Dans une rue commerçante, un homme et une femme s’assoient à la terrasse d’un café. La serveuse reçoit un appel d’un homme plus bas dans la rue et se précipite vers lui. Il est heureux de lui offrir le passeport, volé à une touriste française qui va lui permettre de quitter le pays. Mais Zara le refuse, s'il ne part pas avec elle, elle n'ira pas en France.
Hors champ, l’ordre vient d’arrêtez la scène. C’était en effet une séquence de film tournée par Sinan mais dirigée à distance en vidéo par Jafar Panahi. Celui-ci demande à ce que la scène soit tournée de nouveau car ni le placement des acteurs ni le jeu de l'actrice ne lui conviennent.
Jafar Panahi qui réalise ainsi le film à distance est caché dans un petit village du Kurdistan iranien, frontalier avec la Turquie. Il orchestre les prises par le biais de l’écran de son ordinateur portable, mais la connexion est mauvaise. Il doit sortir pour en trouver une meilleure. Il envisage de monter sur le toit et demande pour cela une échelle à son voisin. Celui-ci accepta bien volontiers mais préfère monter lui-même car il craint la réaction des voisins qui pourraient penser qu'un étranger les espionne. Le voisin, Ghanbar, est le propriétaire de l’appartement loué par Panahi et celui-ci constatant qu’il est en habit de fête lui demande de filmer la cérémonie des fiançailles où il se rend. Pendant ce temps, il déjeune avec sa mère, une vieille femme serviable et impotente qui lui explique le sens de ce rituel de fiançailles consistant à laver les pieds des futures mariés dans un ruisseau d'eau claire.
De retour de la cérémonie, Ghanbar se confond en excuses : il a confondu le on avec le off et a enregistré, non pas l’événement mais ses à-côtés et notamment les inquiétudes des villageois de le voir avec cette caméra. Panahi n’est pas trop déçu et demande à des enfants de s'assoir sur le muret devant sa maison afin de les prendre en photo.
Sinan vient le voir la nuit en secret pour lui porter le disque dur avec lequel il va pouvoir faire le montage. Sinan l’emmène tout en haut d’un chemin escarpé pour lui indiquer la frontière l’engageant à la franchir afin qu'il soit davantage en sécurité. Il croit anticiper le désir de Panahi qui s'est réfugié dans ce village frontalier. Panahi le détrompe. S'il est ici c’est parce qu'un ami cinéaste lui avait vanté la tranquillité du village. En rentrant chez lui, Panahi rencontre une jeune fille affolée qui lui demande de ne pas donner aux villageois la photo qu'ils vont exiger de lui sans quoi elle sera en grand danger.
Le lendemain, Ghanbar gardant ses airs affables lui reproche néanmoins de s'être rendu prés de la frontière. La colline est surveillée par la police car c'est une zone de contrebande. Or, les villageois en vivent davantage que de l’agriculture, devenue peu rentable.
Puis se sont trois visiteurs qui viennent lui rendre visite lui demandant la photo qu'il a prise d’un jeune couple illégitime. Panahi leur montre les photos de son apparei :; aucune ne correspond à ce qu'ils attendent. Les trois hommes, le père de la fiancé, le chef du village et le fiancé promis quittent Jafar sans accepter son thé.
Jafar Panahi dirige à distance la réalisation de Zara et Bakhtiar qui interprètent la scène du départ pour l'aéroport. Mais avant de monter dans le taxi, Zara interpelle Panahi et se révolte contre ce rôle qui n'est pas le sien. Bakhtiar n'a qu'un passeport de fantaisie. Elle refuse donc de partir et d'interpréter une scène qui enjolive leur réalité.
Les villageois font venir l'enfant de neuf ans qui a témoigné de cette photo d'une future mariée en compagnie d’un garçon autre que son fiancé. Jafar nie et la communauté exige de lui qu’il cède sa carte de stockage, où se trouvent les images incriminées. Jafar Panahi finit par accepter. Mais les villageois en veulent toujours plus et qu’il se soumet à une cérémonie du serment. Jafar accepte mais la cérémonie dégénère quand il fait part de son opinion sur les coutumes trop archaïques de promettre une jeune femme à l'homme qui, bébé, a tranché son cordon ombilical.
Bakhtiar se désespère d'avoir menti à Zara et croit qu'elle ne s'en remettra pas. Effectivement, on retrouve son corps noyé.
Jafar quitte le village. En partant, il découvre que je jeune couple de paysans a été assassiné en tentant de franchir la frontière.
Comme Trois visages (2018), Aucun ours prend la forme d’un documentaire de fabulation où les personnages jouent leur propre rôle dans une situation inventée, mais proche de leur réalité pour les besoins du film. En quatre ans la situation, en Iran et pour Panahi, s'est dégradée. Le 11 juillet 2022, le cinéaste a été condamné à une peine de six ans dans la prison d’Evin de Téhéran mais a pu réaliser ce film durant sa liberté conditionnelle alors que les autorités lui avaient interdit de tourner. Le film rend compte de cette dégradation. Trois visages posait aussi le constat de divorce entre une société rurale archaïque et la volonté de la jeunesse d’assumer sa liberté. Au plan final, Jafar Panahi regardait depuis sa voiture la jeune actrice réussissant à fuir en compagnie de son amie, actrice célèbre. La fin d'Aucun ours est bien plus lugubre. Elle se termine par une double tragédie : le jeune couple qui tentait de fuir par la montagne est abattu par les douaniers et Zara, l'actrice du film dans le film, se suicide.
Un drame villageois
La tonalité du film est d’abord légère avec Panahi vivant sans grand moyen mais paisiblement dans un village reculé pour pouvoir faire un film à l’abri du regard des autorités. Mais le ton se fait de plus en plus grinçant au fur et à mesure que les villageois tentent de le faire fuir car il dérange leurs combines de contrebande et critique certains aspects de leurs traditions.
L'impuissance du cinéaste à modifier la réalité.
Le film dans le film raconte l’histoire d’un couple d’artistes en attente de faux papiers pour fuir l’Iran. Ce qui se révèle progressivement, c’est que les acteurs, Zara et Bakhtiar, ne font guère que jouer leur propre rôle, déchirés par la même problématique. L'impuissance à garder l'espoir perce dans ce dernier drame : Panahi souhaite filmer un vrai documentaire de fabulation en faisant s'échapper ses héros tous les deux hors d'Iran et s'accroche à l'idée de trouver un second passeport pour Bakhtiar. Mais, ils échouent à en trouver un. Sinan, pour continuer le film et Bakhtiar, pour sauver celle qu'il aime, lui mentent et fabriquent un passeport de fantaisie. De loin, Jafar n'a rien vu et ne peut que constater, impuissant, le suicide de son actrice. En filmant à distance, il n'a pas pu empêcher ce second drame pas plus que le premier dans son village reculé.
Jean-Luc Lacuve, le 11 décembre 2022