En 2010, seuls cinq films entrent dans le top600 () des meilleurs films de tous les temps contre huit en 2009 et six en 2008, neuf en 2007 et sept en 2006, 2005 et 2004.

Avec vingt-cinq films avec deux (), ce sont ainsi trente films qui, en 2010, contribuent à façonner l'histoire du cinéma.

Le cinéma français monte encore une fois sur la plus haute marche du podium mais c'est un cinéaste iranien qui est couronné. La subtilité de Copie conforme ne se cache pas où trop de gens l'on vu. Il s'agit simplement d'une histoire d'amour où un couple profite de ses expériences conjugales passées respectives pour s'inventer, dans le cours d'un après-midi, une possible nouvelle aventure amoureuse. Film aussi important que le fut en son temps Voyage en Italie tout aussi bien sur le plan de l'étude du couple que sur le surgissement de la grâce, Copie conforme rentre tout naturellement dans notre palmarès des 115 meilleurs films de tous les temps depuis les débuts du cinéma (ce n'est pas tant l'idée d'une projection publique payante qui nous fait retenir 1895 que la véritable naissance d'un regard subjectif, celui de Louis Lumière).

Deux films noirs américains, Bad lieutenant : escale à la Nouvelle Orleans et Shutter island, terriblement noirs et terriblement américains, viennent contrebalancer l'enchantement de Copie conforme. Les femmes de mes amis (titre français idiot), subtile leçon de regard et Mystères de Lisbonne au flux romanesque sans cesse mouvant, prouvant qu'un film en costume peut ne pas être académique, complètent le club fermé des .

Liberté, Ajami, Cleveland contre Wall street prouvent que le cinéma social n'est pas mort, c'est à dire condamné à resservir des idées bien abstraites mais à faire vivre des personnages qui savent garder une part de mystère irréductible à leur engagement pour une cause.

Au sein des grosses machines hollywoodiennes, Alice au pays des merveilles déçoit en restant trop sage alors qu'Inception étonne et enthousiasme par la subtilité des moyens narratifs déployés qui lui confèrent une extraordinaire épaisseur romanesque.

Chaque année un film bénéficie de la volonté de communier ensemble autour d'un film ou des valeurs qu'il porte. Je m'interroge toujours sur le surprenant succès des Petits mouchoirs (assumer sa médiocrité ?)et il y a fort à parier que Des Hommes et des Dieux a rassemblé plus de spectateurs sur les valeurs pas très révolutionnaires de l'intégrité et de fidélité à la parole donnée que sur ses qualités de mise en scène. Le bien plus subtil Oncle Boomnee n'a pu rassembler els suffrages que de ceux qui attendent du cinéma la rencontre avec un regard singulier, en l'occurrence d'un homme qui en appelle à la bienveillance des contes face aux violences du monde moderne, au bricolage des cultures face aux idées toutes faites de la religion, message que l'on retrouve par ailleurs dans A serious man des frères Coen.

54 films vus en 2010

1	Copie conforme	Abbas Kiarostami	France
2	Bad lieutenant : escale à la N. O.	Werner Herzog	U.S.A.
3	Shutter island	Martin Scorsese	U.S.A.
4	Les femmes de mes amis	Hong Sang-soo	Corée
5	Mystères de Lisbonne	Raoul Ruiz	France
6	Liberté	Tony Gatlif	France
7	Le quattro volte	Michelan. Frammartino	Italie
8	Mother	Bong Jong-hoo	Corée
9	Inception	Christopher Nolan	U.S.A.
10	A serious man	Joel Coen	U.S.A.
11	Oncle Boomnee	Apicha. Weerasethakul	Thaïlande
12	Vénus noire	Abdellatif Kechiche	France
13	Un homme qui crie	Mahamat-Saleh Haroun	Tchad
14	Winter's bone	Debra Granik	U.S.A.
15	Les amours imaginaires	Xavier Dolan	Canada
16	Des filles en noir	Jean-Paul Civeyrac	France
17	Des Hommes et des Dieux	Xavier Beauvois	France
18	Nuits d'ivresse printanière	You Le	Chine
19	Ne change rien	Pedro Costa	Portugal
20	Maniquerville	Pierre Creton	France
21	Année bissextile	Michael Rowe	Mexique
22	La bocca del Lupo	Pietro Marcello	Italie
23	Ajami	S. Copti et Y. Shanis	Israël
24	White material	Claire Denis	France
25	Lola	Brillante Mendoza	Philippines
26	Cleveland contre Wall street	Jean-Stéphane Bron	Suisse
27	Amore	Luca Guadagnino	Italie
28	La vie au ranch	Sophie Letourneur	France
29	Entre nos mains	Mariana Otero	France
30	Buried	Rodrigo Cortés	Espagne
	Film Socialisme	Jean-Luc Godard	France
	Alice au pays des merveilles	Tim Burton	U.S.A.
	Le mariage à trois	Jacques Doillon	France
	Bright star	Jane Campion	U.S.A.
	Kaboom	Gregg Araki	U.S.A.
	Invictus	Clint Eastwood	U.S.A.
	Achille et la tortue	Takeshi Kitano	Japon
	La terre de la folie	Luc Moullet	France
	Les mains en l'air	Romain Goupil	France
40	Tournée	Mathieu Amalric	France
	Carlos	Olivier Assayas	France
	Au fond des bois	Benoît Jacquot	France
	Poetry	Lee Chang-dong	Corée
	Dirty diaries	Film collectif	Suède
	Hors-la-loi	Rachid Bouchareb	France
	The ghost writer	Roman Polanski	U.S.A.
	The cat, the reverend and...	Alain Della Nagra	France
	La princesse de Montpensier	Bertrand Tavernier	France
	Vous allez rencontrer un bel...	Woody Alen	USA
50	Gainsbourg (vie héroïque)	Joann Sfar	France
	Crime	Vincent Ostria	France
	Tamara Drewe	Stephen Frears	G. B.
	Another year	Mike Leigh	G. B.
	La révélation	Hans-Christian Schmid	Allemagne

