Monrovia, petite ville agricole du Midwest américain comptant 1 400 habitants. Des nuages, le panneau d'entrée de la ville, un prêche évangéliste, une salle de classe où l'on parle des gloires passées du basket local, une cérémonie de francs-maçons, des réunions municipales, une coupe chez le coiffeur, un cours de fitness pour adultes, des lycéennes qui s'entraine pour un chorégraphie de supportrices, le travail d'un moissonneuse, une foire agricole, les engrais chimiques déversés sur les cultures, un stand républicain lors de la fête locale. Une cérémonie funéraire à l'église puis au cimetière.
Wiseman avec son cinéma paisible (on commence par des plans de nuages) et sans commentaire, offre cette possibilité de partir à la découverte d'un lieu et de ses habitants comme si l'on partait en vacances, cherchant à entrer en contact avec les gens mais hésitant à s'imposer.
Des vacances avec Wiseman
On est admis ainsi à une cérémonie de francs-maçons (c'est long mais puisque on a demandé à y être !) à une cérémonie funéraire (c'est encore plus long car le prêtre s'écoute parler et fait son show sous les regards pas convaincus de l'assistance et, en plus, on va jusqu'à assister à la mise en bière). On rencontre les gens au café, au restaurant, dans le supermarché. Les habitants sont gros pour la plupart. Ils parlent voiture, moto, agriculture ou religion. Plus stimulantes, les enchères de matériel agricole, les réunions du conseil municipal pour savoir s'il faut favoriser l'implantation de nouveaux habitants pour servir de main d'oeuvre à de potentielles installations d'entreprises. L'une des conseillères s'y oppose. Elle n'est pas convaincue d'un gain économique somme toute hypothétique et craint la monté de la délinquance si le développement est mal maitrisé. Un peu plus tard une autre séance révélera que l'eau n'arrive pas aux poteaux d'incendie. La ville n'a toujours à sa disposition qu'un camion citerne pour éteindre les incendies des quartiers les plus denses. On assiste aussi à quelques réunions dans la salle des fêtes mais la vie du lycée ne fait l'objet que d'un interminable discours sur les gloires passées du basket local.
Sans y toucher, Wiseman donne quelques informations sociales ou politiques : quelques plans sur le quartier pauvre, que suivront plus tard quelques autres plans sur un quartier résidentiel puis d'autres enfin sur un quartier aisé ou un unique stand républicain lors de la fête du village. On est bien loin cependant de la récupération politique que certains peuvent faire du film en s'appuyant sur les propos de Wiseman lui-même.
Pourquoi des vacances ici ?
Dans le dossier de presse, Frederick Wiseman explique ses motivations et son expérience du tournage :
"On parle beaucoup de la vie dans les grandes villes de la côte Est et de la côte Ouest. Ce qui m’intéressait, c’était de découvrir la vie des petites villes américaines et de partager mon point de vue avec les spectateurs.
J’ai fait part de mon idée de faire un film sur une petite ville du Midwest à une amie professeure de droit. Elle m’a dit qu’elle connaissait quelqu’un qui enseignait le droit à l’Université de l’Indiana, dont la famille vivait dans la même petite ville depuis six générations. Je devais justement faire une conférence à l’Université de l’Indiana. J’ai donc pris rendez-vous avec ce professeur de droit avant de quitter Boston. C’est lui qui m’a emmené à Monrovia ; il m’a présenté sa cousine, qui est la directrice des pompes funèbres de la ville. Nous nous sommes vus pour la première fois au cimetière. Elle a accepté de m’aider et c’est elle qui a organisé les rendez-vous avec le chef de la police, le président du conseil municipal, le directeur scolaire du secteur, les patrons de restaurants, et plus généralement avec tous ceux que je voulais rencontrer dans la ville. Elle a été mon intermédiaire et elle a bien voulu répondre à mes questions quand j’avais besoin d’aide.
Durant les neuf semaines de tournage, les habitants de Monrovia ont été accueillants, aimables et serviables. Ils m’ont laissé voir tous les aspects de leur vie quotidienne. Une seule personne seulement n’a pas voulu être filmée. Ils étaient contents que je m’intéresse à eux et à leur façon de vivre.
Ce qui m’a le plus surpris à Monrovia, c’est le manque de curiosité et d’intérêt qu’ils manifestent pour le monde extérieur à leur ville. Ils vont très rarement à Indianapolis, la plus grande ville de l’Indiana, qui n’est qu’à 30 minutes de là. Je n’ai entendu personne manifester d’intérêt pour ce qui se passe en Europe, en Asie, ou ailleurs dans le monde. Leur monde, c’est Monrovia et ce qui se passe autour. Personne ne parlait de politique, et personne ne m’a demandé ce que je pensais politiquement. Les gens parlent de leur famille, du travail, de religion, de maladies, de voitures, de matériel agricole et de leurs voisins. Lorsqu’ils sont confrontés à un problème, ils tirent des réponses, des analyses littérales de la Bible et de ses variantes fondamentalistes. Aucun scepticisme, pas de doutes..."
Ainsi, on peut parvenir à la même conclusion que le rélisateur, en comparant le mode de vie décrit à ceux que l'on rencontre ailleurs. Durant tout le voyage avec lui, on aura cependant plutôt suspendu notre jugement... Des vacances; merci à celui qui nous les a organisées.
Jean-Luc Lacuve, le 13 mai 2019.
Source : Dossier de presse