Lady Susan Vernon, veuve de Sir Vernon, se trouve à Langford, chez les Manwaring. Elle est obligée de partir précipitamment en raison de la liaison qu'elle entretient Mr Manwaring.
Au château de Churchill, Catherine Vernon écrit une lettre à sa belle-mère : elle est dans l'impossibilité de se rendre chez elle, à Parklands comme elle en avait l'intention car elle doit recevoir pour un long séjour sa belle-sœur, lady Susan, la veuve du frère de son mari, le débonnaire Charles Vernon, qui a tout de suite accepté.
Dans son voyage de Langford à Churchill, lady Susan s'est arrêtée à Londres où elle reçoit sa grande amie, l'américaine Alicia Johnson, qui s'ennuie auprès de son mari. Mais celui-ci, effrayé de la réputation sulfureuse de lady Susan, a interdit à sa femme de la voir la menaçant de la ramener dans le Connecticut. Susan explique à son amie que, sans fortune, elle a besoin d'un lieu confortable pour passer l'hiver même si la demeure de son beau-frère, en pleine campagne, ne lui apparait que comme un pis aller. Heureusement elle a près d'elle Mrs Cross, une de ses amies désargentée qu'elle n'a pas hésiter d'inviter avec elle, sous prétexte d'amitié mais, en fait, pour la servir.
La rencontre entre Catherine Vernon et lady Susan, qui a l'intention de l'amadouer en louant ses deux petits enfants, est glaciale. Tout pareillement, l'accueil par lady Susan de Reginald DeCourcy, son jeune frère, qui était impatient de rencontrer cette très jolie femme de trente-cinq ans, en paraissant dix de moins, et très célèbre pour sa beauté et l'irrésistible séduction qui émane d'elle est-il très distant. Pourtant Catherine Vernon s'inquiète rapidement de l'emprise que prend lady Susan sur son Reginald qui passe ses journées avec elle dans la campagne.
Une lettre de la pension dans laquelle lady Susan a laissé sa fille, Frederica, 16 ans, la met en émoi. Frederica a fait une fugue et elle va être renvoyée. Lady Susan envoie, Charles Vernon plaider sa cause mais rien y fait et celui-ci ramène une Frederica terrorisée par sa mère. Bientôt, c'est Sir James Martin qui s'invite sous prétexte d'être le prétendant de Frederica. Durant les présentations puis le dîner, sa sottise éclate aux yeux de tous.
Lady Susan fait part à Reginald de sa difficulté à élever sa fille et de son ingratitude alors qu'elle est dans la nécessité de lui trouver un bon parti, Sir James Martin, certes sot mais gentil. Comme Frederica insiste pour ne pas épouser Sir James Martin, lady Susan invoque le quatrième commandement. Frederica, inquiète, consulte le prêtre protestant qui ne l'aide pas. C'est finalement vers Reginald qu'elle se tourne escomptant son influence sur sa mère.
Et, effectivement Catherine Vernon est bientôt toute conte d'apprendre que son frère Reginald quitte le château. Bientôt lady Susan s'en alarme et tente de compromettre Reginald en l'invitant dans a chambre. Celui-ci la supplie de l'épouser mais Susan, connaissant l'opposition des parents du jeune homme à ce mariage préfère le retarder. Elle décide que c'est elle qui part
A Londres, Susan reçoit bientôt la visite de Reginald qui renouvelle sa demande en mariage. Mais Susan préfère le laisser aux soins de son amie Alicia pour profiter de son amant, Lord Manwaring. Mais Chez Alicia, Reginald croise lady Manwaring qui ne se fait pas faute de lui dire que son mari est dans les bras de Lady Susan. Leur entretient en tête à tête est confirmé par la lettre qu'il vient de remettre à Alicia et par l'observation du cocher de lady Manwaring. Reginald s'en retourne chez Susan qui lui explique avoir seulement joué la conciliatrice pour le couple, loin des regards indiscrets des domestiques. Elle rompt avec lui, prétextant ses soupçons injustifiés.
Brisé Reginald s'en retourne à Churchill mais sa sœur n'est pas dupe et soupçonne une nouvelle manœuvre de lady Susan. En fait, celle-ci arrive bien vite, mais pour emmener Frederica avec elle. Catherine et son mari Charles en sont désespérés s'étant attachés à la jeun fille, le rossignol du Kent.
A Londres, Susan est très satisfaite de pourvoir voir de nouveau Lord Manwaring sans contrainte en attendant que Reginald vienne à nouveau la supplier. Mais Alicia lui propose une voie plus sage: épouser elle-même Sir James Martin et assurer ainsi sa liberté financière et, la sottise du mari aidant, sa liberté tout court.
Catherine et Charles viennent plaider à Londres la cause d'un retour de Frederica à Churchill. Susan, après avoir semblé leur opposer un refus définitif sur les arguments qu'ils font valoir, ouvre la porte de son choix, la santé de Frederica, pour les laisser emmener sa fille.
