Sollers Point, quartier afro-américain de du sud-est de Baltimore. Keith, une vingtaine d'années, assigné à résidence depuis un an, se fait retirer le bracelet électronique qui le retenait comme un animal en cage. Il n'a toutefois pas le droit de changer d'état même s'il peut enfin quitter le domicile de son père, Carol. L’un et l’autre ne s’entendent guère, mais se sont résignés à cette cohabitation dictée par des circonstances extérieures à leurs volontés. Carol est retraité des aciéries Bethlehem, dont la faillite au début des années 2000 a laminé plusieurs villes américaines qui dépendaient étroitement de cette industrie. Il vit de sa pension, mais les plus jeunes traficotent pour le compte des gangs suprémacistes blancs ou afro-américains, selon la couleur de leurs peaux.
Le jour même où Keith peut retirer son bracelet électronique, un gang de blancs suprémacistes, auprès duquel il avait trouvé protection durant son incarcération, vient le cueillir à sa porte. Keith les rejette et fait la tournée de ses relations d’antan : sa sœur, sa grand-mère, ses ex-petites amies, ses voisins, un ami d’enfance devenu rappeur à succès, ou un chef de gang halluciné. Il tente de suivre une formation de technicien climatiseur, et de vendre de la feraille mais retrouve toujours le gang sur sa route, prêt à en découdre. Peu à peu, il renoue avec certains de ses vieux démons : l’alcool, les boîtes de strip-tease et cette rage qu’on sent bouillir en lui, rejaillissant parfois en bouffées autodestructrices.
Matthew Porterfield fonde avec ce film une trilogie sur sa ville natale commencée avec Putty Hill (2010) et I used to be darker (2013). Keith, son personnage principal, est le révélateur des tensions qui innervent un quartier défavorisé de Baltimore, Sollers Point. Fondée par la société de sidérurgie Bethlehem Steel en 1917, cette cité industrielle est confinée aux limites des terres escarpées qui longent la côte ouest de la baie de Chesapeake. Pendant l’apogée de la sidérurgie, de la Grande Guerre aux années 50, Bethlehem Steel était le plus grand pourvoyeur d’emplois de l’Etat du Maryland. L'un des amis de Carol explique qu'en être employé permettait de s'acheter n'importe quelle voiture.
Mais dans les années 70-80, lorsque l’économie américaine s’est désintéressée de la production industrielle, des centaines de milliers d’emplois se sont volatilisés. Dans le quartier de Sollers Point, déjà isolé de par sa situation géographique et son profil socio-économique (classe ouvrière, prédominance afro-américaine), la déchéance de la population est d’autant plus visible.
Matthew Porterfield implique la communauté même dont ll parle dans le film, dans sa conception comme dans sa fabrication, à l’image du personnage de Marquis, dont la musique hip-hop illustre certains passages du film.
Figure de l’ex-détenu en réinsertion sociale et professionnelle, à tout moment susceptible de retomber dans l’ornière l’ayant conduit une première fois en prison, Keith est aussi celui qui sillonne le quartier. En préférant des plans larges, à la composition soignée, plutôt que l’effervescence d’un filmage, caméra à l'épaule, Matthew Porterfield assume ce côté choral.
Jean-Luc Lacuve, le 15 septembre 2018