Sur le générique de Voyage à Tokyo, Wenders parle de son admiration pour Ozu :
"rélalisateur de 54 films avec des moyens réduits au minimum, les mêmes histoires simples, les mêmes gens, dans la même ville, Tokyo. Cette chronique sur quarante ans enregistre la métamorphose de la vie au Japon. Le lent déclin de la famille japonaise et par là même le lent déclin de l'identité nationale. Il le fait sans mépriser le progrès ou la culture américaine mais en déplorant avec une nostalgie distanciée, la perte qui a lieu simultanément. Aussi japonais soient-ils, ses films peuvent prétendre à une compréhension universelle. J'ai pu y reconnaitre toutes les familles, tous les parents du monde ainsi que mes parents mon frère et moi-même. Pour moi le cinéma ne fut jamais auparavant et plus jamais depuis si proche de sa propre essence et de sa détermination même, donnant une image utile, une image vraie de l'homme du XXe siècle qui lui sert non seulement à se reconnaitre mais surtout à apprendre sur lui-même".
Apres un extrait des deux premières minutes du film. Wenders reprend :
"L'uvre d'Ozu n'a pas besoin de mes éloges. Un sanctuaire du cinéma ne peut exister que dans l'imaginaire et mon voyage à Tokyo n'avait rien d'un pèlerinage. J'étais curieux de trouver des traces, des images des gens à moins qu'avec le changement, je ne puisse plus rien y reconnaitre".
Journal filmé. Dans un cimetière des hommes et des femmes riants piqueniquent à l'ombre de cerisiers en fleurs. Pour Wenders qui regarde maintenant ces images tournées au printemps cela semble ausis lointain qu'un rêve écrit sur un bout de papier au matin et que l'on ne reconnaît plus ensuite. "Mes images de Tokyo m'apparaissent refléter une perception somnambule". Soudain pourtant il reconnaît dans un petit garçon qui ne veut pas suivre sa mère ,l'un des nombreux sales gosses des films d'Ozu. Balade dans Tokyo, dans l'un des nombreux salons de pachinko où la folie du jeu aide le temps à passer malgré le bruit des machines à sous.
Rencontre avec Chishu Ryu, qui a interprété un rôle dans pratiquement tous les films d'Ozu et évoque ses rapports, toujours d'élève à professeur ou de fils à père, avec celui qui demeure son seul maître. Les trains, omniprésents dans les oeuvres d'Ozu. Le golf qui a conquis le Japon en même temps que les toits des buildings de ses grandes villes, faute de place. Ces ateliers où l'on fabrique la nourriture en plastique destinée aux étalages. Représentations artificielles bien souvent aussi appétissantes que les véritables.
Une nouvelle rencontre, dans un bar de Shinjuku; celle de Chris Marker, réalisateur français, amoureux du Japon, et puis cette autre avec Yuharu Atsuta, cet "artisan de la caméra", qui témoigne avec émotion de ce que fut son travail avec Ozu, et qui ne l'a pas quitté depuis le temps où il n'était que deuxième assistant des films muets. La technique, les plans fixes, filmer en intérieur avec l'oeil de quelqu'un d'assis, en extérieurs, bien que rares, filmer pratiquement couché.
La tombe d'Ozu, froide, qui ne porte pas de nom, seulement un signe chinois ancien, "Mu" - qui signifie le vide, "rien". La fin du Voyage à Tokyo.
L'un des fondements du plaisir intense procuré dès les premiers plans du film tient au sentiment de retour aux origines du cinéma. De l'exploration de On n'apprend rien du grand cinéaste que fut Ozu si ce n'est l'admiration qu'en a Wenders qui, tel un somnanbule, traverse Tokyo à la recherche d'une image qui pourrait lui rappler celle d'un film d'Ozu.