Accueil Fonctionnement Mise en scène Réalisateurs Histoires du cinéma Ethétique Les genres Les thèmes Palmarès Beaux-arts

Un film parlé

2003

(Um filme falado). Avec : Leonor Silveira (Rosa Maria), Catherine Deneuve (Delphine), Irène Papas (Hélène), Stefania Sandrelli, John Malkovich (Le comandant John Walesa),Filipa de Almeida (Maria Joana). 1h36.

Un bateau part de Lisbonne. A son bord, une universitaire, enseignante en histoire, Rosa Maria, et sa petite fille, Maria Joana, embarquées pour rejoindre leur époux et père qui les attend à Bombay. A peine le paquebot a-t-il appareillé que Rosa Maria commence une leçon d'histoire à l'usage de sa petite fille. En descendant l'estuaire du Tage, Maria Joana apprendra la légende du roi voilé ; à Marseille, la fondation de la ville par les Phocéens ; à Pompéi, la destruction de la cité par le Vésuve.

Parfois le monologue didactique du professeur s'agrémente d'interventions extérieures : sur l'Acropole, un pope détaille les différences entre les signes de croix catholique et orthodoxe ; à Istanbul un guide explique la transformation de l'église sainte Sophie en mosquée puis en musée ; au pied des pyramides, l'acteur Luis Miguel Cintra guide Rosa Maria et Maria Joana jusqu'à l'hôtel où l'impératrice Eugénie fêta l'inauguration du canal de Suez.

Pendant ce temps, le bateau a accueilli trois femmes auxquelles leur notoriété et leur beauté ont valu d'être invitées à la table du commandant. Là, elles s'expriment chacune dans leur langue tout en se comprenant les unes les autres. Tour à tour Delphine, femme d'affaires française, l'Italienne, actrice et ancienne modèle, Hélène une Grecque, célèbre chanteuse et le capitaine du navire, John Walesa un Américain d'origine polonaise dévoilent un pan de leur personnalité. La conversation glisse de la trahison amoureuse et amicale à l'état du monde dominé par les hommes et le libéralisme américain. Le commandant suggère à ses invités de reconstruire une nouvelle tour de Babel pour un monde meilleur, respectueux des valeurs féminines.

Le commandant remarque la fillette et sa mère et, un peu plus tard sur le pont, cherche à les inviter à sa table. Rosa Maria refuse. Pour les attirer à sa table avec ses invitées, John Walesa achète un cadeau à la fillette dans le souk d'Aden.

Devant l'insistance du comandant, Rosa Maria accepte de rejoindre la table des invités de marque. La Grecque fait remarquer qu'il s'en est fallu d'une voix pour que le grec devienne la langue officielle des Etats-Unis mais qu'elle n'est plus aujourd'hui parlée qu'en Grèce ou par les érudits alors que le portugais a réussit à s'implanter en Amérique. Devant cette injustice entre le destin de deux langues de pays autrefois conquérants, Rosa Maria fait remarquer que le grec survit encore par des mots dans presque toutes les langues. La conversation s'alourdit de nouveau lorsque l'Italienne regrette de n'avoir pas d'enfant. Le commandant suggère alors à Hélène de chanter, l'œuvre d'art étant l'acte créateur des artistes.

Le commandant en peut toutefois écouter la chanson jusqu'au bout. Une alerte à la bombe vient de se déclarer. Alors que tous les passagers quittent le navire, Maria Joana échappe à la surveillance de sa mère pour chercher sa poupée dans sa cabine. Lorsqu'elles reviennent sur le pont, la chaloupe est partie. Le commandant abasourdi ne peut qu'être effrayé par les explosions qui retentissent entraînant les deux femmes dans la mort.

Film somme où Oliveira mêle l'intime (l'initiation au monde d'une fillette par sa mère) à la grande culture (leur visite des principaux lieux de civilisation dans le bassin méditerranéen). De même, dans la seconde partie du film, Oliveira mêle comédie sophistiquée et discours politique sur l'état du monde. Ce mélange de légèreté et de lourdeur se retrouve aussi dans le dernier plan du film, une image arrêtée en gros plan sur un hors champs terrifiant.

Le film alterne par ailleurs tout au long de son déroulement gros plans de visages, de la prou du bateau, des monuments visités et plans larges de ces mêmes bateau, monuments et personnages sans, qu'à aucun moment, l'un de ces plans ne se départissent d'une extrême beauté (le Parthénon en plongé sur un ciel bleu, l'Acropole éclairée, le château de l'œuf à Naples, les chameaux qui passent négligemment derrière le sphinx de Gizeh pris en gros plan avant qu'un plan plus large ne nous le dévoile devant sa pyramide). Le film mêle enfin toujours histoire ancienne à l'histoire contemporaine : Marseille aujourd'hui avec son marchand de poissons et Marseille Hier au temps des grecs ; Pompéi aujourd'hui avec ses ruines et Pompéi tel qu'elle était en l'an 75 par superposition des deux images dans le livre de Maria Joana ; la transformation de sainte Sophie d'église catholique en mosquée puis en musée au temps d'Atatürc ; les pyramide de Gizeh et le percement plus récent du canal de Suez.

Intimité/culture, Histoire ancienne/histoire contemporaine, légéreté/lourdeur, plans larges/plans rapprochés sont ainsi autant d'oppositions binaires auxquelles vient se surajouter la confrontation entre image et parole. La seconde partie du film fait la preuve par la comédie que la civilisation se construit sur le goût de l'histoire qui fait le lien entre le mythe puissant et simplificateur (le roi voilé, l'œuf mythique présidant à la création de Naples, la statue géante d'Athéna dominant le Parthénon, Ismaël père des peuples musulmans) et l'attention aux autres. Cette élégance supérieure de l'histoire, de l'intelligence et de la compréhension, semble nous dire Oliveira est supérieure à la gloire des artistes et à l'argent des hommes ou des femmes d'affaires et ne trouve sa seule limite que dans la violence aveugle.

Retour