Fuocoammare, par-delà Lampedusa

2016

Genre : Documentaire
Thème : Exclus

(Fuocoammare). Avec : Samuele Pucillo, Mattias Cucina, Samuele Caruana, Pietro Bartolo, Giuseppe Fragapane, Maria Signorello, Francesco Paterna, Francesco Mannino, Maria Costa. 1h53.

"Ces 20 dernières années  15 000 personnes sont mortes en tentant de traverser le Canal de Sicile pour gagner l’Europe", nous informe un carton en exergue du film.

Le jeune Samuele, 12 ans, fabrique une fronde et chasse les oiseaux, dégomme des cactus avec son copain Mattias ou tire en l’air avec un fusil imaginaire. Son père s’inquiète de ne pas lui voir le pied marin.

"How many people ?" puis "What’s your position ?" demande dans la nuit, la tour de contrôle de l'ile en réponse aux appels de détresse.

Un adepte de la pêche subaquatique se rend régulièrement sur son lieu de plongée en quête de coquillages ; un animateur-radio diffuse de vieux standards siciliens, relaie les messages d’encouragement destinés aux marins-pêcheurs de l’île, informe ses auditeurs d’une nouvelle hécatombe. "Pauvres gens !", articule une pieuse auditrice, occupée à la préparation du repas dans sa cuisine.

Des  rescapés sont emmenés en bus dans le centre d’hébergement de l’île. Les corps sont fouillés, recensés, photographiés, dûment enregistrés par les autorités militaires.  Le docteur Bartolo examine une femme enceinte de jumeaux qui manquent de liquide amniotique.

Les files d’attente de migrants s’allongent devant les cabines téléphoniques.  Une partie de foot improvisée procure un peu de joie. Les cris, les rires éclatent. La vie renaît. Puis, une sorte de griot nigérian se lance dans un chant de douleur ou récit slamé de son long périple, stigmatisant au passage la Libye où lui et ses comparses ont été retenus prisonniers, battus, torturés.

Samuele s'inquiète de l'orage qui gronde alors que son père est parti pêcher en mer. Sa grand-mère lui raconte que par gros temps personne ne sort pour ne pas renouveler la tragédie de l’incendie d’un bateau au large de Lampedusa pendant la Seconde. La mer était  devenue rouge, une mer en feu (fuocoammare).

Samuele consulte l'oculiste qui lui trouve l'œil gauche "paresseux". Ainsi décide-t-il d'imposer à Samuele un cache sur son œil actif, le droit. Samuele se rend vite compte qu'il est ainsi moins efficace dans ses tirs à la fronde

L'hélicoptère décolle pour rechercher de nouveaux migrants perdus en mer. La lune à peine visible derrière les nuages ne facilitera pas les recherches.

Samuel consule le docteur Bertelo et se plaint de crises d'angoisse qui l'empêchent de respirer. Il accompagne son père en mer même s'il vomit su mal de mer ou a du mal à diriger une petite embarcation à la rame.

Un nouvel appel de détresse conduit les sauveteurs près d'une embarcation de migrants surchargée. Sont extraits de cette embarcation et posés à même le pont des bateaux de sauvetage, des corps affamées, épuisées, déshydratées. À l’issue d’une nouvelle navette des gardes,  on découvre les corps amoncelés de dizaines d’entre eux, morts dans le ventre du bateau.

Dans la nuit, Samuele s'approche des arbres et apprivoise un oiseau. Sa mère, dans la chambre, fait le lit comme elle le fit depuis toujousr, embrassant les statuettes des saints et le portrait de son père mort en mer. A l'extrémité de l'ile Mattias et Samuele ont repris avec un reste d'innocence leur jeu d'enfants en tirant en l’air avec un fusil imaginaire.

Documentaire conçu comme une grande œuvre métaphorique sur la coexistence de deux mondes, celui des européens et celui des migrants, qui ne se voient pas et pourtant son indissociablement liés.

Le film est centré sur les transformations d'un enfant, Samuele, qui, au début, tente de tuer les oiseaux, et qui, à la fin, leur parle. Victime d'un œil paresseux et de crises d'angoisses, il devra, tel le héros d'un  roman d’apprentissage, vaincre sa difficulté à devenir adulte,  aborder un monde qu'il ne connaît pas,  accepter la mer et à accepter de devenir pêcheur alors qu’il préfère chasser avec sa fronde.

Samuele est notre passeur. Nous sommes, comme lui, témoins d'abord peu concernés d'une tragédie qu'on peut ne pas voir en face mais dont on ressent les effets. Cette tragédie est en effet moins visible depuis que "Mare Nostrum" a pour mission d’intercepter les embarcations en pleine mer, et ce depuis la catastrophe du 3 octobre 2013 qui fit plus de 300 morts. Un grand no man's land sépare désormais Lampedusa, peu peuplée, et le large où sont interceptés les migrants conduits en bus au centre de détention.

Nous savons être les témoins d’une tragédie européenne qui est sans doute la plus grande depuis l’holocauste et, au lieu de créer un pont humanitaire pour ces gens qui continueront, quoi qu’il leur en coûte, à vouloir échapper aux guerres et aux désastres économiques, nous les laissons mourir en mer par dizaines de milliers. Face à cette indifférence, le film veut créer une prise de conscience émotionnelle amener le spectateur à saisir au travers des yeux de l'enfant (ou du plongeur et de ce qu’il voit ou craint de voir quand il plonge) que cette tragédie nous touche aussi. Même si nous sommes tenus à distance, nous vivons tous néanmoins à côté d'un espace dont nous sommes responsables. En attendant une solution politique difficile à trouver, il est, comme le dit le docteur Bartolo, du devoir de chaque citoyen européen d'assister et d'accueillir les migrants.

Jean-Luc Lacuve le 29/29/2016