Le timide et solitaire Christian est embauché dans un supermarché de l'ex Allemagne de l'Est. Bruno, un chef de rayon, le prend sous son aile pour lui apprendre le métier. Dans l’allée des confiseries, il rencontre Marion, dont il tombe immédiatement amoureux. Chaque pause-café est l’occasion de mieux se connaître. Christian fait également la rencontre du reste de l’équipe et devient peu à peu un membre de la grande famille du supermarché. Bientôt, ses journées passées à conduire un chariot élévateur et à remplir des rayonnages comptent bien plus pour lui qu’il n’aurait pu l’imaginer…
Tant du point de vue de l'analyse des rapports amoureux, entre Christian et Marion, que de l'analyse sociale, le passage de témoin de Bruno à Christian, le film déploie une étude critique douce qui refuse la révolte; ce qui en fait tout le charme, discret et paradoxal.
La mer dans les allées
Si Christian et Marion sont amoureux l'un de l'autre, ils ne vont pas jusqu'à briser les conventions petites bourgeoises pour assumer leur amour. Christian vient observer Marion jusque dans sa salle de bain mais ne peut rien contre la volonté de celle-ci de préférer le confort que lui offre son mari. Celui-ci, toujours hors champs, n'est montré qu'au travers de la grosse cylindrée qu'il conduit pour se rendre au travail. On peut craindre pour Marion un mari violent puisqu'elle est soumise à des arrêts de travail mais, plus probablement, s'agit-t-il de dépression comme l'évoque peut-être le plan sur le puzzle dans une maison sans âme. L'amour de Christian est évoqué, dès sa première vision par le bruit de la mer que l'on entend off. Ce même environnement sonore amoureux intervient lors de la pause romantique où Christian offre un gâteau de poche surmonté d'une bougie à Marion pour son anniversaire, alors qu'un plan en insert sur le cou-poitrine de Marion évoque doucement son désir d'elle. Le son des vagues revient une dernière fois, comme une explication rationnelle cette fois quand Marion explique à Christian dans la dernière séquence comment le provoquer avec les crémaillères du chariot élévateur. Le titre original, plus sobre, dans les allées, est alors paradoxalement plus puissant dans cette affirmation qu'on peut y trouver l'infini de la mer que le titre français, plus explicite, mais qui ne fait allusion qu'à la valse de Strauss, entendue au début.
Vers l'intégration sociale et amoureuse
La critique sociale vise le manque de perspective des perdants de la réunification allemande. Bruno et ses camarades du magasin étaient, dans leur jeunesse, chauffeurs routiers, l'élite de la classe ouvrière. Ils ont abandonné leur gros camion pour les petits chariots, le jour pour la nuit et leur belle maison ne voit plus que passer les camions au bord de l'autoroute. La femme de Bruno est partie, morte ou enfuie, et il n'a plus que Christian pour faire croire, une ultime fois, au bonheur disparu. Il met trop de temps à trouver les bières pour Christian, signe d'une maison à l'abandon. Christian, qui ne pose pas de questions, sera surpris et effondré, comme tous, du suicide de Bruno.
Le film combine ainsi plans étranges et d'atmosphère, avec des plans brefs et répétitifs de l'habillement de Christian puis de son attente à l'arrêt de bus pour marquer le passage des jours, ou plutôt des nuits. Les allées du magasin, la solidarité qui s'y déploie et les relations humaines qui s'y nouent offrent à Christian une vie plus pleine que celle, désespérante, de ses anciens amis violents, alcooliques et exclus socialement. Naturellement, Christian devient chef du rayon des boissons et attend que Marion se décide peut-être un jour à rêver d'autre chose que d'écouter la mer avec un chariot élévateur.
Jean-Luc Lacuve, le 15 novembre 2020.