Sur un fond rouge-orangé, deux visages de femmes sont regardées en vision subjective, peut-être par un bébé.
Nyack, village à 30 kilomètres au nord de New York. Au bord de l'Hudson, la jeune Biscuit Ryrie accomplit un étrange rituel quand survient un étrange accident.
John Ryrie, son père, décorateur de théâtre, est appelé au téléphone par sa femme, Ricky, inquiète que leur fille ait encore séché les cours. Elle encourage John à rentrer à la maison pour sermonner Biscuit. John accepte et donne ses instructions aux intérimaires qu'il a employés.
Paul Ryrie, adolescent obèse, discute avec son camarade noir. Rentrant seul chez lui, il est pris à parti par des élèves qui se moquent de lui.
Au bord de l'Hudson, Gordie a repêché Biscuit, trempée après sa chute dans l'eau provoquée accidentellement par son gros chien. Il ramène Biscuit chez elle en expliquant l'accident à John. Biscuit est surprise : quelle est cette jeune femme à la maison ?
John prévient Ricky que Biscuit va bien et que Jessica, "Jess", sa fille née d'un premier mariage, est venue leur rendre visite ce qu'elle n'avait pas fait depuis son enfance. Ricky, coincée dans un embouteillage, est rassurée.
Paul Ryrie rentre chez lui et s'étonne de la double présence de Gordie et de Jess avant de filer directement dans sa chambre où lui reviennent de façon auditive de désagréables souvenirs d'une proximité existant seulement entre Biscuit et Jess.
Le soir, Biscuit entend depuis sa chambre, Jess expliquer les raisons de sa venue à John et Ricky : elle est enceinte et sa mère l'a chassé de chez elle car elle ne voulait pas avorter. Quand Jess revient dans la chambre, que Biscuit lui a offert de partager, elle l'interroge sur sa présence près de l'Hudson dans l'après-midi. Biscuit ne lui répond pas.
Dans leur chambre, Ricky propose à John de garder sa fille chez eux jusqu'à la fin de sa grossesse au moins. Elle a d'ailleurs encore des vitamines ad hoc à lui fournir.
Le lendemain, Jess entend la maisonnée partir au travail et ne se lève qu'à onze heures, profitant seule du petit déjeuner. Elle téléphone à sa mère en lui expliquant qu'elle a du prétexter qu'elle l'avait chassée de chez elle pour revoir son père et sa famille. Elle promet de se faire discrète. Plus tard, elle profite du soleil dans l'herbe et est dérangée par le gros chien de Gordie. Jess lui propose de se balader avec lui et l'incite même à ce qu'ils se promènent ensemble à New York. Chez Gordie, Jess découvre d'étranges boites d'art naïf, des dioramas, qui l'émerveillent. Gordon lui apprend qu'elles ont été fabriquées par son père, simple postier, mort il y a tout juste quelques semaines.
Le soir à table, Ricky propose à Jess de rester autant de temps qu'elle le souhaite à la maison ce qui déclenche l'hostilité de Paul et, plus surprenant, de John. Un peu plus tard, il reproche à sa femme de prendre seule les décisions sans qu'ils prennent le temps d'en discuter vraiment. John fuit chez sa collègue Madeleine. Celle-ci, dotée dune solide connaissance en histoire de l'art, lui confirme la valeur des dioramas (maquette miniature mettant en scène un ou plusieurs personnages dans leur environnement habituel) du père de Gordie. Elle lui fait remarquer la transformation de "O sole mio" en "O solo mio" comme un lapsus transformant dans une traduction aussi approximative que symbolique "soleil" en "solitude".
Paul est rentré de l'école et Jess vient lui demander pourquoi il lui en veut d'être là. Paul prend prétexte qu'elle écrase sa mère par son art de la mandoline puis lui vole un baiser.
Biscuit a encore séché les cours et John rentre une nouvelle fois du travail pour elle. Déstabilisé, il se souvient de ce qui le traumatise depuis un an : rentré saoul après le décès de son bébé, il avait appris que sa femme sachant qu'il était atteint d'encéphalite, avait omis de lui en parler. Elle ne voulait pas qu'il la contraigne à avorter. Les souvenirs de John sont interrompus par l'alerte de fumée provenant de la salle de bain où Biscuit a provoqué un court-circuit.
Gordie se monter agressif avec Jess lorsque celle-ci, charmée par sa décision de quitter son vieil appartement, l'en félicite. Alors que Jess tente d'expliquer sa bonne volonté, Gordie revoit en flash une même tentative d'explication avec un ami noir qu'il avait repoussé. Cette fois, il remercie chaleureusement Jess pour sa franchise.
Dans la nuit, Biscuit voit Jess avoir une mystérieuse discussion avec Ricky.
Le lendemain, Jess est à l'hôpital où le médecin lui explique que deux suites sont possibles après une fausse couche: une expulsion naturelle qui prendra quelques semaines ou une opération rapide et immédiate. Jess choisit cette alternative et Ricky vient la consoler à l'hôpital où Jess ne semble plus savoir à quoi se raccrocher.
Paul vient lui dire qu'il est désolé pour son bébé et Jess, apaisée, s'apprête à quitter la maison de son père pour vivre pleinement sa vie. John demande à Biscuit une vraie explication pour son attitude mystérieuse devant l'Hudson. Cette fois, Biscuit lui répond qu'elle avait pris modèle sur un livre pour se livrer à un rite funéraire en l'honneur de Simon.
