Les années 1950-1980 et la libération des corps , conférence de Fabrice Flahutez, historien de l’art, cinéaste, éditeur, commissaire d’exposition, spécialiste du surréalisme, lundi 05 février 2018 à l'Esam de Caen.
En ayant à l’esprit les antécédents historiques qui ont permis la naissance des pratiques performatives, il s'agit de questionner ce que les années d’après Seconde Guerre mondiale ont apporté en termes de renouvellement du vocabulaire des formes. Ces nouvelles pratiques laissent au corps le soin de devenir à la fois le support de revendications politiques, mais aussi un moyen d’ouvrir des champs entiers de la création contemporaine. Ces pratiques performatives entrent en résonance avec l’émergence de l’art vidéo.
Events, happening ou performance tous ces termes qui mériteraient d'être définis précisément mettent en jeu le corps, le temps et l'espace. L'art ne s'exprime plus dans un objet mais permet au corps de s'exprimer. Le corps s'affranchit des lieux de légitimation pour partager de l'intelligence, de l'expérience, une construction de soi. Les choses ne sont alors plus tout à fait comme avant ; L'art et la vie se retrouvent. Au lieu d'avoir "l'art et la vie" qui se distinguent l'un de l'autre, on passe à "l'art est la vie", union fertile. En parcourant une exposition, on fait des expériences étendues à l'ouïe, l'odorat...
Avec Jackson Pollock, l'acte de peindre devient plus important que la peinture elle-même.
Double influence; d'abord celle du transfert culturel des surréalistes réfugiés aux USA durant la guerre. Ainsi l'écriture automatique de Soupault. Il s'agit de lancer des mots sur la page, de mélanger et de coller sans tenir compte de l'orthographe et de la syntaxe. Au lieu d'une trame narrative, on obtient un hasard contrôlé. La poésie nait de la rencontre fortuite de deux réalités. L'erreur, le hasard et la spontanéité sont réhabilités. On retrouve cette violence décorative, avec les toiles peintes à même le sol ; une spontanéité contrôlée. Autre influence, la peinture sur sable des Navajos; l'image est capable de rétablir l'harmonie générale avec le dessin du shaman sur le sable. Pollock devient un mythe. Pollock est alors le premier peintre américain de l'expressionnisme abstrait à être connu du grand public en raison de l'écho qu'il rencontre dans la presse. Le geste et présence de l'individu, l'acte de présence sont réhabilités après l'humanisme détruit pendant la guerre.
Même la CIA soutient les galeries en Europe occidentale de part le contenu polysémique que proposent leurs artistes alors que les pays totalitaires imposent aux artistes un message que l'on leur a donné au travers du réalisme.
1952, John Cage propose l'évènement musicale intitulé 4'33. L'événement est pensé pour immerger l'auditoire dans un espace. Les musiciens accordent leur instrument, le chef lève sa baguette une fois, deux fois puis remercie son 1er violon et l'orchestre sans qu'un seul son ne soit émis. On entend la salle : les gens s'impatientent, s'emportent. Retour au réel, le spectacle est dans la salle, une expérience.
Hurlements en faveur de Sade (Guy Debord, 64', 1952) composé de séquences d'écran blanc, durant lesquelles sont énoncées par quelques voix off des phrases provenant du Code civil ou de romans d'autres auteurs alternant avec des séquences à écran noir silencieuses, dont la dernière de 24'.
Le film est déjà commencé ? (Maurice Lemaître,62' 1951); on jette des seaux d'eau sur la file d'attente.
Héritage de Duchamp : les regardeurs qui font le tableau
Les acteurs jouent leur scène ou le public est sollicité, le corps social entre dans le spectacle, s'affranchir des lois du marché, des instances de légitimation. Fin, en 1968, du prix de Rome qui répond à un cahier des charges et à une histoire du gout. Dépassement de la lutte des classes, pour un conflit des générations. Le public descend dans l'arène
18 Happenings in 6 parts est une performance organisée par l’artiste américain Allan Kaprow (1927-2006) à la galerie Reuben de New York en 1959.
Historiquement considérée comme la « première » d’un genre nouveau (la performance), A la fois improvisés et parfaitement mis en scène et écrites par Kaprow, ces happenings marquent un point de non-retour, au-delà duquel les limites traditionnellement attribuées à différentes formes d’expression (peinture, danse, musique, théâtre, poésie) implosèrent définitivement. Cela donnera naissance à une catégorie d’œuvre qui transforme le rôle du public, les rapports entre les arts et la frontière entre l’art et ce qui n’en est pas. La conception des 18 Happenings intensifiait également une participation potentielle du public qu’il s’agissait de libérer de son rôle de spectateur passif. Un tract précise le déroulement du happening et le rôle de chacun, y compris des spectateurs. Des instructions avaient ainsi été distribuées aux public à son arrivée en 1959 : différents placements délimités entre chaque scène, ne pas applaudir...) . Dans un espace divisé en six, trois happenings indépendants se déroulaient. Le public était confronté à ces actions fragmentées dans un ordre délimité. Kaprow parle et joue d’un instrument de musique. Rosalyn Montague parle et marche, Shirley Prendergast et Janet Weinberger marchent et jouent d’un instrument, Robert Whitman parle, marche et joue à un jeu avec des cubes. Sam Francis, Red Grooms, Lester R. Thompson peignent des toiles vierges.
