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Nous, Princesses de Clèves

2011

Avec : Manel, Aurore, Mona, Abou. 1h09

Marseille, quartiers Nord, Lycée Diderot en ZEP. Dans un atelier de lecture Anne Tesson, jeune professeure de français propose à des élèves de première et terminale d'étudier La Princesse de Clèves, premier roman moderne, c'est à dire psychologique, de la littérature française, écrit par Madame de Lafayette au XVIIe. Anne Tesson explique qu'il s'agit d'un roman situé en 1558 où les règles de la galanterie sont imposées par le roi lui même, Henri II, où, dès lors, la dissimulation est la règle, ce qui ne peut que conduire à sa perte la princesse éprise d'absolu.

Mona récite face caméra les premières lignes du texte, bientôt relayée par Abou. Aurore explique qu'elle se sent un peu princesse de Clèves, sortant avec son petit ami qu'elle aime bien mais davantage émue par d'autres garçons. Une jeune fille dit son regret de ne pas connaitre l'amour.

Le père de Mona lit le passage où Madame de Chartres implore sa fille, la princesse, de renoncer à l'amour immédiat et fulgurant qu'elle éprouve pour Nemours car le bonheur se trouve dans l'amour de son mari. Le père de Mona approuve plainement ce principe pendant que sa femme, muette, les cheveux cachés sous un voile, ne dit mot. Mona rigole sachant qu'elle ne pourra parler d'amour avec ses parents que lorsqu'elle leur présentera l'homme qu'elle épousera. En attendant, elle ne fait ses confidences amoureuses qu'à deux amies.

La mère d'Aurore croit que, du temps de Madame de Chartes, les parents donnaient moins d'amour à leurs enfants. C'est ce qui, pour elle, explique que madame de Chartres retienne sa fille de succomber à l'amour de Nemours. Aurore conteste cette approche. Elle s'est sentie délaissée par sa mère jusqu'à neuf ans et pourtant se dit capable de donner de l'amour. La mère d'Aurore se dit "survivante de l'amour", élevant seule maintenant ses enfants après une période douloureuse de séparation.

Abou, pétri des valeurs de grandeur et de responsabilité, se dit proche du prince de Clèves. Il décrit avec humour sa famille, père solide, mère aimante et ses deux frères. La mère d'Abou a perdu un pied et reste la journée sur un canapé, ce qui ne l'empêche manifestement pas de régenter la famille, de l'aimer et d'être fière de ses enfants, leur espérant à tous le bac.

Vient ensuite la demande d'exil de la princesse à son mari. Les jeunes prennent le train. Ils se rendent au Louvre où ils visitent la section des peintures française du XVIe, époque du roman. C'est ensuite la visite de la grande bibliothèque. Deux jeunes filles d'origines africaines s'opposent sur le fait de savoir si, parce qu'elles ont des ancêtres esclaves, elles peuvent se reconnaitre dans les valeurs de la France.

Nemours, un jeune noir séducteur a rédigé sa propre déclaration d'amour, mise en musique par Aurore au piano. La vie dans la citée en été. Pas facile de réviser avec des familles pleines d'enfants. Allongée dans les fleurs de la colline de la citée, Manel se plaint de sa mère, encore enceinte. Elle en souhaite qu'une chose : partir de chez elle après son bac. C'est aussi ce qu'espère le jeune garçon homosexuel, réclamant son droit au bonheur.

Lors de l'épreuve du bac blanc, deux jeunes filles de la première échouent devant l'examinatrice pourtant de bonne volonté et plutôt bienveillante. L'une situe La fontaine XVIII, énonce deux axes rapides puis une conclusion lapidaire et ne sait pas reconnaitre le type de séquence. Aurore, pourtant interrogée sur La princesse de Clèves n'arrive pas même à deviner les mots, hypocrisie et dissimulation.

Aurore ne se rendra pas même au bac de français de première. Elle ne sera jamais avocate et pas même serveuse dans l'immédiat.

L'année de terminale est dure pour les jeunes filles. "J'ai tout perdu cette année" dit l'une d'elles regrettant de ne pas avoir su être vertueuse comme la princesse.

Après la double entrevue finale du roman, c'est l'adieu au lycée. Certains ont le bac, d'autres pas.

