAmérique
fait passer dans les tableaux de Beckmann des coloris plus variés et
éclatants. Il ne renie plus laspect "décoratif"
de certaines formes ou couleurs, après lavoir tant critiqué
chez Picasso et Matisse.
Abîmes et angoisses se coulent désormais dans une forme séduisante,
dune simplicité provocante.
Dans La Ville (1950), Beckmann peint là sa vision de la "ville debout", de la ville
moderne par excellence, dressée dans un dynamisme viril et qui fascine
tous les émigrants.
"Oui, New York est une ville vraiment extraordinaire, mais elle sent
mauvais, elle sent la graisse chaude, celle des rôtis cannibales chez
les barbares", écrit-il. Il la peint sous la forme dune
femme nue, offerte et ligotée. La femme est une victime sacrificielle,
dominée par les emblèmes virils, comme lépée
menaçante, brandie dans laxe du tableau. La sky line (silhouette
des gratte-ciel) est surmontée de visages grimaçants. Par cette
opposition entre les lignes verticales et la ligne horizontale du corps de
la femme, Beckmann montre une ville au matérialisme triomphant où
prévalent le pragmatisme et la force brutale.
Aux Etats-Unis, Beckmann poursuit son étude de lâme humaine
au travers des autoportraits. Là encore, ces tableaux nous disent beaucoup
sur létat desprit du peintre et sa vision de lAmérique.
Dans Autoportrait à la cigarette (1947, Museum am Ostwall, Dortmund), Beckmann se peint en vieil homme bourru, abattu et triste, en proie à un vide intérieur. On voit défiler devant ses yeux soucieux tout le passé et le présent. Lexpression douloureuse reflète la situation du peintre déraciné. Il est un étranger qui joue un jeu qui nest pas le sien.
Autoportrait au veston bleu (1950, The Saint-Louis Art Museum, Saint-Louis), ultime autoportrait, exécuté à New York en
1950, Beckmann se représente pour la première fois dans une
pose détendue, la main droite dans la poche de sa veste, le bras gauche
appuyé sur laccoudoir dun fauteuil et portant une cigarette
à la bouche. Le bleu éclatant de la veste domine le tableau,
un bleu rendu plus intense encore par lorange de la chemise. Le fond
est une toile brune, tendue sur un châssis.
Le format du tableau est au centimètre près celui de lAutoportrait
en smoking, exécuté au zénith de sa carrière en
1927. On peut lire sur cet Autoportrait au veston bleu les changements survenus
entre le point culminant et le point final de son existence. Dans lAutoportrait
en smoking, il apparaît comme un grand seigneur sûr de lui. Son
regard ferme, hypnotique est celui de lartiste en grand prêtre,
du mage capable de voir au-delà du visible.
Ici, sa tête et ses épaules semblent peintes directement sur
la toile brune du fond, comme sil se transformait lui-même en
peinture, comme sil sapprêtait à sortir de la vie
et franchissait la frontière le séparant de lart. Le bleu
intense de sa veste est couleur spirituelle, couleur du cosmos, de lau-delà.
Pâle, le corps amaigri, il peint la mort à luvre.
Son il droit, tourné vers lintérieur, accepte sa
propre mort, tandis que son il gauche reste du côté de
la vie. La cigarette quil porte à la bouche, comme sil
aspirait un dernier souffle, signifie lextinction des feux de la vie.
Les touches rouges qui maculent son visage, ses oreilles, ses yeux, ses narines,
sont des braises attisées une dernière fois. Si le corps faiblit,
tous les sens de lartiste sont encore en éveil.
Max Beckmann a plusieurs fois retravaillé et modifié ce dernier
portrait qui constitue son testament spirituel et artistique.
Le 27 décembre 1950, alors quil se rend à lexposition American Painting Today, où est présenté son Autoportrait au veston bleu, il meurt dune crise cardiaque.
BIBLIOGRAPHIE
En français:
Reinhard Spieler, Max Beckmann - Ed. Taschen
Livre clair et riche, très accessible.
Max Beckmann. Gravures 1911-1946, catalogue, commissaire Didier Ottinger.
Avec des écrits, en français, de Max Beckmann - Ed. RMN-Ville
des Sables-dOlonne, 1994. [Epuisé, à consulter en bibliothèque.]
Max Beckmann. Un peintre dans lHistoire, catalogue de lexposition
- Ed. Centre Pompidou. Parution septembre 2002.
En allemand:
Reinhard Spieler, Max Beckmann. Bildwelt und Weltbild in den Triptychen
- Ed. Dumont.
LIENS INTERNET
uvres
de Max Beckmann. ArtCyclopedia.
Hitler
et lexposition dart dégénéré.