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Ingeborg Bachmann

2023

Genre : Biopic

Avec : Vicky Krieps (Ingeborg Bachmann), Ronald Zehrfeld (Max Frisch),Tobias Resch (Adolf Opel), Basil Eidenbenz (Hans Werner Henze), Luna Wedler (Marlene), Marc Limpach (Tankred Dorst), Renato Carpentieri (Guiseppe Ungaretti). 1h51.

Prologue. Ingeborg Bachmann est réveillée dans la nuit par un coup de téléphone. Max se rit d'elle. Ce n'était qu'un cauchemar dont elle se réveille dans sa chambre d'hôpital. Elle prend une cigarette sur sa table de nuit où sont éparpillés des cachets de médicaments. Elle va la fumer à la fenêtre puis s'écroule, cigarette allumée. Elle se souvient d'un autre cauchemar raconté à son psychiatre : elle a avait été attaquée, ainsi que d'autres femmes, par une meute de chiens conduit par un bouledogue. Il se nommait Max.

Titre du film : Ingeborg Bachmann voyage dans le désert

Dans un grand hôtel de  Paris, Ingeborg rencontre Max Frisch impatient de la rencontrer depuis qu'il a entendu sa pièce radiophonique Le Bon Dieu de Manhattan. Il l'a convié à la première de sa pièce. Elle n'a pas d'enfant et ne veut pas en avoir;  elle aime qu'un homme n'attende rien d'elle.

(1) Elle est dans le désert, souffrante, avec son Adolf Opelt, un ami. Elle se regarde dans une glace et se souvient :

Elle marchait sur le pont-neuf et disait à Max bientôt rentrer en Allemagne. Il vit en Suisse, elle cite sous le pont Mirabeau. Dans un cabaret, il avoue que dans ses pièces les femmes se détruisent elles-même et les hommes sont là pour les protéger... sans y parvenir. Une vieille femme reprend la chanson en la marmonnant, "laissez moi mon amoureux pour un jour, deux jours..."

(2) Dans le désert avec Adolf Opelt, elle s'interroge sur sa citation du premier soir puisque La chanson du mal-aimé venait après Le pont Mirabeau.

Dans un couloir, ils s'étaient embrassés.

(3) Dans le désert, elle renonce à sortir à minuit avec Adolf Opelt et prend des cachets; elle se souvient :

Il l'avait appelé pour qu'elle vienne à Zurich avec ou sans poèmes. Elle avait dit oui tout de suite. Rentré de la gare sans la voir, dépité, il avait néanmoins été impatient de la voir avec un jour de retard. Interview où elle explique qu'elle reviendra peut être à la poésie mais que pour l'instant les mots lui semblent usés, suspicieux. Il lui avait montré son bureau bien rangé et le magnifique salon qui donnait sur le lac.

Elle retrouve Hans Werner Henze, un ancien amant pour préparer Le Prince de Hombourg que va mettre en scène Luchino Visconti. Il a déjà mis en musique les poèmes Aria I et Sauf-conduit (Aria II) dans ses études symphoniques Nachtstücke und Arien en 1957. Il réprouve son possible mariage avec Frisch. Elle propose une version de la pièce de Kleitz où Le prince électeur condamne le prince contre l'avis de la cour, où il n'y a pas de méchant, pas de bassesse ; elle a réduit l'intrigue militaire et renforcé l'intrigue amoureuse : c'est le premier personnage moderne : un rêveur qui devient Prince. Henze voudrait la retenir; il pressent qu'elle pourrait redevenir malheureuse.

Photo de Grete Stern "Qui suis-je ?" Elle accepte de vivre avec lui. "Tu vas me rendre malheureux mais j'accepte le risque". Il lui affirme, qu'avec lui, elle ne sera plus jamais malheureuse.

Il lui lit un texte sur le désert où elle n'est jamais allée; il promet de l'y emmener.

(4) Désert; ils se promènent, elle voudrait qu'il l'enterre comme une momie:

Il vient la voir dans son hôtel de Berlin; à Vienne ou à Berlin, elle ne se sent pas bien. Elle voudrait être à Rome avant la catastrophe. Il l'observe prendre des cachets. Il revient le lendemain elle est plus joyeuse : il lui propose de l'emmener dans le désert, elle accepte; ils font l'amour

(5) Dans une réception, elle danse le tango.Pour lui allumer une cigarette, il fait tomber la bougie. Elle la laisse brûler (se souvient ?). Dans le désert, enterrée, elle a cru mourir

Le bruit de la machine à écrire la réveille, l'empêche de travailler. Au café pas d'expresso, conflit vaisselle, bruit de machine. En rentrant, il se fâche de l'entendre réjouie au téléphone; elle se dit moins insouciante que lui, plus exigeante sur les mots. Il la met au défi de lire son texte

(6) Désert, coup de soleil avoue avoir été très malade après la séparation.

Conférence, elle veut de l'exigence. Il est jaloux conversation tendue

(7) Dans le désert, elle avoue avoir envie de coucher avec plusieurs jeunes hommes dont les arabes qui l'ont abordé

Il rentre de voyage, il lui fait une scène de jalousie pour les roses, il aurait préféré un bon dîner.

(8) Il la suit dans le souk, foulards enfants puis promenade en chameau

Machine à écrire, elle veut partir de Suisse pour Rome; il veut seulement qu'elle loue une chambre

(9) Désert, rien de plus beau sous le soleil qu'être sous le soleil.