Non vus : Social Network de David Fincher, Lenny and the Kids des frères Safdie, Le Fossé de Wang Bing, Outrages de Kitano, Fix Me de Raed Andoni, Octubre de Daniel et Diego Vega, La Chine est encore loin de Malek Bensmai, Un transport en commun de Diana Gaye, Le Dernier Voyage de Tanya d’Alksei Fedorchenko Policier, adjectif de Corneliu Porumbuiu, The housemaid de Im Sang-soo, Eastern Palys de Kamen Kalev, Orly de Angela Schanelec, Sous toi ma ville de Christoph Hochlauser, L'homme au bain de Christophe Honoré, Bas Fonds d'Isild Le Besco, Suite parlée de Marie Vermillard, Petit tailleur de Louis Garrel, Valvert de Valérie Mrejen.

La critique sur internet s'est étoffée en 2010 de l'excellent blog de Jean-Michel Frodon, Projection publique, clin d'œil malicieux de l'ancien rédacteur en chef des Cahiers du cinéma à Projection privée, l'émission sur France-Culture de Michel Ciment, rédacteur en chef de Positif. Ce blog, lié à Slate.fr, est certainement la meilleure nouvelle cinéphile de l'année. C'est notamment à lui que je suis redevable de la liste des films non vus en 2010 et de nombreuses pistes de reflexions (Ciné-lycée, cinéma numérique, rôle de la critique, économie du cinéma...)

Par ailleurs critikat.com , il était une fois le cinéma.com et les blogs tels Le journal cinéma du docteur Orlof ou Inisfree continuent d'apporter un éclairage passionnant sur les films d'actualité comme sur les replis les plus obscurs de la cinéphilie. A noter aussi, pour tous ceux que la statistique du box-office passionne, le site Ciné-cure de stats. (voir: tous les sites internet de cinéma)

En revanche s'est éteint le blog de Serge Kaganski des Inrockuptibles alors que le forum des cahiers du cinéma agonise dans l'indifférence générale (celle de ses propriétaires comme de ses lecteurs) sans que Les Spectres du cinéma ne réussissent à relever le flambeau. Ne reste donc plus que le forum de DVDclassik pour maintenir des échanges soutenus au sein d'une communauté cinéphile.

Si les supports DVD ou Blue ray perdent du terrain face au téléchargement, il n'en reste pas moins que les éditions Carlotta-Films, les éditions Montparnasse et Wild-side vidéo ont été particulièrement attractives cette année.

Parmi les livres de cinéma, je retiens tout particulièrement, Pourquoi les coiffeurs ? de Jean Narboni (Editions Capricci) et Cinéma et Littérature - Le grand jeu de Jean-Louis Leutrat (De l'incidence, éditions), Elizabeth Taylor de Patrick Brion (Edition Riveneuve), Douglas Sirk, le goût des larmes (Eclipses n°46) et Grammaire du cinéma de Marie-France Briselance et Jean-Claude Morin (Nouveau monde).

En 2011, le renouveau des ciné-clubs passera-t-il par Ciné-lycée ? Initiative du président de la république, contrefeu à la réforme des lycées dont la conséquence principale est de réduire le nombre d'enseignants, cette opération pensée depuis l'Elysée pourrait fragiliser le formidable dispositif Lycéens et apprentis au cinéma (voir l'article de Jean-Michel Frodon). Il s'agit néanmoins d'une occasion unique de développer l'esprit des ciné-clubs. Bien utilisé Ciné-lycée, pourrait constituer la pointe avancée de la révolution du monde par le cinéma (allons, rêvons un peu !).

Cette puissance du cinéma a fait suffisamment peur au régime iranien pour condamner Jafar Panahi et Mohammad Rasoulof à six ans de prison et à vingt ans d'interdiction de réaliser des films et de sortir de leur pays. Nous ne pouvons plus hélas que souhaiter que, de guerre lasse, les censeurs au pouvoir les laissent suivre les traces d'Abbas Kiarostami et qu'ils puissent continuer à vivre, et donc à tourner, à l'étranger. En attendant, cinémas et chaines télévisées programmeront sans doute les films de ces cinéastes et nous nous mobiliserons pour voir ou revoir leurs films.

Jean-Luc Lacuve, le 27/12/2010.