Les chansons que mes frères
m’ont apprises

2015

(Songs my brothers taught me). Avec : John Reddy (Johnny), Jashaun St. John (Jashaun), Taysha Fuller (Aurelia), Eleonore Hendricks (Angie), Irene Bedard (Lisa). 1h34

Johnny vient de terminer ses études au lycée de Pine Ridge, la réserve de Sioux-Lakota, dans le Dakota du Sud. Pour les descendants de Sitting Bull et de Crazy Horse, l'avenir est sombre. La communauté ne vit que des subsides de l'État qu'améliorent pour certains le trafic d'alcool prohibé ou des exhibitions dans des rodéos. Johnny dresse des chevaux et  accumule un peu d'argent avec son trafic d'alcool qu'il mène avec Bill, un ami de son père. Il s'apprête en  effet  à quitter la réserve indienne pour chercher du travail à Los Angeles où Aurélia, sa petite amie, va poursuivre ses études.  Il hésite cependant à laisser derrière lui Jashaun, sa petite sœur de treize ans dont il est particulièrement proche

Un policier vient apprendre à leur mère que leur père est mort brulé vif dans l'incendie d'une maison pour ne s'être pas réveillé. Le père, polygame assumé et ivrogne invétéré, était le père de multiples enfants de la communauté et vivait depuis longtemps avec une compagne qui partageait sa passion du rodéo. Il était ainsi devenu un personnage quasi légendaire de la communauté. Les enfants  se retrouvent ainsi nombreux pour assister, sans se connaître, à l'enterrement de leur père commun.

Jashaun en semble la plus affectée, recherchant dans les vestiges de l'incendie quelques traces qui lui rappelleraient ce père qu'elle n'a jamais connu. Elle assiste à un rodéo sur taureaux et se rapproche d'un artiste de la communauté, tatoueur et créateur de tapisseries et vêtements traditionnels. En échange de la confection d'une robe de cérémonie rituelle, elle lui propose de devenir son aide-comptable.

Durant ses allers et retours pour acheter et vendre de l'alcool, Johnny se sent de plus en plus troublé par Angie, la jeune compagne de Bill, mais reste fidèle à Aurélia. Il doit aussi affronter une bande rivale qui, après un premier avertissement sans frais, le tabasse sévèrement et met le feu au pick-up qu'il venait d'acheter pour s'enfuir avec Aurélia.

Le jour du rendez-vous pour le départ, c'est le cœur brisé que Johnny passe par les endroits où il avait l'habitude de jouer avec Jashaun. Il renonce sans un mot à partir avec Aurélia et retrouve sa sœur, folle de joie. Il accepte alors la proposition d'un de ses demi-frères de l'aider comme mécanicien au garage. C'est là, devant la pompe à essence qu'il croise la belle Angie, tout aussi troublée que lui.

Film communautaire assez proche de On the ice de Andrew Okpeaha MacLean qui superposait une intrigue de film noir à l'étude documentaire d'une communauté ethnique, les Inuits, fière de ses traditions mais ravagée par les faibles perspectives économiques et l'alcool.

L'intrigue policière est ici réduite à la portion congrue. Elle consiste pour John à éviter  les manifestants indiens qui luttent pour interdire l'alcool qui détruit les familles ainsi que la bande rivale de trafiquants. L'intrigue relâchée a en revanche l'avantage de multiplier les focalisations du récit sur  de nombreux personnages secondaires gravitant autour de Johnny, tous plus attachants les uns que les autres. Jashaun, parfaite du début à la fin, tentant de raccrocher une réalité difficile à la légende de la communauté. Images de couchers de soleil, paysages magnifiques, fordiens parfois, ou danse rituelle échappent ainsi au maniérisme tant ils sont rattachés aux désirs de lyrisme de la fillette.

Les portraits de la belle Aurélia et de la troublante Angie sont aussi très équilibrés. A la première les rendez-vous amoureux adolescents et la scène de la première fois ; à la seconde, les séquences, bien plus troublantes, des fléchettes et du dépeçage du cerf (étonnant non ?).

On notera aussi les beaux portraits du grand frère assumant la passion du rodéo de son père, de la mère fragile et courageuse en dépit du désamour de son fils ainé, et de l'artiste communautaire, créatif et miné par l'alcool, plaçant ses espoirs dans la 7e génération après le massacre de Wounded Knee (29 décembre 1890), celle de Johnny et Jashaun.

Jean-Luc Lacuve le 10/09/2015