Pour Kaprow, ces indications pour le public représentaient une voie pour la libération finale de l’art et du spectateur telle qu’il la concevait alors dans la réalisation d’un « art totalement nouveau. » Un art, disait-il, qui, tout comme les peintures de Mondrian, « se dissoudrait dans une sorte d’équivalent de la vie ». À ce titre, Kaprow a toujours résisté à l’identification de son œuvre au genre du happening et de la performance. Par l'expérience les gens sont transformés. Il y a partage de quelque chose dans différentes salles, les acteurs jouet quelque chose dont ils assument le devenir, la spontanéité, l'erreur.
Yard 1967 au Pasadena Art Museum, galerie emplie de pneus, effort du spectateur pour parcourir la galerie l'imprévu de la déambulation s'opposent à ce qui n'était avant qu'un voyage organisé
1967 : le Porta pack de Sony libère de la télévision et de l'ORTF (Tous les soirs à 20 heures, la police vous parle). Publics nouveaux filmer dans les usines ou document de constat pour des publics qui n'y avaient pas accès.
Passionnément fut publié pour la première fois en 1947 dans la plaquette Amphitrite. C'est l'un des premiers écrits de Ghérasim Luca, d'origine roumaine, rédigé et publié en français. Texte vécu, la langue trébuche sur elle-même.
Le mot a failli durant la guerre, il convient alors de se dégager des mots, le corps doit être plus puissant.
Mise en scène du poème d'Isidore Isou, Cris pour 5.000.000 de juifs égorgés (1947). Une veille dame arrive sur scène. Elle sort sa partition. On entend des éructations, râles et gargouillis. Durant 20', elle essaie en vain de dire quelque chose d'intelligible. Le mot est atomisé, le corps devient exposition.
Orlan le baiser de l'artiste, 1977 devanture amovible le regardeur fait le tableau fente dans laquelle le spectateur peut mettre 5 francs, le public décide ou non d'activer la performance. Corps de la femme assigné à un certain rôle, ici le corps est monétisé mais selon son choix (document Ina 1977 pour la FIAC 1977). Elle ne propose qu'elle-même pour une expérience avec autrui. Le moment proposé est localisé dans le temps et dans l'espace.
Semiotics of the kitchen 1975 Martha Rosler, vocabulaire de la cuisine, violence symbolique qui est assigné à la femme.
VALIE EXPORT, Genital panic, 1969. Cette performance ne fut connue, jusqu’à récemment, qu’à travers son mythe. Celui-ci veut que l’artiste autrichienne pénètre dans un cinéma pornographique avec un fusil ou une mitraillette à la main, vêtue d’un pantalon découpé à l’entrejambe et exposant son pubis, avant d’annoncer à l’assistance que de réels organes génitaux sont désormais à leur disposition. Le rapport de force n'est plus le même car elle a une mitraillette entre les mains. La femme devient sujet politique parole minoritaire ce que "être femme" ou "être noir" peut avoir de politqiue alors que l'on ne voyait la révolution qu'avec la lutte des classes. Le corps dénudé est un refus du capitalisme. En étant nu, il affronte l'ordre du monde. les affiches sont placardées dans la ville.
Carolee Schneemann, 1975 interior scroll. Elle monte sur une table, le corps prend différentes poses, un rouleau de papier qui sort de son sexe qui reprend tous les poncifs machistes. Jusqu'au milieu des années 90, 95% des œuvres d'art sont produites par des hommes instituer un rapport de force qui pourra déconstruire la citadelle du milieu de l'art.
La création semblait pacifiée par apport à la violence du monde. Les propositions paraissent radicales, tel le corps altéré de Gina Pane, telles celles des actionnistes viennois avec la scénarisation de la violence. Pourtant, à la télévision, elle existe vraiment mais sans que cela choque.
Chris Burden avec Shoot, november 19, 1971 demande à ce qu'on lui tire dessus. Violence du tir réel à Venise.
Dans, Throw the night softly (1973), Chris Burden, en maillot de bain, rampe sur des tessons de bouteilles. La séquence est incorporée au milieu de publicités en opposition totale avec un imaginaire seulement préoccupé d'accéder à un petit confort, avec fétichisation de l'objet et consommateur réifié. Prendre le temps de l'être ; réhabiliter l'ennui. Le montage lent est le temps de la vie ainsi Andy Warhol avec L'empire state building ou Sleep. La temporalité du réel, interrogé dans son entier dans sa complexité, perturbe le temps lénifiant de la télévision.
Bruce Nauman, 1967-68 Walking in an exaggerated manner around the perimeter of a square.
Même démarche que Duchamp : puisqu’un artiste crée dans son atelier, ce que je fais dans mon atelier , même marcher, est une création. Il est dans son atelier, il est là, il crée. Etre au monde pour un artiste c'est créer ; présence de l'humour dans le champ de la perception.
Jean-Luc Lacuve, le 10 février 2018