Des enfants s'entrainent dans la sale de boxe. Un bébé dans un berceau de voiture attend que sa mère ait finit de prendre son cours. Elle frappe dans les gants, en haut, en bas, à droite à gauche, que lui présente le sparing partner.
Un enfant asthmatique vient s'inscrire mais à condition qu'on ne le frappe pas. Richard Lord, ancien boxeur professionnel, qui a fondé son club de boxe Lord's Gym ici à Austin, Texas lui répond qu'il pourra se contenter de s'entrainer, de prendre de la force et qu'il sera ainsi prêt à se battre quand sa maladie sera guérie. L'enfant sourit, les parents sont ravis.
Dans la salle, hommes et femmes, jeunes et vieux s'entrainent. Un homme se dit sauvé de l'asthme par la boxe. L'asthme a disparu dès qu'il s'est entrainé et ne reparait que lorsque la neige le prive de venir ici. Une femme vient se renseigner pour offrir des leçons à son mari pour ses quarante ans. L'horloge des trois minutes d'un round ponctue chaque exercice de musculation ou face au sac de force, au punching ball, à la poire de vitesse. Un nouveau est pris en charge par un plus ancien qui lui montre comment maintenir sa garde haute face à la poire de vitesse, notamment au moment du changement de bras. "Inutile de jouer au champion ou au méchant ici, lui dit-il, chacun a besoin des autres, sans quoi il se lasse vite et abandonne".
Un homme fait part à un autre, plus expérimenté, de son scepticisme pour remonter sur un ring pour un vrai combat. L'autre lui conseille de s'entrainer dur "Chacun doit payer son dû, sinon tu n'obtiens rien. C'est comme pour le collège : si tu ne vas pas à l'école, si tu ne travailles pas, tu n'obtiens rien. Soit d'abord en forme physiquement et l'intellect suivra". L'homme le remercie, il lui a redonné courage.
Des enfants combattent sur le ring, coiffés de casques de protection. Et toujours la sonnerie des trois minutes du round qui vient ponctuer chaque exercice. Une leçon de boxe d'un homme assez lourd, incité à lâcher tous ses coups dans les quinze secondes qui précédent la sonnerie du round.
Richard Lord discute avec le mari d'une victime de la folie meurtrière d'un homme. Sa femme a reçu une balle perdue. Elle est touchée au rein. Les deux hommes se disent certain qu'après Columbine, après cette tuerie, en viendront d'autres.
Richard Lord interroge un jeune qui vient s'inscrire. Il ne veut pas qu'il vienne apprendre à se battre pour se venger de quelqu'un. "Je ne viens pas pour la bagarre" répond le jeune garçon. "D'un autre coté, si tu dois te bagarrer autant savoir le faire", lui répond, doucement ironique, Richard Lord.
Il lui demande comment il a connu sa salle. Le tarif est de 50 dollars, exclusivement en liquide, pour le mois. Cela comprend les leçons et l'accès libre et permanant à la salle pour l'entrainement.
A l'extérieur, la nuit tombe. Un homme s'entraine. A l'intérieur, un vieil homme est sur le ring. A l'extérieur, un jeune homme apprend à rythmer ses coups de masse qui rebondissent sur un pneu. A l'intérieur, sur le ring, un homme et une femme s'entrainent. La caméra saisit leurs jeux de jambes, longuement.
C'est le soir sur Austin. Couchers de soleil.
Lors des décennies précédentes Wiseman avait abordé le thème de la violence comme un grand sujet. Basic training (1971), Manuvre (1979) et Missile (1987) traitaient de l'entrainement des soldats pour commettre des actes de violence au nom et au service de l'Etat menacé par l'extérieur. Titicut follies (1967), son premier film, Law and order (1969), Juvenile court (1973), Domestic violence (2001) illustraient les efforts de l'état pour isoler et punir ceux qui menaçaient la sécurité de leur communauté en commettant des actes de violence.
Ici, face à la violence généralisée de la société, Wiseman pratique un cinéma de proximité où la boxe est exaltée comme une discipline, comme un cocon, comme une chance de se retrouver bien plus que comme une lutte contre l'autre ou un héroïque dépassement de soi.
Le sens des coups, le sens des plans
Qu'est ce qui peut bien pousser ces enfants et ces adultes, hommes et femmes, musclés ou presque obèses, jeunes ou vieux à cette application face et un sac de force, un punching ball ou une poire de vitesses ? Est-ce pour se montrer à la caméra sous leur meilleur jour ? Pourquoi filmer ce bébé fragile endormi dans son berceau de voiture attendant que sa mère ait fini de donner des coups ? Les premiers plans du film n'échappent pas au soupçon du pittoresque, de l'artificialité d'une description trop jolie pour être honnête.
Comme d'habitude, Wiseman observe le mode de fonctionnement d'une institution et étudie "les relations complexes que l'homme entretient avec les institutions qui reflètent ses valeurs et déterminent son existence" (Thomas R. Atkins in "Frederick Wiseman" ; Monarch Press, 1976), sans aucun commentaire explicatif, ni interview. Il faut donc faire preuve de patience pour comprendre le sens des premiers plans.
Ceux-ci surgissent des conversations saisies entre les adhérents de la salle de sport. Hommes et femmes, enfants et adolescents sont particulièrement conscients de leur fragilité (asthmatiques, vieillissants, sportifs cabossés peu sur de remonter sur le ring) et veulent se donner encore une chance de croire en eux-mêmes et pour cela la légende de la boxe va les y aider.
La légende du noble art
Pour Richard Lord, la boxe est l'expression maitrisée d'une forme de violence au service de la légitime défense, du sport ou au service de certains aspects du développement personnel tels que la force ou l'image de soi. Mais il sait aussi qu'il s'agit surtout d'acquérir cette violence, pour être plus sur ou fier de soi. Le bric-à-brac savamment désordonné de son bureau respire des légendes de la boxe (affiches, annonces de match) qui rappellent son ancienne gloire. Jamais il ne ménage ses encouragements, faisant presque croire à chacun qu'il pourrait être champion du monde en s'entrainant tous les jours
Cette mutuelle croyance dans un physique meilleur qui les inscrit dans la légende du noble art entretient un esprit amical et coopératif ("Je vais te montrer ce que l'on m'a appris") au sein de cette communauté.
De belles images d'une communauté qui valent bien celles de ces couchers de soleil qui terminent le film.
Jean-Luc Lacuve le 11/03/2011.