Catherine est heureuse; Reginald courtise Frederica et Lady Susan s'est mariée avec Sir Martin. A Parklands, on célèbre le mariage de Frederica et Reginald. Tous sont heureux, même Sir James Martin qui héberge sous son toit Lord Manwaring sans savoir compris qu'il est l'amant de sa femme.
Lady Susan est un court roman épistolaire écrit par Jane Austen vers 1794, mais qui n'a pas été publié avant 1871. C'est l'une de ses premières œuvres importantes, probablement écrite lorsqu'elle avait 18 ou 19 ans, dans un style qui annonce déjà ses grands romans. Whit Stillman parvient à transposer la forme épistolaire du roman, ces blocs accolés d'écritures finement ciselées, en cassant systématiquement la continuité narrative. Il évite ainsi l'effet souvent ampoulé des films en costume pour rendre compte avec justesse et précision de l'intelligence romanesque de Jane Austen.
Le rythme brisé de la forme épistolaire
La forme épistolaire retenue par Jane Austen sera également utilisée par l'auteure pour la première version de Sense and Sensibility, ébauché en 1795 et appelé alors Elinor and Marianne. Lady Susan est composé de quarante et une lettres, correspondance essentiellement de Lady Susan avec son amie Mrs Alicia Johnson, et de Mrs Catherine Vernon (la femme de son beau-frère) et sa mère, Lady DeCourcy, qui détestent profondément Lady Susan. S'y ajoutent quelques lettres d'autres personnages, comme Réginald DeCourcy à Lady Susan.
Le roman classique avec son auteur omniscient peut rapidement définir ses personnages. Le roman épistolaire met souvent plus longtemps à les dessiner. Ils gardent longtemps leur part de mystère, de non dits et de mensonges due à leur vision subjective. Whit Stillman refuse ainsi une trop nette maitrise du récit cinématographique en cassant l'habituelle sage présentation des personnages. Il multiplie les scènes d'ouverture qui présentent dans une sarabande aussi endiablée que difficile à suivre les personnages et les lieux : Langford, chez les Manwaring ; Churchill chez les Vernon, Londres chez Lady Susan et les Johnson, Parklands chez les DeCourcy.
Les lettres de Jane Austen sont transposées sous formes de dialogue sans rien perdre de la précision des sentiments ou des actions envisagées. Whit Stillman se permet juste l'invention de Mrs Cross. Elle joue le rôle de confidente de Lady Susan et recueille ainsi de vive voix ce qui fait l'objet de lettres dans le roman. Mais le personnage est abandonné au tiers du film. Le suspens dans le déroulement du récit que permet le roman épistolaire, en laissant notamment non décrits certains passages qui seront évoqués plus tard par une autre lettre, est aussi utilisé par Whit Stillman. Ainsi la scène de dispute entre Reginald, qui plaide pour Frederica, et Susan n'est pas montrée.
Raison et sentiments avec humour et éclat
Whit Stillman ne présente lady Susan qu'après deux séquences et met surtout en scène sa puissante capacité à agir. Certaine de sa séduction, elle parvient à ce qu'aucun homme ne lui résiste ainsi de Reginald qui continue à croire en elle après l'aveu d'une lettre et d'un témoin oculaire. Décidée, elle rompt en paroles pour mieux enchainer par les sentiments.
Mais, comme cela le sera toujours plus tard chez Jane Austen, après les peines d'amours reçues (ou ici plutôt données), son héroïne se rend compte qu'il est possible de concilier raison et sentiments. Grâce aux conseils bienveillants d'Alicia, Lady Susan comprend ainsi que, si elle assouvit son désir de Reginald DeCourcy, elle se mettra en porte à faux vis-à-vis de la société durant de longues années; au moins jusqu'au décès des parents de Reginald. Ainsi choisit-elle de suivre le conseil d'Alicia et de garder pour elle le sot James Martin qui va accueillir jusque sous son toit son amant, Lord Manwaring, qui a divorcé de son épouse, la riche et sotte, Lady Lucy Manwaring. Ainsi, "à part les sots pour lesquels on ne peut rien", tout le monde, à défaut d'être heureux, assume une partie de ses désirs.
Grace à Sir James Martin, l'humour vient alléger la succession des stratagèmes de Lady Susan. Durant les présentations puis le diner, sa sottise éclate aux yeux de tous. Elle est redoublée quand il parle des "douze" commandements ou de poésie avec Frederica. Jane Austen se moque aussi de la gentry anglaise à peine suffisamment éduquée : elle s'attache à la place du quatrième commandement alors qu'il peut tout aussi bien être le cinquième selon qu'on soit anglican ou catholique; elle ressert le jugement de Salomon à satiété ou méprise l'enseignement et se montre méfiante envers Londres.
Jean-Luc Lacuve le 23/06/2016.