Au boulot !

En février 2023. "C’est quoi ce pays d’assistés ? De feignasses ?" Sur le plateau des Grandes Gueules, l’avocate parisienne Sarah Saldmann s’emporte : "Le Smic, c’est déjà pas mal". D’où l’invitation du député François Ruffin, présent sur le même plateau : "Je vous demande d’essayer de vivre, madame Saldmann, pendant trois mois, avec 1 300 €. - Admettons, mais une semaine, ça sera déjà pas mal. » .

Ruffin rejoint l’avocate pour un déjeuner au Plaza Athénée (un croque-monsieur à la truffe à 50 euros), pour mettre au point cette semaine particulière à vivre auprès de smicards qu’elle brocarde à longueur de temps.

Il s’ensuit un tour de la France prolétaire qui passe, entre autres expériences, par la livraison, à Lyon, le conditionnement de poissons fumés, à Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais), servir dans un restaurant d’Amiens, auxiliaire de vie à Saint-Etienne, footballeuse, câbleuse Internet, à Grigny (Essonne), ou une tournée d'agriculteur ou du Secours populaire d’Abbeville (Somme).

On y entend la parole de ces personnes évoquant l’extrême rudesse de leur travail ou de leur mise à l’écart de la société. François Ruffin a fini par mettre à l'écart Sarah Saldmann qui continuait de proférer des insanités à la télévision sur l’insécurité dans les quartiers populaires ou les massacres en cours à Gaza (légitimes et proportionnés, selon elle). Dans un joyeux épilogue, toutes les personnes rencontrées au cours du périple se sont rassemblées « en vedette » sur un faux tapis rouge cannois étalé sur une plage. 

Bernard Arnault était le méchant de Merci patron ! ; Bruno Bonnell, l' était au début de Debout les femmes avant de devenir ami avec François Ruffin. C'est ici Sarah Saldmann, avocate et chroniqueuse audiovisuelle de 33 ans qui endosse ce rôle. Elle déverse son dédain des faibles sur RMC. Elle va faire la preuve qu'il n'y a rien à espérer des riches de droite pour qui plus d'argent c'est améliorer son train de vie.

Un sentiment bienveillant s'était fait jour tout au long du filmage, car Sarah Saldmann faisait des efforts pour remplir le cahier des charges : se lever tous les matins et accepter de participer aux tâches. Elle affirme par ailleurs auprès de Ruffin que son regard a changé, qu’elle ne se plaindra par exemple plus d’un livreur refusant d’attendre qu’elle sorte de son bain pour réceptionner son colis. L’émotion la submerge même devant le témoignage bouleversant d’une aide-soignante à domicile, qui fait l’éloge de son travail d’assistance aux plus vulnérables, tout en rappelant les conditions éprouvantes de son métier.

Ruffin pointait pourtant déjà de réaliser pour elle une opération de « tourisme social », il préfère ainsi l'écarter de la fin du film, prétextant ses positions innommables sur les massacres en cours à Gaza. La fin se recentre sur tous les acteurs sociaux que l'on a vu auparavant se réjouissant d'être invités à la mise en scène d'une fête qui en fait les stars sur tapis rouge de la dignité sociale.

L'implication de Rufin, qui aime les gens qu'il filme, transparaît à chaque plan et dépasse largement le cadre informatif pour nous faire partager l'émotion et la dignité des travailleurs précaires.

Jean-Luc Lacuve, le 2 décembre 2024.