Cristi, un inspecteur de police de Bucarest corrompu par des trafiquants de drogue, est soupçonné par ses supérieurs et mis sur écoute. Il est exfiltré par les mafieux par l'intermédiaire de la sulfureuse Gilda sur l’île de la Gomera, "la perle des Canaries". Là, il doit apprendre vite le Silbo, une langue sifflée ancestrale. Grâce à ce langage secret, il pourra libérer en Roumanie, Zsolt, la couverture des mafieux qui a voulu s'enfuir avec des millions et s'est mis entre-temps en prison pour être en sécurité.
Magda, la procureure, supérieure de Cristi, a vite compris que Zsolt et Cristi sont de mèche et oblige le second à convaincre le premier de faire tomber les mafieux dans un piège concocté dans les décors d'un studio de cinéma abandonné. Zsolt et les mafieux sont tués mais, en fuyant, Cristi est percuté sciemment par la voiture d'un policer qui le surveillait autrefois.
Plusieurs semaine après, Cristi sur un balcon, isolé dans une institution médicale après avoir perdu l’usage de la parole prévient de l’autre côté de la cour Gilda, venue lui donner rendez-vous, que quelqu'un est derrière elle. Elle abat ainsi Magda lors d’un duel au pistolet. Les deux amants se donnent alors rendez-vous à Singapour. Quelques semaines plus tard, Cristi traverse les Jardins de la Baie à Singapour et retrouve Gilda.
Élégant film noir à l'esthétique un peu distanciée, abstraite, pour mettre en valeur l’idée d’artifice et de rôle joué par chacun des personnages. Mais récit non dépourvu d'un désenchantement sur l'état actuel de la Roumanie.
Structure en chapitres concis, chacun portant le nom d'un personnage qui apparait en blanc sur un fonde couleur à chaque fois différent. Le film a ainsi recours aux flashes-back, aux ellipses et même au hors champ puisque l'issue du duel entre Gilda et Magda est maintenue hors-champ, tandis que Cristi est contraint de regarder un film à la télévision.
Gilda (Catrinel Marlon) est la femme fatale qui renvoie à Rita Hayworth dans Gilda alors que Magda (Rodica Lazar), la procureure, supérieure de Cristi, est une femme forte et froide dans le style de Marlène Dietrich. Le show terminal, fait penser à une parabole sexuelle proche des feux d’artifices de La main au collet. Le réceptionniste a des allures de Norman Bates surtout qu'il se précipite avec un couteau dans la salle de bain où Gilda prend une douche. Elle aura néanmoins été plus sur ses gardes que Janet Leigh dans Psychose. Ces références cinématographiques vont de pair avec une exécution collective dans un studio de cinéma désaffecté reconverti en guet-apens.
Cristi est néanmoins un vrai personnage de film noir qui ne croit plus à sa vocation et commence à travailler avec la mafia et à toucher de l’argent du trafic de la drogue. C’est quelqu’un qui ne croit plus en rien, ni dans sa vie professionnelle, ni dans sa vie privée, et il cherche à s’échapper de tout cela quand il arrive sur l’île de La Gomera. En tant que policier, il fait partie du système de pouvoir, et il pense maitriser sa vie mais assez vite il est pris dans une tempête d’événements qui le dépassent. Le poids de l'église orthodoxe, qui ne se fait pas prier pour récupérer le magot, et la corruption endémique de la Roumanie fait que les amants ne trouveront le salut qu'en fuyant à l'étranger.
Bande-son rythmée par des airs d'opéra et des chansons pop (The passenger d'Iggy Pop, Kurt Weill). Le langage sifflé El Silbo, qui se pratique sur l’île de La Gomera s'apparente au morse simplifié ; les phonèmes sont réduits avec des voyelles regroupées, et des consonnes regroupés. Face à se langage archaïque, la police se croit plus puissante avec la technique et fomente à Bucarest une grande mise en scène avec l’aide de ses nombreuses caméras.
Jean-Luc Lacuve, le 26 janvier 2020.