Le documentaire de Régis Sauder avait de quoi inquiéter pouvant apparaitre comme une simple défense de gauche bien pensante de l'attaque de Nicolas Sarkozy s'interrogeant sur l'opportunité de faire découvrir les grands textes de la littérature française à des jeunes de quartiers défavorisés qui n'en auront pas besoin sur le marché du travail restreint qui les attend.

Le film démontre avec aisance que ces adolescents sont sensibles à l'esprit et à la lettre du texte; s'amusant à en trouver le décalque dans leur vie quotidienne et sachant en retrouver le phrasé, beau et un peu archaïque. Sauder en profite donc pour dérouler son film à partir des grandes séquences du roman qu'il permet de faire entendre et de faire jouer. Comme l'explique le documentaliste de la grande bibliothèque, La princesse de Clèves est un roman qui porte en lui le regret de l'impossibilité de l'amour absolu. Là où Nous, princesses de Clèves bouleverse c'est qu'il montre l'impossibilité, sous le règne de Nicolas Sarkozy, d'éduquer tous et toutes vers la réussite.

De la cour d'Henri II à celle du Lycée Diderot

Dès l'abord, l'immense hall du lycée, ses niches où l'on se parle à l'abri des regards, ses grands escaliers, ses étages où l'on observe, parait aussi dangereux que la cour d'henri II. Les hautes barres d'immeubles sous l'orage laissent aussi présager d'un danger toujours possible.

L'histoire d'amour absolu entre la princesse et le duc de Nemours constitue le cœur du roman mais les jeunes de première manquent de cette expérience pour en parler de façon conséquente alors qu'ils sont davantage sensibles aux conseils que leur prodiguent leurs parents face à l'amour. La première grande échappée vers le quotidien des adolescents consiste donc à les confronter à la lecture de la mort de Madame de Chartres par leurs parents et de voir l'effet que produisent les conseils de cette dernière à sa fille, la mettant en garde contre l'amour fou et lui rappelant que le bonheur se trouve dans l'amour de son mari.

L'échappée vers Paris provoque une réaction lucide des élèves devant une culture dont ils regrettent que leur parents les ait tenu éloignés, trop intimides pour les emmener dans une institution culturelle qu'ils n'ont pas non plus appris à connaitre. Celle-ci est pourtant la base de l'appartenance culturelle, celle que l'adolescente rebelle reconnait alors qu'elle ne pardonne ni l'époque de l'esclavage ni les mots Liberté Egalite Fraternité écrits aux frontons des mairies et si peu présents dans la société réelle.

Magnifiés par les gros plans lorsqu'ils jouent les textes, par leurs désirs de vivre, les personnages sont devenus des acteurs de tragédie dont on ressent le destin parallèlement à celui de la princesse. Elle rêvait d'amour, eux rêvent du bac. Les jeux de cour l'en ont empêché, le jeu social les tient ici éloigné de la réussite. Mais tous, sans doute, auront été là heureux, les espoirs chevillés au cœur avant les renoncements et les désillusions qui suivront. La vie de la princesse fut brève, celle de la vie au lycée aussi.

Des langues et des codes pour réussir ou pas

Le film se place dans la ligné de Passe ton bac d'abord (Pialat, 1978), A nos amours (Pialat, 1983) où la langue de Musset était confrontée à celle de jeunes parisiens de 1983, de L'esquive (Kechiche, 2008) où la langue de Marivaux se confrontait à celle de la banlieue. On pense également à Entre les murs (Cantet, 2008) et sa classe de collège où aux Rêves dansants (Linsel, 2010) où des jeunes s'ouvrait au monde en participant à un spectacle artistique.

La confrontation entre :"J'ai changé mon statut Facebook. Je suis passé de "en couple" à "c'est compliqué", puis à "célibataire"" et le texte "La magnificence et la galanterie n'ont jamais paru en France avec tant d'éclat que dans les dernières années du règne de Henri second", est savoureuse mais l'est tout autant la description pleine d'humour que fait Abou de sa famille ou la déclaration d'amour rap du Nemours de 17 ans accompagné au piano par Aurore.

Pourtant, s'ils savent passer d'un niveau de langue à l'autre, c'est l'absence de maitrise des codes de l'institution scolaire qui fera échouer certains des jeunes.

Jean-Luc lacuve le 15/05/2011.

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