D’après Itinéraire de Jean Bricard enregistré par Jean-Yves Petiteau. 0h40.
Un long travelling de dix minutes en bateau sur la Loire le long d'une rive de l'île Coton. Le bateau tourne à la pointe de l'île pour repartir sur la gauche. Coupure : la pellicule du magasin est arrivée à son terme. On reprend un peu plus loin le tour de l'île puis, très vite, une voix s'élève :
"On arrive à l'île Coton, là où j'ai passé mon jeune âge. On habitait à la Basse-Pierre. II y avait un port à la Basse-Pierre. C'était le port de Basse-Pierre mais ça remonte à plusieurs siècles.
Il y avait un entrepôt de céréales et de vin. La Butte
de la Pierre était plantée à 90 % de vigne, le vin était
transporté par bateau. Parce que l'hiver il y avait les bateaux, mais
quand l'été il n'y avait pas assez d'eau pour rejoindre une
rive ou l'autre, on passait à pied sur un gué, comme vous en
avez à Oudon, à Saint-Florent. Plusieurs comme ça en
biais. Les gués faisaient en général entre 2 à
3 km de long.II y en avait un qui passait à la Basse-Pierre et qui
venait du château d'Ancenis. Ils ont été démolis
en partie pour le chenal. Moi j'ai connu le gué, puisqu'on l'a démoli.
Vous voyez, j'habite en face. Cette année, il y avait 40 cm d'eau dans la maison. Alors vous aviez des pieds d'osiers qui, pendant la guerre 43-44, permettaient de se cacher dedans pour éviter d'être pris par les Allemands. En 44, l'année où mon oncle s'est fait piquer. Si mon oncle a été fusillé, c'est parce que pendant 3 semaines on a eu les Américains à Ancenis. C'est la Loire qui faisait la frontière, et puis les Allemands, ici côté rive gauche. Donc, ce qui fait que cela a été dur. Il y a eu des gens qui ont été pris au passage de la Loire en bateau, parce que la nuit ils passaient en barque pour retrouver les Américains.
Justement on va aller voir la croix. Christophe, c'est le voisin qui n'a
pas de boulot lui, alors il vient me donner un coup de main.
On va voir la cabane pour se mettre à l'abri quand il tombe vraiment de l'eau. Quand on avait une heure ou deux, il s'agissait de travailler autour de la ferme, mais dès qu'il y avait possibilité de partir une journée, au moins une demi-journée, on venait à l'île. C'est là-dedans que je me suis fait bouffer le doigt par les rats."
Jean Bricard raconte alors comment son père s'est fait prendre sur
l'île par les allemands en août 1944 alors que les Américains
étaientt sur l'autre rive. Il fut fusillé avec deux autres compagnons.
Une plaque et un tombeau surmonté de trois croix gardent le souvenir
de cet évènement.
Tourné en décembre 2007, le film est signé Jean-Marie Straub et Danielle Huillet bien que cette dernière soit décédée en octobre 2006. Mais toute la préparation avait été assurée par eux deux.
En 1992/93, ils avaient rencontré lors d'une rétrospective consacrée à leur oeuvre à Nantes, Jean-Yves Petiteau, chercheur au CNRS. Celui-ci leur avait parlé des enregistrements qu'il avait fait de la parole de Jean Bricard.
C'est ensemble que Danielle Huillet et Jean-Marie Straub avaient fait les repérages près d'Ancenis sur l'île Coton.