Alors qu’il avait totalement disparu, Phillip, 13 ans, revient à la maison au bout d'une semaine, blessé au pied, sans aucune explication ni un mot pour sa mère, Astrid. Profondément affectée et avec l'aide d'un professeur de Philip, elle cherche à répondre à des questions a priori insolubles : où était-il passé ? À quoi a-t-il bien pu vouloir se confronter ?
C'est sans doute beaucoup demander au spectateur que d'être ému par ces suites de scènes jouées à la manière de Robert Bresson, de façon la plus neutre possible.
Bresson s'appuyait sur un texte fort dont sa mise en scène rendait toute la puissance. Ici aussi l'ambition est grande ; les enfants de la classe de Philip jouent Hamlet et on pressent que la mort du père de Philip pourrait être un rapprochement possible. Néanmoins, le jeune professeur de tennis des enfants et l'amant de leur mère est bien loin d'évoquer Claudius et nul autre indice vient faire ressentir la justesse de ce rapprochement.
Le long monologue d'Astrid avec le jeune aspirant professeur et metteur en scène de théâtre livre d'autres clés. Pour Astrid, un spectacle qui confronte des danseurs à une femme très âgée ne peut révéler que la fausseté du jeu des acteurs dont elle voit l’artificialité, dérangeante par rapport à la vérité de la vieille femme, plus juste en se contentant d'être. A cette position radicale, le jeune metteur en scène oppose toutefois la richesse d'un échange entre la malade et les danseurs où chacun s'enrichit du regard des autres. D'où alors, peut-être, le choix de la réalisatrice de faire se rencontrer, humain, mécanique (le vélo, le tennis), animaux et nature.
A un autre moment, Astrid évoque l'inévitable retour à la poussière et à la mort, d'où le goût des forêts dans lesquelles on s'allonge sur le sol pour éprouver la vérité cosmique du monde. Dès lors, rien d'étonnant à ce que Philip fugue dans la forêt et qu'Astrid franchisse un mur la nuit pour s'allonger sur la tombe de son mari où elle s'endort et qu'une grive s'approche tout près d'elle. Cette proximité revendiquée avec la nature explique alors le prologue où un chien court après un lapin qui pense trouver refuge au milieu des rochers. Un peu plus tard, le chien mange un lapin sous le regard d'un âne puis, plus tard encore, viendra dormir à ses pieds. Le dernier plan enfin où Philip, très longuement, porte Astrid sur son dos pour traverser un cours d’eau au milieu de la forêt évoque ce retour bienfaiteur à la nature. Le passage entre le jour à Berlin et la nuit dans la forêt pourrait être l'objet de la visite au Gemäldegalerie der Staatlichen Museen de Berlin avec le regard porté sur La veillée nocturne à San Pietro di Castello.
Jean-Luc Lacuve, le 12 janvier 2021