Rome sous le soleil;Giuseppe Ungaretti, il téléphone sans réponse; interview, Rome accueillante comme les colonnes de Bernini. Il débarque avec sa valise. Mécontent mais fait le repas. Il la demande en mariage

(10) Dans le désert elle explique qu'elle a refusé car le mariage est une institution impossible. le fascisme commence dans la relation entre les gens. le fascisme est la première chose dans la relation entre un homme et une femme. cette société est constamment en guerre

Habillé comme un dandy, dans un café abordée par un membre du groupe 47. Il l'accuse d'être une star. Elle rentre pleure, il rentre saoul.

(11) chacun est seul avec ses pensées sentiments intraduisibles.

Elle avait forcé son tiroir et brûlé son carnet de note

Elle se plaint à Hans Werner Henze de n'être qu'un objet d'étude. Il lui affirme qu'il est sa proie. Ils se réconcilient pourtant; elle fait une autre conférence

(12). Ils avaientt fait l'amour à quatre ; elle s'en était réjouie dans le désert, se disant vengée de tous les petits bourgeois

En Italie, Ils avaient reçu des amis chez eux, Marlène Tankred Dorst. Marlène était sortie avec Max puis en  Allemagne, elle l'avait de nouveau poussé vers lui

(13) Cela aurait pu fonctionner pense Adolf

Il veut la quitter : il ne peut plus écrire. Il écrivait avec insouciance, maintenant il a peur de la blesser, qu'elle pense du mal de lui

(14) Désert; séparation la plus douloureuse de sa vie, longue agonie

Ne dit-on pas que ce ne sont pas toujours les meurtriers les coupables mais les victimes

Nous sommes ici pour être créatifs, le reste est sans importance.

(15) "Il y a une demeure de l'âme que personne n'a le droit d'occuper et c'est le travail. La lumière du jour en est moins horrible et l'obscurité de la nuit moins terrifiante."

Sans faire apparaître de dates, le film se concentre sur deux périodes de la vie de Ingeborg Bachmann : 1958-1962, les quatre ans de sa relation avec Max Frisch, puis l'année 1964, à partir de janvier, première rencontre à Berlin avec Opel et leur voyage en Égypte et au Soudan durant l'année. Mais rien n'est dit sur la rupture avec Opel trois ans plus tard, ni sur les dix ans qu'il lui reste à vivre, hormis le prologue du film qui met en scène l'accident fatal de la cigarette en 1973. Surtout, le film ne s'attache aucunement aux premières années, pourtant très romanesques, de la plus grande poétesse de langue allemande de l'après-guerre. Margarethe von Trotta s'en tient à  un sujet bien plus concentré :  l'incompatibilité poétique et politique au sein d'un couple.

L'aventure de l'écriture ou l'écriture d'une aventure

On pourrait redoubler la formule de Jean Ricardou, écrivain et théoricien de la littérature, par l'opposition entre Ingeborg qui veut une vie pour écrire et Max qui veut écrire une vie. Ingeborg est exigeante avec les mots, leur sens et leur prolongement métaphorique. Elle en explore les rythmes, sonorités et tout élément relevant de la stylistique, attentive   à leur usure même qui lui font abandonner pour un temps la poésie. Pour cela, elle a besoin de calme, de lumière et d'espace. Max, en accord avec le monde dans lequel il vit, plus spontané, aime écrire ce qu'il voit, la vie de celle qu'il aime et ne supporte plus bientôt de devoir s'interroger sur les mots qu'il emploie et la crainte du jugement de celle qu'il aime.

L'histoire aurait néanmoins pu fonctionner puisque, au moment où Ingeborg rencontre Max, elle a décidé de s'orienter vers la prose. C'est ainsi l'élément politique qui s'avère le plus déterminant : le fascisme qui naît dans la relation de couple, et même plus exactement le fait que Bachmann soit consciente de cette lutte de pouvoir qui s'exerce au sein du couple alors que Frisch tout en l'exerçant sembleen ignorer l'existence alors qu'il refuse de faire la vaisselle le matin ou préfère un bon dîner à des roses.

Une femme qui brûle

Le montage  entre les deux époques établit un parallèle entre la relation toxique avec Max, filmée dans des lieux étroits souvent avec surcadrage, et la relation de liberté, vécue dans de grands espaces avec Opel. Presque chacune des 15 séquences dans le désert vient en effet en contrepoint ou pour expliquer ce qui s'est passé deux ans plus tôt.

La cigarette allumée qui  ouvre le grand flash-back du film, plus qu'un élément biographique sur la fin tragique de Ingeborg est le symbole de la poétesse dont l'écho revient avec la robe qu'elle regarde brûler sur elle lors du geste maladroit de Opel pour allumer sa cigarette et qui renvoie alors à son souvenir d'avoir suffoqué après avoir été  enterrée par jeu dans le sable sous le soleil du désert. Ce soleil qu'elle avait magnifié dans une ode.

Vicki Krips est beaucoup plus glamour que Ingeborg. Elle est magnifié par les robes tout droit sorties de Phantom threads (Paul Tomas Anderson,) et son visage s'éclaire si bien sous le soleil de l’Italie. Ronald Zehrfeld est, en revanche, amené à surjouer la jalousie de Max Frisch par un surcroît de mimiques expressives. Il n'est de plsu aucunement fait allusion aux relations de Bachmann avec Hans Magnus Enzensberger en 1959 et avec Paolo Chiarini au printemps 1962 qui mirent en péril le couple qu'elle forme avec Max Frisch. La fin du couple est attribué au fait, réel, que Frisch tombe amoureux de Marianne Oellers à l'automne 1962. Le film assume ainsi d'être un plaidoyer féministe et, sans doute, un discours bien senti de Margarethe von Trotta dans sa relation de couple avec Volker Schlondorff.

Jean-Luc Lacuve, le 16 mai 2025.

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