Première partie : Carl et Yaya. Des mannequins passent une audition. En attendant, ils sont interrogés par un reporter qui les fait jouer les rôles de soutien à une grande marque (Balenciaga) où ils doivent mépriser le client et une marque plus humble (H&M) qui a besoin d'eux où ils doivent se montrer souriants, en forme et gentils. Carl, qui a été mannequin de grande marque porte son âge sur son front, le triangle de tristesse, expression utilisée par les chirurgiens esthétiques pour nommer cette zone entre les yeux où l’on peut lisser les rides au Botox. S'il est engagé, il devra y recourir.
Carl est convié à l'ouverture de la Fashion Week mais doit céder sa place, déjà en bout de rang quand arrivent des invitées de marque. Le soir dans un restaurant chic, il dîne avec Yaya, une mannequin, influenceuse célèbre, plus intéressée par les photos que Carl prend d'elle pour instagram que par sa conversation. Aussi le jeune homme reproche-t-il à son amie sa radinerie et son conformisme genré : c’est toujours lui qui doit sortir la carte bancaire au moment de payer la note des restaurants et autres dépenses. Ils se disputent jusqu’à tard dans la nuit quand Yaya revient repentante admettant qu'elle est manipulatrice...sans avouer pour autant son avarice.
Deuxième partie : Le yacht. Yaya a bénéficié d'une invitation à bord d'un yacht de luxe pour une croisière au milieu des super riches.. Tandis que l’équipage est aux petits soins avec les vacanciers, le capitaine refuse de sortir de sa cabine alors que le fameux dîner de gala approche. C'est Paula, la manager des serveurs et serveuses qui assure le bon déroulement de la croisière : elle renvoie sur le champ un homme d'équipage qui avait suscité la jalousie de Carl pour s'être montré torse nu et ainsi attiré l'attention de Yaya. Elle accepte aussi que tout l'équipage se baigne quand la milliardaire russe, Vera, avait contraint la serveuse, Alicia, à se détendre en prenant en bain au mépris des consignes.
Le soir du dîner du commandant une tempête éclate et tous, pris de mal de mer, vomissent ou sont balayés par les toilettes qui dégorgent d'excréments. Au matin tout est revenu calme. Un bateau de pirates approche et fait malencontreusement exploser le bateau qui fait naufrage.
Troisième partie : L'île. Quelques survivants parviennent à rejoindre une île. Abigail, une employée, est la seule à manifester des talents de survie, sachant pêcher les poissons à la main et les faire cuire. Elle prend rapidement le dessus et fait de Carl son gigolo alors que Yaya se morfond. Yaya décide de faire le tour de l'île et se réconcilie avec Abigail, toutes deux se réjouissant du matriarcat qui impose dorénavant sa loi. Elles découvrent que le versant opposé de l'île est la propriété d'un hôtel de luxe. Abigail, pressentant la fin de son pouvoir, est tentée de fracasser le crâne de Yaya. Mais en aura-t-elle la force alors que Yaya lui propose de devenir son assistante ?
Tous nos comportements peuvent être examinés à l'aune de notre position dans les classes sociales. L'incarnation de ce pouvoir social s'incarne de manière de plus en plus large au gré des trois parties. La première décrit les aléas d’un couple de mannequins qui ne cesse de se chamailler pour des histoires d’argent. Carl est moins célèbre, donc moins rémunéré que Yaya, mais c'est elle qui peut le manipuler pour qu'il paie sans protester. Dans le Yacht, les riches sont tout puissants et ne se rendent pas compte, ou trop tard, de leur pouvoir de nuisance. La troisième partie montre que le renversement des valeurs, basées cette fois sur le travail et le matriarcat, conduit aussi à des situations de pouvoir, par nature contestables et fragiles.
Östlund cherchait la voie de la réconciliation dans Snow therapy et The Square. Ici les échappatoires permis aux relations de pouvoir sont d'autant plus burlesques qu'on les pressent transitoires. Elles ne peuvent être qu'un réjouissant moment d'anarchie absolue, dénué de finesse. Le film vaut surtout par son humour autour d'irresponsabilités décomplexées : la livraison aberrante par hélicoptère de Nutella, le commandant de bateau américain anticapitaliste et ivrogne, le Russe nouveau riche farceur, les fabricants de mines antipersonnelles se définissant en "protecteurs de la démocratie", ...Un joyeux feel bad movie qui ne demandait certainement pas à être récompensé de la Palme d'or du festival de Cannes 2022.
Jean-Luc Lacuve, le 10 octobre 2022.