Lors du repas du soir, Ricky et John partagent l'annonce aux enfants d'une cérémonie funéraire pour dire adieu ensemble à Simon. Les enfants approuvent avec reconnaissance. Au matin, quittant la cuisine avec chacun une fleur de tournesol, ils vont jeter les cendres de Simon dans le fleuve Hudson. La famille de nouveau cimentée rejoint la maison comme réconciliée avec elle-même, le voisinage et l'univers entier.
The Grief of Others, le roman de 400 pages de Leah Hager Cohen, est découpés en chapitres dont la narration est alternativement pris en charge par chacun des six personnages principaux : les parents, Ricky et John ; leurs enfants, Biscuit et Paul ainsi que Jess, leur demi-sœur, et Gordie, le garçon au chien et dioramas. Un prologue d'une quinzaine de pages raconte, poétiquement, les quelques jours de survie de Simon, le bébé anencéphale.
Patrick Wang adapte le roman de son amie romancière en respectant cette structure chorale tout en accélérant les différentes prises en charge de la narration. Ce ne sont pas des successions de séquences qui sont prises en charge par un même personnage mais seulement de courtes scénettes. Ce récit plus atomisé est néanmoins sous-tendu par un même secret qui ronge chacun des quatre membres de la famille alors que Jess et Gordie affrontent les incertitudes de l'adolescence.
Un récit fragmenté unifié par un même drame corrupteur
Le drame corrupteur est moins explicite que dans le roman : la séquence d'introduction est mystérieuse et le rituel de Biscuit longtemps inexpliqué (refus de répondre à Jess, second retour à la maison avant l'explication au père). Même le flash-back de John rentrant chez lui après s'être retrouvé dans la même position que le soir où il était rentré saoul après l'annonce de la mort de son bébé, n'explique pas tout. Certes, il apprit là de sa femme qu'elle connaissait depuis quatre mois la malformation mortelle de leur bébé. Mais c'est bien davantage son refus de partager avec lui sa douleur qui le traumatise au point de la sentir comme toujours absente depuis cet événement survenu il y a un an. Il faudra la douleur de Jess, annonçant la nuit sa fausse couche à Ricky et sa détresse morale confiée à l'hôpital pour que celle-ci consente enfin à partager sa douleur avec sa famille et, par là même, la réunisse autour d'elle et de l'enfant disparu.
Gordie et Jess quittent leur famille respective, plus fort chacun, afin de tenter leur aventure personnelle. Jess semble délivrée de son obsession de garder un enfant sans raison, autre peut-être que celle à laquelle elle doit la vie puisqu'elle fut conçue sans doute sans le vouloir vraiment par ses parents très jeunes. Gordie sort du capharnaüm familial plus confiant dans les relations d'amitiés complexes avec les autres qui en faisait un personnage solitaire. Il évitera sans doute le destin de son père transformant "O sole mio" en "O solo mio" comme un lapsus transformant dans une traduction aussi approximative que symbolique "soleil" en "solitude".
Rendre plastique l'inévitable remontée du passé
Après le récit fragmenté, la surimpression est le procédé le plus visible du film. Elle apparait ainsi lors du souvenir de son père qui saisit Gordie devant les dioramas, lors des jeux optiques dans les verres lorsque John se saoule, lorsque Paul se rappelle d'un adieu à sa mère ou lorsque s'amorce et se clôt le flash-back de John. On note aussi la mystérieuse apparition d'un interlocuteur noir, jamais vu auparavant, lorsque Gordie entend Jess se justifier sur la sincérité de son amitié.
Récit fragmenté appelant à être unifié par une explication, surimpressions faisant appel au passé, apparition soudaine d'un personnage mystérieux venant du passé : ces procédés plastiques relèvent de la même volonté d'indiquer que le passé n'est pas réconcilié avec le présent; que le présent évoque et rappelle quelque chose qui, à l'époque n'a pas été bien saisi ou ressenti par le personnage.
C'est de cette réconciliation dont se charge la dernière séquence composée de trois plans. C'est d'abord l'extraordinaire split-screen où le plan fixe de la cuisine qui vient d'être quittée par la famille se troue, de plus en plus largement à partir du coin supérieur droit, d'un plan d'extérieur, finalement plein écran, sur la famille accomplissant le rite funéraire au bord de l'Hudson qui borde sa maison. La cérémonie consiste pour chacun des quatre membres de la famille à jeter une poignée de cendres du bébé défunt dans l'Hudson avec une fleur de tournesol. La cérémonie terminée, l'eau du fleuve se superpose en transparence à la famille remontant vers sa demeure et croisant tout le voisinage, à commencer par Gordie et son chien. Le film se clôt par un dernier plan de la cuisine, blanche, propre et comme sanctifiée par cette cérémonie mais vivante des sons provenant de l'extérieur.
Pour que la cuisine, lieu où se retrouve la famille, redevienne un lieu d'harmonie, il faut en effet que s'accomplisse le rite de l'adieu au personnage auquel a été refusé toute existence et qui ronge la famille. Le chagrin n'est pas corrupteur. Au contraire, partagé, il contribue à resserrer les liens et a s'ouvrir aux autres; à Gordie et au voisinage.
Patrick Wang réalise ici peut-être l'archétype du film sur la famille en se passant d'une dramatisation au travers d'une action héroïque ou amusante et, surtout, en refusant un montage sollicitant une émotion facile par le recours au gros plan. Bien au contraire, les plans longs dominent ce film jusqu'a cette apothéose des trois plans de fin.
Jean-Luc Lacuve le 29/08/2015
Source : rencontre avec Patrick Wang le 27/08/2015 au Café des Images